Guerre médiatique ? Bluff international ? Danger immédiat ? La militarisation de la région des Caraïbes, par les Etats-Unis qui ont décidé de renforcer leur lutte contre le narcotrafic en Amérique latine, s’annonce comme un tournant dans les relations, déjà fortement dégradées, entre Washington et Caracas. Et pour cause ! Les Etats-Unis ont établi un lien direct entre « le cartel de los soles » et Nicolas Maduro, le président de facto de la République bolivarienne du Vénézuéla. Les cartels « Tren de Aragua » du Vénézuéla, « Mara Salvatrucha » d’El Salvador, le « Clan del Golfo » de Colombie, ainsi que ceux de « Jalisco Nueva Generacion », « Sinaloa », « Nueva Familia Michoacana », « Carteles Unidos » et « Cartel de Noreste » du Mexique, représentent désormais, une menace immédiate pour les Etats-Unis et leurs alliés. Ils sont reconnus « organisations terroristes » et se voient placés au cœur d’un conflit aux dimensions régionales.
Une guerre de longue haleine
L’inscription de ces groupes dans la liste des organisations terroristes a constitué la première étape d’un combat dont les conséquences sont à la fois sécuritaires, économiques ou sociales. Pourtant, la lutte contre le narcotrafic n’a jamais cessé depuis les années 1960. L’opération « Interception », lancée par Richard Nixon en Septembre 1969, visait déjà à lutter contre le trafic de cannabis entre les USA et le Mexique. Depuis, les actions et soutiens aux gouvernements alliés se sont multipliés. Les années 1980 incarnent ce combat, notamment contre les cartels colombiens de Medellin et de Cali, respectivement dirigés par Pablo Escobar (tué en 1993) et les frères Orejuela (Miguel et Gilberto, incarcérés aux Etats-Unis). La situation contemporaine est différente et, à bien des égards, pire encore que celle des années 1980-1990. Le narcotrafic n’a jamais cessé. Entre 2020 et 2025, le trafic de cocaïne a rapporté 1500 milliards de dollars. Devant cette réalité, certains États sont confrontés à une vulnérabilité qui porte les germes d’une menace régionale pouvant servir à une forme inédite de déstabilisation.
[1] Pascal Drouhaud, « République populaire de Chine et Amérique latine-Caraïbes », Forum francophone des affaires, 23 octobre 2018.
La nouvelle offensive des USA
En plus des risques liés à l’immigration clandestine et au trafic de drogue, les États-Unis font face à une évolution géopolitique régionale défavorable. Depuis un quart de siècle, l’Amérique latine compte sur un nouveau partenaire économique, la Chine. Celle-ci n’a eu de cesse de consolider sa présence, notamment dans le secteur des infrastructures, de l’énergie, du numérique[1]. Elle est devenue le premier interlocuteur économique du Brésil, de l’Équateur, du Pérou. Elle est désormais incontournable également pour le Panama, le Mexique, l’Argentine. Cette évolution a accompagné une « tentation du Sud Global »[2] : l’Amérique latine a pu donner le sentiment d’espérer une organisation alternative de la gouvernance mondiale. Pour Washington, la réalité géographique prime. L’influence qui lui est attachée également.
En s’attaquant au narcotrafic et en le rattachant à Nicolas Maduro, la première puissance mondiale entend réaffirmer son « leadership », mis à mal de manière subreptice et patiente depuis plusieurs années. Le Vénézuéla voit le régime de Nicolas Maduro sur le point d’être érigé au rang d’«ennemi numéro 1 » dans la région. Le pouvoir bolivarien est considéré comme illégitime[3] en raison notamment d’élections volées, comme celles du 28 Juillet 2024. Nicolas Maduro s’était auto-proclamé élu pour un troisième mandat simultané, sans jamais avoir fourni aucun acte électoral tandis que son adversaire, Edmundo Gonzalez Urrutia, vainqueur au sortir des urnes, a été contraint à l’exil à l’instar d’une estimation de 6 millions de vénézuéliens depuis 2017. La rupture semble désormais consommée alors que Donald Trump a publiquement accusé Nicolas Maduro de diriger le « Cartel de los Soles », un groupe criminel fournissant un soutien logistique au cartel du « Tren de Aragua » et officiellement inscrit sur la liste des organisations terroristes par l’Argentine, l’Équateur, les Etats-Unis et le Paraguay. Inculpé par la justice américaine pour corruption et trafic de drogue, le chef d’État vénézuélien fait l’objet d’un avis de recherche et d’une récompense d’un montant 50 M$ (43 M€).
Une démonstration de force
Le danger peut rapidement devenir global : en dénonçant la présence dans la région des Caraïbes de forces armées américaines, Caracas a reçu le soutien de la Chine, laissant apparaître le spectre d’une nouvelle dissuasion s’inscrivant dans l’émergence d’une bipolarité avec ses zones d’influence[4]. Telle est la complexité de la crise actuelle. Le déploiement d’un dispositif militaire américain s’inscrit dans ce contexte international. Frappes ciblées au sol visant à affaiblir les cartels du « Tren de Aragua » et du « cartel de los Soles » ? Une attaque terrestre ? La trahison par un proche du régime, ?
Tandis qu’une coalition internationale se met en place, tout devient possible dans la région des Caraibes et au Vénézuéla : Nicolas Maduro mène des manœuvres militaires sur l’Ile d’Orchila appelant à la mobilisation « des forces bolivariennes ». Donald Trump hausse le ton sans pour autant avancer d’ultimatum, laissant planer le soupçon de possibles négociations. Quoiqu’il en soit, l’Amérique latine retient son souffle tandis que les forces militaires rappellent, en détruisant des embarcations transportant de la drogue dans la région des Caraïbes, qu’elles sont parfaitement opérationnelles.
Pascal Drouhaud
Source : miss.cabul / Shutterstock.com
****
[2] Vincent Capdepuy, « Le Sud global, un nouvel acteur de la géopolitique mondiale ? », Géoconfluences, septembre 2023 ; Pascal Drouhaud, « La tentation du « Sud global » », Revue Défense Nationale, chron. Amérique latine, N° 865, Décembre 2023, p. 120-123.
[3] Patrick Martin-Genier, « Venezuela : la victoire d’un peuple opprimé », Revue politique et parlementaire, 5 août 2024 ; David Biroste, « État de droit : les Européens au soutien des Vénézuéliens », Revue politique et parlementaire, 30 octobre 2024 ; Pascal Drouhaud, « Venezuela : le coup de force permanent », Revue Défense Nationale, Novembre 2024, N° 874, p. 120 ; Pascal Drouhaud, « Venezuela : un nouveau « rideau de fer » », Revue Défense Nationale, Février 2025, n° 877, p. 125.
[4] Olivier Arendt, « Venezuela – États-Unis : une rivalité persistante entre affrontement et tentative de dialogue », RTBF, 2 septembre 2025.