L’entretien accordé par Sébastien Lecornu au Parisien n’a pas changé la donne. Dix-sept jours après l’arrivée du nouveau Premier ministre à Matignon, les acteurs politiques campent toujours sur leurs positions au risque de dévaloriser encore davantage leur image et leur rôle auprès de l’opinion.
Est-il si provocant d’en faire le constat ? Que s’est-il passé au sommet de l’État depuis la nomination de Sébastien Lecornu à Matignon ? Force est de le constater : rien. Pas même la formation d’un gouvernement. La constitution d’une nouvelle équipe est pourtant la première tâche à laquelle s’attelle tout nouveau dirigeant. Certes, mais il y avait urgence à construire un nouveau Budget en vue de garantir la survie d’une nouvelle équipe gouvernementale. Soit. Mais près de trois semaines plus tard, la construction de ce Budget n’a toujours pas avancé.
S’il n’annonce pas de mesures concrètes, Sébastien Lecornu précise cependant sa stratégie dans l’interview accordée au Parisien samedi et par quelques communiqués. Il veut d’abord consolider le socle commun, ses ministres devront « partager les grandes orientations » ses orientations et, souligne-t-il, « savoir négocier » avec le Parlement, les partenaires sociaux et les collectivités locales. Cette position de principe n’a rien de révolutionnaire, Michel Barnier et François Bayou et leurs prédécesseurs en auraient dit autant. Là où le nouveau Premier ministre se veut innovant, c’est quand il affirme que le gouvernement serait « sous la tutelle » du Parlement. Le mot est fort, voire brutal, mais il exprime une vérité constitutionnelle selon laquelle le pouvoir législatif appartient aux parlementaires.
La difficulté est donc toujours et encore à l’Assemblée nationale où une majorité peut se constituer pour censurer le Premier ministre. Mais comme il appartient au seul gouvernement d’y présenter un budget, le chef du gouvernement est bien obligé de donner quelques pistes. Ce faisant, il a braqué la gauche en général et les socialistes en particulier. En fermant la porte à un retour de l’ISF, à la suspension de la réforme des retraites, et souhaitant revoir l’aide médicale d’Etat, il rassure le socle commun et le patronat mais il agace la gauche et les partenaires sociaux.
Les positions n’ont donc pas bougé. Mais est-ce le fait du seul Sébastien Lecornu ? Chaque camp a ses entêtements. Le PS ne veut entendre parler ni de la réforme des retraites ni de l’AME. C’est suspension ou rien, pour la première ; maintien ou rien pour la seconde. Alors que le sentiment de l’injustice fiscale gagne les Français, c’est la droite qui ne veut pas entendre parler de hausse d’impôts quelle qu’elle soit, et surtout pas des mots tabous que sont l’ISF ou la taxe Zucman.
Que s’est-il passé depuis la nomination de Sébastien Lecornu ? Le durcissement de lignes incompatibles. Alors que la composition de l’Assemblée oblige à des compromis, les oppositions se regardent sans se parler. La discussion est impossible. Quant aux ministres supposés rechercher la négociation, faute d’avoir été nommés, ils ne participent pas à la construction du Budget qu’ils devront précisément négocier.
Bien sûr, les stratégies sont évidentes. Les partis politiques ne veulent rien lâcher sur les mots marqueurs de leur identité, le chef du gouvernement avance avec prudence par manque de marges de manœuvre, et tout le monde pense à la présidentielle. Mais ces postures entraînent une inertie générale. Au risque de valoriser le discours de ceux dont le seul programme est de renverser la table et ceux qui sont autour.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste