Engagé de longue date, Nicolas Mayer-Rossignol défend une gauche républicaine, populaire et écologiste, fondée sur la justice sociale, fiscale et environnementale. Face à la crise des idées et de l’incarnation politique du PS, il plaide pour une gauche qui travaille, assume ses désaccords, et propose une vision claire, en lien avec les réalités vécues. Pour lui, il est urgent de réconcilier démocratie, responsabilité et espoir collectif.
Revue Politique et Parlementaire – Beaucoup de personnalités politiques, dans leur parcours, ont été marquées à un moment donné par des lectures, des rencontres, des évènements clés, qui ont compté dans leurs choix ou leurs engagements. Et pour vous ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Je n’ai pas fait d’études politiques. Mon engagement date de mes années d’études scientifiques à l’École normale supérieure rue d’Ulm à Paris, fin des années 1990, où j’ai pu rencontrer des personnalités inspirantes comme Pierre Bourdieu, Christian Baudelot ou Daniel Cohen. Plus tard, vers 2006, j’ai rencontré Laurent Fabius et, évidemment, lui aussi m’a donné ce goût pour l’engagement politique.
Mon parcours est aussi marqué par des influences sociologiques et même philosophiques, je pense notamment à une rencontre avec Michel Serres. Aujourd’hui encore, mon engagement est avant tout motivé par des raisons intellectuelles.
RPP – Vous êtes la figure de la gauche qui refuse le ralliement derrière les positions de LFI. Comment expliquer cette tétanie de l’offre politique de la gauche non- mélenchoniste alors que la course à droite n’a jamais été aussi accentuée ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Je pense qu’il y a eu à gauche, singulièrement au Parti socialiste, un triple manque : manque de travail, d’affirmation et d’incarnation, je les place d’ailleurs dans cet ordre-là.
D’abord, il y a une panne d’idées. Donnez- moi une grande idée politique qui ait été portée par le PS ces dernières années, et qui ait eu de l’impact. Sauf au niveau local, où le travail se fait sur le fond des propositions.
De l’affirmation et de l’incarnation ensuite. C’est par exemple ce qu’a réussi à faire Jean- Luc Mélenchon. Incontestablement il y a une affirmation et une incarnation. Et plus de travail. Idem pour Emmanuel Macron. De ce fait, vous avez beaucoup de Français de sensibilité de gauche qui ont pu croire en Jean-Luc Mélenchon (en 2022) ou en Emmanuel Macron (en 2017) et qui se sont détournés du PS.
Aujourd’hui, beaucoup de ces électeurs se sentent orphelins politiquement.
RPP – Le brouillage des frontières des partis politiques n’affaiblit-il pas la gauche ? Par exemple, le parti Renaissance est en phase avec la gauche sur les
sujets de société, le RN développe un programme proche de la gauche sur le pouvoir d’achat ; la gauche n’aurait-elle plus le monopole de la gauche ?
Nicolas Mayer-Rossignol – La gauche n’a jamais eu le monopole des idées et c’est une bonne chose. En revanche, il me semble que ce que l’on constate actuellement c’est simplement que la nature a horreur du vide. Quand vous n’affirmez plus, quand vous ne proposez plus, d’autres le font à votre place.
Je note que de 2015 jusqu’à maintenant, de nombreux acteurs de la culture, de l’éducation, de l’environnement se sont tournés majoritairement vers LFI. Pourquoi ? Parce que quoi qu’on pense de LFI, ils ont travaillé et que quand il y a un vide, il est comblé par d’autres.
Il faut donc, urgemment, remettre le Parti socialiste au travail. C’est vrai sur les thématiques de gauche, mais aussi sur d’autres thématiques dont la gauche devrait s’emparer pleinement : la sécurité, par exemple. Une gauche vraiment à gauche et vraiment républicaine ne devrait pas avoir de tabou sur ces questions. Le sentiment des Français c’est que la gauche ne leur parle pas ou plus de sujets qui les intéressent : la sécurité, l’immigration, l’économie, l’industrie… Il ne faut pas non plus opposer écologie et économie. Autres thèmes encore : la recherche, l’innovation, l’enseignement supérieur, et plus largement l’éducation. Regardez sur l’IA : combien de chercheurs, d’étudiants, et même de lycéens l’utilisent d’ores et déjà au quotidien ?
Il y a un autre problème:
À ces classes dites populaires, LFI ou le RN proposent de fausses solutions car elles ne seront pas mises en œuvre, ou parce qu’elles sont outrancières : c’est donc mentir aux gens. Par exemple, qui croit sincèrement qu’avec l’évolution démographique et la diversité des pénibilités des métiers, la retraite pour tous à 60 ans est une promesse réaliste ? Ce n’est même pas juste, ce n’est même pas de gauche. Mon mantra est simple : il faut une gauche vraiment à gauche, vraiment républicaine.
Le PS doit redevenir le Parti du travail et un parti qui travaille.
RPP – La gauche semble aujourd’hui très divisée après les espoirs qu’elle a portés pour ses électeurs et électrices avec la Nupes puis le NFP. Quelles en sont les raisons de fond ?
Nicolas Mayer-Rossignol – En préambule je voudrais préciser que je distingue très clairement l’électorat, les citoyens, de la direction stratégique de LFI.
Sur cette direction et cette stratégie de LFI, il me semble qu’il y a trois choses qui nous différencient.
D’abord, il y a des questions de fond, en particulier en matière de politique inter- nationale. Nous sommes clairement pro- européens, LFI ne l’est pas. Nous n’avons pas du tout le même point de vue sur le conflit en Ukraine.
Ensuite, il y a un populisme des idées, une capacité à dire des choses pour flatter un électorat tout en sachant très bien que c’est infaisable. Cela me gêne particulièrement. L’exemple typique du moment me semble être la suppression des ZFE. Je travaille quotidiennement dans ma ville et mon agglomération pour améliorer la qualité de l’air sans pénaliser les citoyens au plan social. Même si la loi ZFE est très mal faite, la supprimer ne résout rien. Vous pouvez casser le thermomètre, il y aura toujours la fièvre. C’est ce que j’appelle le populisme de gauche.
Enfin, il y a un enjeu de méthode, cette manière qu’a LFI de volontairement tout conflictualiser, brutaliser, fracturer, mettant fin à l’unité de la République et à l’unversalisme républicain, minant le principe de laïcité. La façon dont le conflit israélo- palestinien est importé dans le débat politique national est à cet égard édifiant. En ce qui me concerne, je combats politiquement Benyamin Netanyahou, mais je fais la distinction entre Israël et Netanyahou et je ne réduirai jamais le drame de Gaza à une forme de récupération politique. C’est cette ligne directrice que je souhaite que nous gardions. C’est la gauche républicaine.
RPP – Comment qualifiez-vous votre projet pour le PS ? Est-ce que vous vous revendiquez de la social-démocratie, de la gauche républicaine ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Mes figures c’est Pierre Mendès-France, c’est Léon Blum ! La gauche qui a des valeurs de gauche très fortes, mais qui reste fidèle à une éthique de responsabilité et de vérité. La radicalité, ce n’est pas le populisme.
Quand en 1936 Léon Blum prend les mesures portées par le Front populaire, notamment sur les congés payés, c’est une vraie révolution, c’est une vraie radicalité ; mais il n’y a aucun populisme. Mendès est aussi dans la vérité, dans un discours sincère et probe.
Fondamentalement, le socialisme que je porte s’ancre d’abord dans la lutte contre toutes les injustices : justice sociale, fiscale et environnementale. Ce sont les trois grands piliers. Ça c’est la vision de fond. Sur la forme, je m’astreins toujours à cette éthique de responsabilité et de vérité : dire ce que l’on fait, faire ce que l’on dit. Avoir le respect et l’exigence de l’universalité de la République. Ne pas instrumentaliser les thèmes, ne pas essentialiser les gens.
Pour être fidèle à ce socialisme, le Parti socialiste doit éviter deux écueils : confondre « populaire » et « populiste », confondre « central » et « centriste ». Lorsqu’il s’est abîmé dans ces écueils, il a généré de la désillusion et le départ d’électeurs pourtant socialistes vers Emmanuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Je me définis donc d’abord et avant tout comme un socialiste républicain.
Enfin, je revendique de la social-démocratie une éthique de méthode : la culture de la nuance, du dialogue démocratique, du respect de la démocratie sociale, des corps intermédiaires. Ni LFI ni Macron n’ont été exemplaires sur ce terrain-là, c’est le moins que l’on puisse dire.
RPP – Comment expliquez-vous la chute dans l’électorat du projet de gauche socialiste depuis l’élection de François Hollande en 2012 ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Je pense qu’il y a deux phases du socialisme récent qui expliquent cette perte de vitesse.
D’abord, une première période 2014-2017 de fin de quinquennat de François Hollande où il y a eu des mesures que je qualifierais d’erreurs (la loi travail) ou de fautes (la déchéance de nationalité), une forme de dérive vers le social-libéralisme. C’est la période de Manuel Valls à Matignon. Cela a conduit le PS à se retrouver en telle difficulté que François Hollande a dû renoncer à se représenter à l’élection présidentielle.
Mais il y a aussi une seconde phase sur laquelle on est moins focalisés : il s’est passé 7 à 8 ans depuis 2017, et dans ce laps, c’est le deuxième échec du PS, il n’y a pas eu assez de travail. Ce n’est pas normal que le PS ne se soit pas modernisé sur la forme et sur le fond, on ne peut pas faire l’économie de cela.
Quand vous êtes à la barre d’un parti depuis 7-8 ans, vous ne pouvez pas ne pas avoir de bilan.
Le PS s’est-il imposé dans le paysage des idées ? Il s’est à l’inverse rétréci à un appareil en perte de militants. Cela s’est notamment vu lors de notre congrès de Nancy, en juin 2025.
RPP – Le Baromètre de la confiance po- litique du Cevipof souligne, année après année, l’ampleur de la défiance des Françaises et des Français vis-à-vis du monde politique. Qu’est-ce qui ne va pas dans notre modèle et que faudrait-il changer à notre démocratie ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Je milite pour une démocratie permanente. Je pense qu’il y a un contraste de plus en plus fort entre la réalité du quotidien et de l’autre côté, ce sentiment d’une déconnexion des élites politiques avec le peuple. C’est ce que j’appelle la démocratie intermittente où l’on vous demande tous les 5-6 ans votre avis, et il n’est pas même sûr que l’on en tienne compte.
Deux exemples de ce qui a conduit à cette déconnexion.
D’abord, la dissolution de 2024 : il y a un vote avec un très haut taux de participation, on vous demande votre avis et le résultat est assez net : le barrage au RN, un front républicain. De la même façon, en 2022 et même en 2017, l’élection d’Emmanuel Macron est permise grâce au barrage républicain. Est-ce que, derrière, Emmanuel Macron en a tenu compte ? À l’évidence non, et c’est une catastrophe. Le point le plus négatif du bilan d’Emmanuel Macron c’est de ne pas avoir tenu compte de ce front républicain. Les gens se sentent trahis.
Il y a un autre moment où cette déconnexion a été très marquée, c’est à la suite de la victoire du « non » au référendum pour l’adhésion au projet de Traité portant Constitution pour l’Union européenne en 2005. Quoi qu’on en pense, le résultat démocratique était clair. Pourtant, il n’en a absolument pas été tenu compte. Là encore, les Français se sont sentis trahis. Nous le payons encore aujourd’hui.
Une démocratie permanente est urgemment nécessaire. Elle devrait s’appuyer sur deux principes simples :
Premier principe : respecter le vote des Français ! Quand, à l’issue des élections législatives post-dissolution, personne n’a la majorité absolue, mais c’est bien la gauche qui arrive en tête, on donne le leadership pas tous les pouvoirs au bloc arrivé en tête. On ne nomme pas Michel Barnier, qui, quelles que soient ses qualités, est issu d’un parti qui a fait à peine 5 %.
Second principe : plus de co-construction, de consultations, plus de votations, même numériques, même locales, comme dans les pays scandinaves. À Rouen, je fais des votations citoyennes très fréquemment et les gens s’en emparent. Ça marche !
RPP – Est-ce qu’un renouveau de la décentralisation peut être une condition de ce renouveau démocratique ?
Nicolas Mayer-Rossignol – Sûrement, car tout ce qui rapproche la décision démocratique du citoyen va dans le bon sens. Mais avec deux garde-fous majeurs.
D’abord, il faut qu’une nouvelle réforme conduise à plus de lisibilité. Le problème majeur des réformes de décentralisation jusqu’à présent est de ne pas avoir traité en parallèle déconcentration, décentralisation et gestion du territoire. En France, on ne simplifie pas et cela crée un vrai problème de lisibilité. En clair : personne n’y comprend plus rien !
Ensuite, il ne faut pas qu’une réforme de décentralisation exonère l’État de ses responsabilités tant dans l’unité du territoire que dans l’animation de la démocratie citoyenne. Les États scandinaves sollicitent par exemple plus les citoyens que les Français, au quotidien. Je ne souhaite pas que le renouveau de la décentralisation conduise à la fin de l’unité de la République avec plus d’inégalités dans les territoires et entre les territoires.
Deux principes donc : la lisibilité et l’unité républicaine.
RPP – Qu’est-ce que la gauche aujourd’hui pour vous ? Quelles sont ses valeurs si vous deviez nous les donner en trois mots ?
Nicolas Mayer-Rossignol – La justice, l’humanisme, la République.
La justice, c’est-à-dire la lutte contre toutes les formes d’inégalités avec au moins trois piliers d’inégalités : les inégalités sociales, d’abord. Suivant où vous vivez, où vous êtes né, où vous habitez, vous n’aurez pas les mêmes chances, et cela vaut de l’école primaire au supérieur, tout au long de la vie. C’est insupportable. Les injustices fiscales ensuite, très aggravées avec Emmanuel Macron : nous sommes devenus un pays où la rente paie plus que le travail. Et plus vous êtes riche, moins en proportion vous payez d’impôts ! C’est profondément injuste. Nous, nous devons défendre le fait que le travail doit payer plus. Enfin, les injustices environnementales, on voit bien au niveau local, au quotidien que tous les enjeux écologiques très forts s’abattent sur les plus faibles. À la gauche d’inverser les choses.
L’humanisme ensuite : remettre de l’humain, non pas au cœur, mais au centre de tout. Je pense bien sûr à notre politique migratoire. Comment nous, Européens, pouvons-nous accepter que notre mare nostrum, la Mer méditerranée, soit devenue un cimetière à ciel ouvert pour des milliers d’êtres humains chaque année ? Dans un tout autre registre évidemment, moins dramatique mais très éclairant, un exemple très concret est Parcoursup, un système vécu comme inhumain et très injuste par les jeunes et leurs familles. Il faut remettre à tous les niveaux de l’humanité, à travers l’éducation, la mixité, la culture. La culture qui rassemble, exigeante et populaire, qui fédère, comme dans le sport également. Regardez les cérémonies olympiques du Rouennais Thomas Jolly : quelle réussite et quelle fierté ! Voilà la France qu’on aime.
La République enfin : fondement de l’unité, de ce qui nous permet de faire société, ensemble.
Finalement, les trois mots ramènent au commun, à l’unité, à éviter tout séparatisme.
Je suis un scientifique de formation. Dans la culture scientifique, les fondamentaux sont le sens critique, le doute, la curiosité, la recherche et la compréhension de l’altérité. C’est l’inverse de l’ignorance qui conduit à l’intolérance. Le politique, comme le scientifique, devrait s’appuyer toujours sur ces valeurs.
Je ressens profondément que cette manière de voir le monde est très attaquée aujourd’hui. On parle de la progression du RN au plan électoral, mais c’est beaucoup plus global, c’est aussi une progression mondiale et une remise en cause profonde de la philosophie des Lumières, de l’État de droit, de la compréhension de l’Autre. C’est l’exemple actuel de la politique de Donald Trump avec la communauté scientifique. En réalité c’est très clairement une offensive idéologique réactionnaire. Nous devons résister à toute force.
Pour conclure, j’aimerais ajouter la notion d’espoir. J’ai dit qu’il y avait une forte attente pour beaucoup de Français. Je crois qu’il faut y lire de l’espoir. Beaucoup de gens sont déçus, très inquiets de l’état du pays, de l’état du monde mais conservent cet espoir que l’espace politique dont ils sont orphelins, celui d’une gauche fidèle à ses valeurs et intrinsèquement républicaine, soit un jour comblé. Je fais partie de celles et ceux qui se battent pour que cet espoir se concrétise.
Nicolas Mayer-Rossignol
Premier secrétaire délégué du Parti socialiste
Président de la Métropole Rouen Normandie Maire de Rouen
(Propos recueillis par Anne-Charlène Bezzina et Bruno Cautrès)


















