Il était perçu comme le clone d’Emmanuel Macron, sa doublure, son vassal, voire un courtisan aux ordres. Pourtant le « moine-soldat », ainsi que le Premier ministre démissionnaire s’était lui-même qualifié avant d’être renommé à Matignon, prend aujourd’hui publiquement ses distances avec son chef. En apparence en tout cas.
C’est la deuxième fois en dix jours que Sébastien Lecornu contredit le président de la République. Premier écart mardi 21 octobre : s’exprimant dans la matinée en direct de Lubljana, capitale de la Slovénie, où il est en déplacement, Macron décrète à propos de la réforme des retraites qu’il s’agit d’un simple « décalage » dans le temps mais en aucun cas d’une suspension ou d’une abrogation.
Quelques heures plus tard, dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale, ignorant l’injonction présidentielle, le chef du gouvernement réaffirme devant les députés son « engagement » à ce que le débat ait lieu sur la suspension. Surtout, il annonce, à la surprise générale, que le Conseil d’Etat a été saisi la nuit précédente d’une lettre rectificative au budget de la Sécurité sociale, budget qui doit être adopté en Conseil des ministres deux jours plus tard.
Cette solution, évoquée le week-end précédent par le constitutionnaliste Benjamin Morel, garantit la suspension de la réforme négociée par les socialistes même en cas de rejet du budget ou de dépassement des délais des discussions parlementaires. De quoi rassurer le PS… et faire peu de cas des propos du chef de l’Etat.
Rebelote cette semaine. Ce jeudi 30 octobre, le Rassemblement national pavoise, ravi de son bon coup politique et médiatique. Sa proposition de résolution pour une dénonciation des accords franco-algériens de 1968 a été adoptée à une courte majorité. Et ce, d’une part grâce à l’absence des députés Renaissance, à commencer par celle de Gabriel Attal qui avait pourtant pris position l’an dernier pour une dénonciation de ces accords, mais qui avait manifestement piscine ce matin-là, et, d’autre part, à l’apport des voix d’une partie des députés Les Républicains et d’Horizons, le parti d’Edouard Philippe. Rien d’étonnant sur le fond : Bruno Retailleau et le maire du Havre réclament cette mesure depuis longtemps. Tandis que la gauche s’indigne de cette alliance des droites et de l’évaporation de bon nombre de parlementaires macronistes, Sébastien Lecornu, lui, n’hésite pas à s’inviter dans le domaine réservé du chef de l’Etat. En fin de journée devant les journalistes qui suivent sa visite dans la Manche, il déclare qu’il est favorable à une « renégociation » des accords de 1968 avec l’Algérie au motif qu’ils sont aujourd’hui datés.
Certes, le Premier ministre a pris moult précautions en soulignant que les traités internationaux sont de la compétence du président de la République ; certes, en août dernier, Emmanuel Macron avait durci le ton à l’égard de l’Algérie en appelant notamment son Premier ministre François Bayrou à suspendre un accord de 2013 « concernant les exemptions de visa sur les passeports officiels et diplomatiques ». Certes… Mais, il n’empêche. Comparée aux valses-hésitations de Macron sur le sujet depuis plusieurs années, comparée encore aux récents propos conciliants sur le dossier algérien du ministre de l’Intérieur Laurent Nunez, proche du chef de l’Etat – que Lecornu désavoue au passage -, la prise de position claire de Lecornu apparaît comme une prise d’autonomie. Il le sait : pour avoir donné beaucoup de gages aux socialistes ces derniers temps dans le débat budgétaire, il lui faut aussi rassurer sur sa droite.
Jeu de rôles ou véritable émancipation ? Une chose est sûre : Sébastien Lecornu a d’ores et déjà marqué un point. Si Macron venait à rappeler son hostilité initiale à une refonte des accords de 1968, l’émancipation du chef du gouvernement serait actée. A l’inverse, si le président évoluait résolument sur ce dossier en assumant publiquement la nécessité d’une nouvelle donne, les mauvaises langues ne se priveront pas de suggérer qu’il est à la remorque de son Premier ministre… Dans les deux cas, Sébastien Lecornu en sortirait gagnant dans l’opinion, majoritairement acquise, y compris à gauche, à un durcissement de la politique migratoire.
Carole Barjon
Editorialiste

 
			













