Le 69e Président bolivien, Rodrigo Paz Pereira, classé au centre-droit, a prêté serment il y a quatre jours à La Paz. Dans ce pays de 11,3 millions d’habitants d’Amérique du Sud, la victoire de la droite résulte de l’effondrement du parti au pouvoir depuis 2006, le Mouvement vers le Socialisme (MAS) de l’ancien Président Evo Morales. Quels seront les conséquences de ce scrutin sur l’ensemble du continent latino-américain ? Décryptage.
Un pays affaibli et divisé
La victoire de la droite s’explique d’abord par la division de la gauche au pouvoir. La précampagne électorale a en effet été perturbée par l’ancien président Evo Morales qui exigeait de pouvoir se présenter au scrutin présidentiel malgré une décision contraire du Tribunal constitutionnel en décembre 2023. Nostalgique du pouvoir autocratique qu’il a exercé jusqu’en 2019 et en conflit ouvert avec le sortant Luis Arce, pourtant son ex-dauphin1, Evo Morales s’est retranché dans son fief du Chapare, en incitant ses soutiens, dont les producteurs de coca, à bloquer des routes pendant plusieurs mois. Il a fini par appeler ses partisans à voter nul en signe d’ultime protestation.
La Bolivie est entrée en campagne en 2025, alors que sévissait sa pire crise économique en quatre décennies et que la population était lassée d’un pouvoir politique n’ayant pas tenu ses promesses. Entre 2006 et 2018, le pays a vécu un véritable miracle économique : PIB multiplié par quatre, taux de pauvreté réduit de moitié, croissance économique à 7% jusqu’en 2013. Evo Morales avait mis en place une politique de large redistribution des richesses en bénéficiant de la hausse du cours des matières premières (gaz, lithium, fer, cuivre, zinc, étain, argent). Mais, il a ensuite ignoré les alertes de ses économistes sur le besoin de diversifier une économie trop dépendante du secteur extractiviste2. Depuis 2020 et le Covid, la crise économique s’est installée. La campagne électorale s’est donc déroulée sur fond de mécontentement populaire, d’inflation historique, de difficultés d’importation de carburants et d’épuisement des réserves de devises étrangères (dollar), sans compter le thème de l’insécurité (lié au narcotrafic) et les critiques contre la diplomatie du gouvernement masiste qui s’était allié aux régimes autoritaires (Russie, Chine, Iran) et s’était opposé aux Etats-Unis3.
Le renouvellement du paysage politique
Pour les 7,5 millions d’électeurs, les résultats des élections générales ont été à la fois conformes aux prévisions et surprenants par certains aspects.
L’effondrement de la gauche et la victoire de la droite
Lors du premier tour du scrutin présidentiel du 17 août 2025, la lourde défaite de la gauche et la victoire de la droite étaient annoncées, mais pas forcément dans l’ordre annoncé par les enquêtes d’opinion. Les sondages plaçaient le plus souvent Rodrigo Paz Pereira en cinquième position, avec seulement 4 à 9% des intentions de vote.
Une des surprises de ce premier tour réside dans la « débâcle » de la gauche4. Cet échec était attendu, mais pas à ce niveau. La gauche obtient péniblement 11,7% des voix, avec le socialiste et Président sortant du Sénat Andrónico Rodríguez (8,5%) et le candidat officiel du MAS Eduardo del Castillo (3,2%)5. Ce constat doit être nuancé par les 19,9% de votes nuls, Evo Morales ayant appelé en effet à voter nul.
Ce sont finalement Rodrigo Paz Pereira et Jorge Tuto Quiroga qui se sont qualifiés pour le second tour du scrutin présidentiel du 19 octobre, avec respectivement 32% et 26,7% des voix. À 58 ans, classé au centre-droit, le premier est connu pour être le fils de l’ancien Président de centre-gauche Jaime Paz Zamora (1989-1993) : il était sénateur depuis 2020, après avoir été député et maire de Tajira. À 65 ans, le second se définit comme « néolibéral » et a été Vice-président du Président Hugo Banzer Suárez (1997 à 2001), à qui il a succédé pour terminer la dernière année de son mandat (2001-2002). Le second tour de l’élection présidentielle s’est conclu par la large victoire de Rodrigo Paz Pereira (54,6%) face à Jorge Tuto Quiroga (45,4%).
Le Parlement totalement renouvelé
Avec ces résultats, le visage du Parlement se transforme radicalement. D’un côté, le MAS se retrouve sans sénateur (- 21 sièges) et avec seulement 2 députés (- 65 sièges). Le nouveau parti socialiste (Alliance populaire), dissident du MAS, obtient 8 députés.
De leur côté, les quatre formations politiques de droite cumulent 119 députés sur 130 et la totalité des 36 sénateurs. Le Parti démocrate-chrétien de Rodrigo Paz Pereira arrive en tête à la chambre des députés (49) et au Sénat (16), sans atteindre seul la majorité absolue. Il est donc contraint de former des alliances pour gouverner, avec l’Alliance Libre de Tuto Quiroga, et/ou l’Unité de Samuel Medina : ces deux partis ont fait savoir qu’ils étaient disposés à soutenir le nouveau Président.
Une nouvelle donne géopolitique
En définitive, le nouveau chef de l’État va conduire une politique de réforme en évitant de créer une crispation sociale qui pourrait paralyser son action. Il va tenter d’appliquer son programme réformiste résumé par le slogan « un capitalisme pour tous ». Il entend réduire le déficit budgétaire en baissant progressivement les subventions aux carburants, avant de procéder à un nouvel endettement destiné à financer un programme de crédits accessibles à tous et des allégements fiscaux pour relancer l’économie. Il souhaite aussi favoriser et l’ouverture des ressources naturelles au secteur privé6.
Sur le plan extérieur, Rodrigo Paz Pereira a confirmé qu’il rétablira les relations diplomatiques avec Washington et qu’il révisera, sans rupture brutale, la position de La Paz au sein des BRICS+7 et du Sud global. Concept géopolitique récent, le Sud global désigne un ensemble de pays en développement qui cherchent à mettre fin, dans les relations internationales, à la prépondérance occidentale issue du système financier mondial des accords de Bretton Woods de 1944 : cette coalition hétérogène sert avant tout les intérêts de la Russie et de la Chine, hostiles aux démocraties occidentales et aux valeurs libérales qu’elles véhiculent8. Avant même son investiture, le Président élu a rencontré le Secrétaire d’État américain Marco Rubio, qui l’a assuré de la volonté des Etats-Unis d’engager « une alliance solide avec la Bolivie »9. En somme, l’élection de Rodrigo Paz Pereira annonce une nouvelle donne pour le continent américain. Donald Trump dispose d’un nouvel allié en Amérique du Sud dans le cadre de la rivalité entre le Sud global et l’Occident global.
David Biroste
Docteur en droit
Vice-président de l’association France – Amérique latine (latfran.org)
source: domaine public / compte Flickr de la Présidence de la République d’Equateur
- Philippe Boulanger, « La Bolivie d’Evo Morales : vers la dictature ? », Études, Octobre 2019 ; Glaeldys González Calanche, « Counting the Costs of Bolivia’s High-level Schism », International Crisis Group, 6 décembre 2024. ↩
- Nils Sabin, « Bolivie : comprendre la crise économique qui frappe le pays », RFI, 21 juin 2025. ↩
- Jhanisse Vaca, « Daza, Why Bolivia’s Election Matters So Much », Journal of Democracy, Août 2025. ↩
- Lina Sankari, « Bolivie : la gauche éliminée au premier tour », L’Humanité, 18 août 2025. ↩
- Clotilde Dumay, « Bolivie : la gauche chassée du pouvoir après 20 ans de règne », RFI, 18 août 2025 ↩
- Paul-Joseph Boudaloux, « Héritier politique et capitaliste « pour tous » », Ouest France, 20 octobre 2025. ↩
- Genevieve Glatsky, « Elección presidencial en Bolivia: esto hay que saber », The New York Times, 19 octobre 2025. Souhaitant rivaliser avec le G7, le groupe des BRICS+ est constitué de dix pays : Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, Iran, Égypte, Émirats arabes unis, Indonésie, Éthiopie. La Bolivie en est un partenaire depuis janvier 2025. ↩
- Pascal Drouhaud, « La tentation du « Sud global » », Revue Défense Nationale, n° 865, Décembre 2023 ; Renée Fregos, « Le « Sud global », coalition virtuelle, menace réelle », Revue politique et parlementaire, 16 mai 2024. ↩
- Mauricio Torres, « Marco Rubio se reúne con Rodrigo Paz y promete “una asociación sólida” », CNN, 31 octobre 2025. ↩



















