Dix ans après le 13 novembre 2015, la commémoration des attentats islamistes permet de se souvenir et de perpétuer une émotion commune. Cette communion est nécessaire et souhaitable. Mais la mission des acteurs publics est aussi de dépasser cette émotion pour lutter avec rationalité contre une menace désormais endogène.
Indignation, colère, peur aussi, les sentiments les plus forts ont traversé le pays le 13 novembre 2015. Dix mois après les attentats contre Charlie Hebdo, la jeune policière Clarissa Jean-Philippe et l’Hypercacher, le terrorisme islamiste visait encore la liberté, la jeunesse et la joie de vivre. En choisissant le Bataclan, un lieu de concert, des terrasses de restaurants, un stade de foot, il désignait explicitement notre mode de vie. L’indignation était partagée par tous les Français attachés à cette liberté. Cette émotion et la solidarité envers les victimes et leurs proches étaient également palpables lors des cérémonies organisées dix ans plus tard.
Entretemps, de nombreux attentats ont été déjoués par les services de sécurité, le travail de prévention porte ses fruits. Pourtant, la menace a progressé. Elle a pris une nouvelle forme. Venue à l’origine de commandos formés à l’étranger et infiltrés dans le pays, elle est désormais le fait d’individus souvent jeunes, nés ou grandis en France, qui se sont auto-radicalisés.
Face à un tel phénomène, l’émotion est compréhensible, mais pas suffisante. Certes, elle rassemble une grande majorité de Français, mais l’indignation ne peut être que le point de départ d’une action communément acceptée, pas son point d’arrivée. L’indignation en tant que telle n’apporte aucune solution.
Pourtant, trop nombreux sont les acteurs politiques qui s’en tiennent à ce registre. Bien sûr, face à ceux qui, dès janvier 2015, refusent de se reconnaitre dans la formule « Je suis Charlie », l’indignation est compréhensible. Mais à quoi mène-t-elle ? Un rejet de ce phénomène sans le traiter au fond. Ceux qui sont visés par cette indignation en brandissent une autre en retour. Quant à ceux qui veulent combattre les ravages de l’islamisme politique, ils sont accusés d’être les ennemis des musulmans. Émotion contre émotion, aucune place pour la raison, encore moins pour l’action.
Le débat politique n’est pas alors un débat fondé sur des argumentaires réfléchis mais sur une rivalité d’émotions. Ces invectives divisent et fragilisent la communauté nationale. C’est l’objectif de l’islamisme politique qui se moque des débats rationnels et mène une bataille culturelle en développant un « djihadisme d’atmosphère » décrit par Gilles Kepel.
Les responsables politiques ont tellement été accusés d’être déconnectés de la réalité qu’ils croient démontrer leur enracinement en se contentant de partager l’émotion de leurs électeurs. Quand de jeunes Français refusent de « se dire Charlie », la mission du responsable politique est d’aller au-delà de cette émotion pour élaborer, proposer et mettre en œuvre des solutions. Cela ne peut se faire qu’avec lucidité et avec la capacité d’exposer des positions difficiles, complexes, et malheureusement faciles à caricaturer sous le terme d’islamophobie. Ce courage impose de ne pas craindre de revendiquer avec fierté nos valeurs communes et de reconnaitre nos failles et nos dénis avec lucidité. Cela réclame du courage.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste



















