Alors que Michel Barnier escomptait demander 9 milliards d’euros d’économies aux collectivités territoriales, les débats parlementaires et le Congrès des Maires de France (AMF) auront eu raison de son ambition. Seulement, face au dérapage de nos finances publiques, nous devons acter la fin de la décentralisation pour sauver nos comptes publics.
La décentralisation a coûté cher à l’État.
À la suite de la décentralisation initiée en 1982 avec les lois Defferre, les dépenses publiques des collectivités se sont envolées. Entre 1983 et 2018, les dépenses des administrations publiques locales (APUL) ont été multipliées par 4,6. Elles représentaient 8,6 % du PIB en 2018 contre 11,4 % en 2023, selon le ministère du Budget. Si les collectivités dépensaient le même niveau de dépense qu’en 1983 rapporté à la richesse nationale, la France dépenserait 78,4 milliards d’euros de moins, soit l’équivalent du budget de l’Éducation nationale !
De surcroît, les collectivités territoriales dépensent mal. Entre 1983 et 2018, les dépenses de fonctionnement des APUL sont passées de 72% à 78% de leurs dépenses totales, tandis que la part consacrée à l’investissement a diminué de 28% à 22%[2]. Car la décentralisation s’est accompagnée de la bureaucratisation : les dépenses de personnel ont augmenté plus vite dans l’administration territoriale (+2,5% par an depuis 1983) que dans l’administration d’État (+1,3% par an) ou dans les administrations de la sécurité sociale (+2,1% par an).
On pourrait penser que les collectivités dépensent plus, car elles font plus, mais ce n’est pas le cas. L’augmentation de leur périmètre d’intervention, soit la décentralisation territoriale des compétences, n’explique que 64% de la hausse des dépenses des collectivités (1,63 point de PIB sur 2,53 points de PIB)[3].
De même, les collectivités ne dépensent pas plus pour un meilleur service public, puisque les Français affirment, dans toutes les enquêtes d’opinion ou dans les mobilisations comme les Gilets Jaunes, manquer de services publics, tant en qualité qu’en quantité. In fine, nous souffrons des mêmes maux que l’État central, mais en les démultipliant.
Actons la fin de la décentralisation
Au-delà de coûter cher à l’État, la décentralisation est un moteur de l’impuissance publique. La libre administration des collectivités territoriales (article 72 de la Constitution) fait que l’État a perdu le contrôle. D’une part, il est difficile pour l’État de piloter les dépenses de fonctionnement, notamment de personnel d’une collectivité, avec uniquement la DGF. Les élus locaux qui doivent présenter des budgets à l’équilibre, peuvent contourner les contraintes en reportant des dépenses à des années ultérieures, en s’endettant sur des projets d’investissements masquant en réalité des dépenses de fonctionnement ou encore en budgétisant des recettes attendues, comme la mairie de Paris avec les bailleurs sociaux.
D’autre part, de nombreuses politiques publiques sont devenues illisibles avec la décentralisation, car elle a créé un enchevêtrement de compétences. Par exemple, toutes collectivités gèrent une partie de la « politique de la ville », les communes au titre du logement et de l’urbanisme, les départements au titre de l’aide sociale et les régions au titre de la politique d’aménagement du territoire et de la politique d’emploi.
Pour rompre avec l’impuissance publique et réaliser des économies, nous devons acter la fin de la décentralisation. Il sera impossible de résoudre les problèmes actuels avec des remèdes qui ont contribué à les créer. Au lieu d’imaginer un Acte V, la France doit rationaliser les dépenses de son mille-feuille territorial en réduisant le nombre de communes qui pèsent 41 % de la dépense des collectivités. La moitié des communes de l’Union Européenne sont françaises !
La France doit privilégier le retour d’un État efficace en privilégiant une déconcentration débureaucratisée (autonomie plus forte des hôpitaux, etc.) à la décentralisation pour recréer des services publics de proximité, à la main d’un État réformé et meilleur gestionnaire.
Matthieu Hocque, directeur adjoint des Études du Millénaire, spécialiste des politiques publiques
Jonathan Bevis, analyste au Millénaire, auteur du rapport « Quel est le bilan de la décentralisation ? »