Il y a des pays, que l’on pourrait qualifier de civilisés ou modernes, dont les populations accordent de plus en plus d’importance au bien-être animal. C’est le cas particulièrement des poules pondeuses. Il a été prouvé que ces gallinacées avaient un meilleur rendement en quantité et qualité d’œufs pondus lorsqu’elles étaient élevées dans de bonnes conditions d’hygiène, de nourriture et d’accès à la prairie. Ainsi, le label « poules élevées en plein air » fait-il désormais la différence pour l’achat d’une boîte d’œufs. Ce qui est valable pour de simples volatiles l’est aussi pour différents mammifères pour lesquels la qualité de vie permet une production optimale de ce pourquoi on les élève.
Il semble donc que les talibans ne soient pas en mesure d’appliquer ces règles de bon sens à la production de leur progéniture. En effet, ils considèrent que la femme afghane n’est qu’un vecteur destiné à procréer, n’ayant aucun des droits universellement reconnus à tout être humain. Pour eux, la femme ne doit pas être instruite, elle doit vivre enfermée sans aucune vie sociale, elle doit être exclusivement au service de son mari, lui faire des enfants et les élever. Corvéable à merci, elle ne doit pas se plaindre, et lorsqu’elle ne remplit plus son office, il est d’usage d’en changer. Ainsi, nul besoin de s’intéresser au fait que la femme afghane soit heureuse ou pas, épanouie ou non… Et qu’importe donc la santé des enfants qu’elles sont en demeure de faire !
Depuis leur retour au pouvoir, le 15 août 2021, les femmes afghanes ont été prises dans une nasse qui les étrangle et les asphyxie chaque jour un peu plus. Plus d’une centaine de décrets repris dans une loi en juillet 2024 ont totalement annihilé toute vie sociale, toute liberté, toute dignité et tout espoir d’avenir aux femmes et aux filles d’Afghanistan. Désormais elles n’ont même plus le droit de parler à voix haute, de chanter et surtout d’être vues. Elles sont condamnées à la prison à vie dès leur naissance pour le seul crime d’être nées de sexe féminin.
Nulle part au monde un groupe humain n’est ainsi traité à l’échelle de tout un pays. Certes, il existe des régions où les femmes sont victimes de barbaries dans des conflits armés. C’est le cas, par exemple, au Kivu en RDC ; mais aussi horribles que soient les exactions commises, il ne s’agit pas de la négation de l’identité humaine de la moitié d’une population.
Les femmes afghanes n’ont plus aucun des droits élémentaires liés au fait d’être de l’espèce humaine : plus le droit de sortir, plus le droit de rencontrer des personnes en dehors de leur famille, plus le droit de se soigner ni d’apprendre à bien s’occuper de leurs enfants, etc. Alors en reprenant l’image de la lutte contre la souffrance animale, les talibans devraient se poser la question de la qualité de leur progéniture sur le moyen et long terme. Des femmes devenues de plus en plus dépressives, malades, manquant de grand air et de vie sociale, ne pourront pas produire des enfants robustes et sains. Ainsi, l’avenir de la qualité des futurs talibans risque-t-il de devenir problématique.
Mais au-delà du cynisme, la situation d’une telle mise à l’écart des femmes et des filles de ce pays crée une véritable bombe à retardement en matière sanitaire. Les enfants ne sont plus vaccinés, il n’y a plus d’infirmières et encore moins de femmes médecins pour soigner les femmes, il n’y a plus de formation ou même d’information et de prévention sanitaire envers les femmes et les mères. Déjà, les cas de maladies qui avaient été maîtrisées, voire même éradicées, refont surface de manière inquiétante, telles que la rougeole, la poliomyélite ou la tuberculose. L’Afghanistan avait déjà les taux de mortalité maternelle et infantile les plus élevés du monde. Que va-t-il en être désormais ? Des associations tentent de poursuivre des formations à distance pour les femmes dans divers domaines, mais outre le fait que cela devient de plus en plus dangereux, c’est à l’évidence bien insuffisant.
La Cour Pénale Internationale, la CPI, vient de timidement engager une procédure pour crime contre l’humanité contre deux hauts responsables talibans, Abdul Hakim Haqqani et le chef suprême, Haibatullah Akhunzada, au regard des sanctions prises à l’égard des femmes afghanes. Après des mois de tergiversations sur la qualification, qui pourtant me paraissait évidente en application de l’article 7 du Statut de Rome de la CPI, il s’agit là d’une première étape qui devrait ouvrir la voie vers d’autres inculpations. Certes, cela n’inquiètera pas les talibans, puisqu’ils ne reconnaissent aucune norme internationale, mais au moins, enfin, la communauté internationale montre que le calvaire des femmes afghanes est reconnu; elle qualifie leur situation de victime, nomme les crimes et dénonce les bourreaux. Et il faut espérer maintenant que cela permettra de freiner les ardeurs de quelques pays prêts à pactiser, pour quelques menus avantages économiques, avec ce régime mortifère envers les femmes.
De Françoise HOSTALIER
Présidente du Club France-Afghanistan
Ancienne secrétaire d’État à l’Enseignement scolaire