Sortons du débat stérile sur l’âge légal de départ à la retraite et renversons la perspective. Améliorer d’abord l’emploi des seniors et chercher à répondre au refus de travailler plus longtemps sont deux leviers à mobiliser en priorité.
Changer les représentations de l’âge et favoriser l’emploi des seniors apparaissent des nécessités avant toute réforme des retraites. Comment évoquer de travailler plus longtemps, si les plus de 50 ans continuent d’être évincés au sein des entreprises ?
Rappelons que seulement 56,1 % des 55-64 ans sont en emploi1.
C’est là, où il faut agir. Les seniors, avec leurs compétences et leur envie de travailler sont une chance pour les entreprises. Encore faut-il changer de regard.
Chez une grande partie des dirigeants d’entreprise, l’image des seniors est encore associée à une charge économique, un problème de cohésion interne, un risque de productivité… Pour 35 % des recruteurs, les seniors ont du mal à s’intégrer dans un collectif de jeunes et à s’adapter aux évolutions technologiques2. Les vieilles images ont la peau dure.
En parallèle, le désir de retraite est bel et bien là. Ainsi, 77 % des classes moyennes inférieures et modestes et 85 % des plus pauvres sont favorables à la retraite à 60 ans, contre seulement 35 % du côté des catégories aisées3. Si 42 % des Français se déclarent prêts à travailler jusqu’à 64 ou 65 ans pour avoir une bonne retraite, seulement 39 % des ouvriers sont d’accord mais 62 % des cadres4. Une position largement corrélée au sentiment de reconnaissance, ou non, ou à la situation sociale.
Souvent, le travail reste associé à de la souffrance, au sentiment d’être méprisé et au manque de sens. Il est symptomatique que le mot métier soit remplacé par poste, job, place…
Travail de contrainte ou métier de vocation
A la question « qu’est-ce qui est très important dans votre vie ? », la place du travail a perdu 36 points en 21 ans ! Entre 1990 et 2021, on passe de 60 % des Français qui citent le travail comme très important à seulement 24 %5. Est-ce le travail qui a perdu de sa puissance ou son sens qui s’éteint ? Est-ce le travail qui apparaît de plus en plus comme une contrainte et de moins en moins comme une vocation ?
Les temps de Covid ont été suivi d’une autre épidémie : la disparition de l’envie de travail !
Une partie des jeunes, en particulier, semblent, ne plus vouloir s’investir dans le travail. Le télé-travail apparaît aussi comme un bon moyen d’éviter les contraintes et le collectif. Avec les confinements, une partie de la population a connu le chômage technique. Certains, quel que soit l’âge, y ont pris goût… D’autres ont eu envie de changer, de (re)trouver de l’utilité dans leur activité professionnelle et du sens dans leur vie personnelle.
Dans ce contexte, les entreprises qui ont de plus en plus de mal à recruter devraient regarder du côté des seniors.
Soutenir l’emploi des seniors
Il n’y a pas de solution unique pour favoriser l’emploi des seniors et encore plus des femmes qui sont doublement pénalisées. Il s’agit d’abord – et cela vaut pour l’ensemble des âges – de (re)donner du sens au travail. L’être humain a besoin de se sentir utile et reconnu, et d’abord dans son activité.
Sur un plan plus technique, pensons à une approche progressive du départ à la retraite. Dans les années 1980, l’économiste Dominique Taddéi, proposait, déjà, une retraite à la carte où le salarié senior pourrait progressivement réduire son temps de travail. Une approche qui serait bénéfique en termes de santé publique, car le passage brutal à la retraite reste un choc difficile à vivre pour quantité de personnes.
La fin de la vie professionnelle pourrait être aussi un temps dédié à la transmission de savoir-faire entre l’expérimenté et celui découvrant le métier. Relançons l’idée du contrat de génération en la rendant plus simple et plus valorisante pour les deux parties.
Une société de la longévité, c’est monde du temps long. Construire des parcours professionnels plus longs serait d’autant plus accepté s’ils comprenaient des périodes de respiration. Tous les dix ans, il serait possible de prendre un temps pour soi, pour se former, ou pour s’impliquer dans la vie collective. Ce serait une façon de se décentrer, de s’ouvrir au monde, d’améliorer sa qualité de vie comme ses compétences.
Mais cette société de la longévité implique aussi, au long de la vie professionnelle, de soutenir des politiques actives de la prévention centrées aussi bien sur la santé (en ce cens l’instauration par le ministre François Braun de trois visites médicales à 25, 45 et 65 ans est une avancée), la qualité de vie (comme la mobilisation en entreprise d’approches non médicamenteuses proposée par l’Agence des Médecines Complémentaires Adaptées) que de développer l’acquisition de compétences à tout âge (par la VAE, mais aussi en proposant des formations avec une pédagogie adaptée).
Pensons aussi à la piste des PME et TPE qui n’ont pas nécessité d’employer un expert à plein temps. Elles peuvent, en se groupant à plusieurs employeurs, offrir des conditions satisfaisantes d’activité à un salarié expérimenté.
Enfin, orienter l’emploi des seniors vers des métiers de la relation (accompagnement en formation des jeunes comme des seniors, soutien aux aidants, aux plus fragiles …), est une autre piste. Profiter de ses dernières années de vie professionnelle pour s’orienter vers des métiers du care et du « cœur »6 c’est aussi trouver du sens à son parcours professionnel.
Sortons du fétichisme de l’âge, donnons priorité à la prévention et au soutien à l’emploi des seniors pour renforcer les chances de réussir la société de la longévité.
Serge Guérin
Sociologue, Professeur à l’INSEEC GE
Auteur de La société résiliente, avec V Fournier, Fauves, 2022, et Les Quincados, Calmann-Levy, 2019
- Les seniors et le marché du travail, Dares, avril 2022 ↩
- Etudes Ipsos, novembre 2022 ↩
- Sondage Ifop, février 2022 ↩
- Barometre du Cercle de l’Épargne /Amphitéa, de mai 2022 ↩
- Fondation Jean-Jaures et Ifop, Grosse fatigue et épidémie de flemme : quand une grande partie des Français a mis les pouces, novembre 2022 ↩
- David Goodhart, La tête, la main et le cœur : la lutte pour la dignité et le statut social au XXIe siècle, Éd. Les Arènes, 2020 ↩