Les images ont rapidement fait le tour du monde… Celles d’un Brésil dans le chaos où les lieux des institutions ont été attaquées par des partisans pro-Bolsonaro, ces images contrastent avec l’intronisation de Luiz Inacio Lula Da Silva qui prend les manettes du Brésil pour la troisième fois. Ce triste événement nous rappelle des scènes insurrectionnelles qui se sont déroulées le 6 janvier 2021 à Washington avec l’assaut du capitole par des partisans pro-Trump. Analyse.
Depuis le 1er janvier, le Brésil est dirigé par un nouveau président Lula Da Silva, connu de la politique pour ses deux mandats, sa Bolsa Familia et son emprisonnement pour des faits de corruption. Cette personnalité du paysage politique brésilien s’inscrit comme une vraie rupture par rapport à ce qui était fait sous Bolsonaro notamment au niveau social et au niveau de l’Amazonie. L’ancien président veut « remettre le Brésil au cœur de la scène internationale » et balayer la politique de Jair Bolsonaro. Du côté des votants pour Bolsonaro, certains continuent de croire que l’élection a été truquée ou qu’il y a eu des fraudes. Il faut rappeler que Lula a été élu avec moins de 51% des voix après plusieurs mois de campagne avec une violence sociale et politique.
Un retour à l’espoir et la démocratie pour certains, le déspoir pour d’autres. Depuis le résultat, plusieurs partisans ont manifesté devant des casernes militaires pour réclamer l’intervention de l’armée afin d’empêcher Lula de revenir au pouvoir.
Après son arrivée au pouvoir, Lula a déjà prévu de se rendre à l’étranger pour une visite officielle à Buenos Aires les 23 et 24 janvier dans le cadre du sommet de la Communauté des États d’Amérique latine et des Caraïbes (CELAC). Le président brésilien se rendra ensuite en Uruguay, aux États-Unis, en Chine et au Portugal. Mais avant, il va devoir gérer des problèmes internes dans un Brésil divisé politiquement et socialement qui est frappé par une inflation économique.
En effet, plus de 33 millions de Brésiliens souffrent de la faim, et le pouvoir d’achat des plus pauvres a été fortement impacté depuis la crise du Covid-19.
Un remake de l’assaut du Capitole ?
Des lieux de pouvoir clés du Brésil ont été envahis dimanche par des milliers de Bolsonaristes. Après quelques heures, la police a repris le contrôle de la situation et sécurisé les secteurs pris d’assaut. En déplacement à Araquara, dans l’État de Sao Paulo (sud-est), sinistré par des inondations, Lula a fermement condamné les agissements de ces “vandales fascistes”. En réponse, le président brésilien a publié le décret permettant l’intervention de l’armée dans la capitale politique. Tous les moyens doivent être mis en ordre pour rétablir l’ordre “jusqu’à la fin du mois de janvier”.
Si l’on compare avec ce qui s’est passé au Capitole le 6 janvier 2021, il s’agit également d’une attaque contre la démocratie, les institutions et le système électoral.
Dans ces mobilisations, on retrouve des manifestants politisés énervés contre un système qui a élu leurs candidats.
C’est le cas de Trump mais c’est aussi le cas Jair Bolsonaro. Ce dernier a critiqué le vote électronique mais c’est aussi ce moyen qui lui a permis d’arriver au pouvoir en 2018.
Cependant, si on remarque qu’il s’agit de la pire attaque contre les institutions brésiliennes depuis que la démocratie a été rétablie dans le pays il y a quatre décennies, il y a quand même quelques différences avec l’épisode du Capitole. C’est le rôle de l’armée et de la sécurité dans la protection des lieux de pouvoirs. Sur les images diffusées, des services de sécurité et de la police fédérale sont pointées du doigt pour avoir laissé passer les manifestants. De plus, le jour de l’attaque du Capitole à Washington, des membres du Congrès, du personnel de l’institution, ainsi que le vice-président de l’époque Mike Pence étaient présents et avaient dû être placés en sécurité. Du côté de Brasilia, les trois bâtiments attaqués étaient presque totalement vides.
Quand on voit ce qu’il s’est passé à Brasilia, capitale économique du Brésil, il est compliqué de qualifier l’événement : « Assaut »,« Invasion », « Coup de force » ,« Coup d’Etat » ,« Vandalisme » ,« Terrorisme »…
Si la tentative de coup d’état doit être prouvée avec un financement et la prise d’armes de l’armée, on est loin de ce scénario dans le cas du Brésil. On peut en revanche parler de vandalisme et provocation.
Bien qu’il s’agit d’un contexte post-électoral sous tensions dans les deux cas, l’attaque ne fait pas objet du même bilan. Concernant le Capitole, le bilan faisait état de cinq personnes décédées dont un policier et plusieurs blessés. Pour le cas de Brasilia, on évoque plusieurs blessés mais pas de décès.
Il est important de voir également que les réactions de Trump et Bolsonaro n’ont pas été les mêmes. En effet, dans le cas de Donald Trump, il a soutenu ses partisans avant de prôner la « non-violence » sur Twitter. Jair Bolsonaro a réagi après les événements, expliquant que « les déprédations et invasions de bâtiments publics (…) sont contraires à la règle ».
Un mandat Lula III qui s’annonce compliqué
Au Brésil, il y a une politique de plus en plus violente avec des partisans qui n’hésitent pas s’en prendre aux institutions. Cette violence sociale est aussi le symbole d’une Amérique latine devenue de plus en plus polarisée.
Être leader aujourd’hui en Amérique latine n’est pas de tout repos. Lula le sait bien. Le politique est scruté par tous les médias et les réseaux sociaux, c’est aussi la cible des partis d’opposition.
Les deux dernières décennies ont montré que plus de la moitié des anciens chefs d’État ont des affaires judiciaires pour corruption, certains allant même jusqu’à demander l’asile dans d’autres pays. Cette vague « rose » (gauche) ne peut donc fonctionner qu’avec une stabilité politique et sociale. L’une des premières difficultés que Lula va rencontrer, c’est celle de convaincre environ la moitié de l’électorat qui n’a pas voté pour lui. Un des défis majeurs c’est retrouver une sécurité dans un pays où beaucoup d’habitants se sont armés et n’hésitent plus à se faire vengeance eux mêmes. Un autre défi majeur est de trouver des alliances politiques pour faire passer ses réformes car le Parti libéral (PL) de Jair Bolsonaro est devenu la première formation à la Chambre des députés avec 99 sièges contre 80 pour les partisans de Lula.
Autre point important : les gouverneurs. Au Brésil, les gouverneurs peuvent prendre des décisions en matière d’éducation, de justice, de santé… Sur 27 États, 14 sont dirigés par des soutiens de Jair Bolsonaro dont Sao Paulo, l’État le plus riche du pays. La présence du bolsonarisme dans différents secteurs (militaire mais également commercial) va pousser Lula à chercher des compromis.
L’avenir de Jair Bolsonaro
Depuis l’arrivée au pouvoir de Lula, Jair Bolsonaro est resté discret médiatiquement s’accordant même un séjour à Orlando, en Floride (sud-est des États-Unis), évitant la passation de pouvoir avec Lula.
Celui qu’on nomme le «Trump des Tropiques» n’aurait-il pas dit son dernier mot politique ? Une chose est sûre c’est qu’il risque des poursuites judiciaires notamment pour sa politique avec les peuples autochtones ou encore sa gestion catastrophique de la crise de Covid-19.
Pour le moment, l’avenir de Jair Bolsonaro reste assez flou. En tout cas, il reste présent avec son idéologie extrême et conservatrice dans plusieurs strates de la société brésilienne. Il a affirmé avant l’élection « rester en retrait » de la vie politique en cas de défaite.
Guillaume ASSKARI
Journaliste, spécialiste de l’Amérique latine