Le cadrage par la Première ministre des négociations pour l’indemnisation du chômage laissait peu de marge de manœuvre aux négociateurs. Avec la dramaturgie habituelle ils ont trouvé à s’accorder sur un protocole qui semble satisfaire à l’ardente obligation qui leur était faite et porte quelques aménagements à l’indemnisation du chômage. Instinct de survie, sens du compromis, génie du paritarisme, éloge en creux de la mésentente ce protocole doit maintenant être validé par les organisations patronales et syndicales puis mis à l’agrément des services de l’État.
Le contenu du protocole d’accord n’est pas l’objet des réflexions que nous livrons ici. Il suffit de dire qu’il aménage favorablement les conditions d’accès au régime et certaines des modalités de l’indemnisation en contrepartie d’une légère baisse de la cotisation employeur dans le cadre d’un compromis dont les négociateurs disent, point aujourd’hui essentiel, qu’il respecte le cadrage gouvernemental.
Faisons l’hypothèse que l’accord des partenaires sociaux soit agréé par l’État. Cet agrément mettrait fin au régime de carence ouvert par les ordonnances et décrets de 2018, les partenaires sociaux retrouveraient ainsi la gestion pleine et entière de l’Unédic. Quel que soit le contenu de l’accord ce serait une victoire du paritarisme qui viendrait juste après celle remportée – provisoirement ? – par les mêmes partenaires sociaux à l’Agirc-Arrco. Ce serait une victoire à la Pyrrhus car l’accord du 10 novembre, pour autant qu’il aménage les conditions de l’indemnisation, consacre définitivement les financements de Pôle emploi, du futur France travail et des déficits de France compétence le tout au détriment du remboursement de la dette de l’Unedic qui a motivé les deux dernières réformes à caractère purement comptable.
Faire l’hypothèse de l’agrément par l’État de l’accord des partenaires sociaux c’est donc faire le pari que l’État se retire de la gestion du régime au moment où il se fait fort de légiférer le retour au plein emploi !
Le retrait de l’État serait là une curieuse illustration du « en même temps » que la démocratie sociale se devrait d’applaudir.
L’accord qui sera soumis à l’agrément est financièrement équilibré sur la base des prévisions de l’Unedic qui ne sont pas celles des services de l’État. L’État peut-il, avant même de regarder ce que sont les mesures de l’accord, ne pas remettre en cause les hypothèses économiques sur lesquelles se sont fondés les négociateurs sociaux ? Pour autant que les prévisions de l’Unedic s’appliquent à respecter le consensus des économistes elles sont moins volontaristes que celles qui déterminent la trajectoire des finances publiques…
Que l’accord des partenaires sociaux soit un bon accord pour l’indemnisation du chômage ou pas il faut craindre qu’il ne soit pas un bon accord politique.
En s’accordant ainsi les partenaires sociaux jouent le tie break en fond de court. L’État, lui, est monté au filet ! Ils sont restés dans le couloir de l’indemnisation du chômage. Ils n’ont pas joint l’impact de la réforme des retraites sur l’indemnisation du chômage : stratégie d’évitement ou art de la négociation ? En jouant le cadrage sans oser le débordement, en persistant ainsi dans le dialogue mou avec l’État, à privilégier l’argumentation peirastique ont-ils oublié que l’agressivité est nécessaire à toute discussion ?
Nous savons qu’il serait naïf de s’en tenir à cette réflexion sans ajouter l’hypothèse que les « off » de la négociation, les discussions de couloirs et les visiteurs du soir ont joué leur rôle, ajoutant à la nécessaire dramaturgie, pour que chacun sorte tête haute d’un échec et modeste d’un succès.
Michel Monier et Hervé Chapron,
Membres du Cercle de Recherche et d’Analyse de la Protection Sociale, Think tank CRAPS, sont respectivement ancien Directeur général adjoint de l’Unedic et de Pôle emploi.