Le 4 octobre 1958, le président René Coty publiait la Constitution de 1958, fondatrice de la Ve République. Alors que l’on va fêter les 60 ans de cette dernière, il nous est apparu nécessaire de plaider quelques mots en faveur de celle-ci.
Avant chaque élection présidentielle, il revient comme une antienne de changer de République. Encore en 2017, J.-L. Mélenchon, Y. Jadot ou B. Hamon, ont appelé à une VIe République1. Dans le sillage d’ailleurs de la Convention pour une VIe République (C6R) aujourd’hui présidé par notre collègue P. Alliès.
Il s’avère que notre Constitution est bientôt sexagénaire. Mais à 60 ans on est encore en forme. Et même « La vie commence à 60 ans » selon un chanteur corse célèbre. Alors livrons quelques-uns de nos sentiments sur notre texte fondamental. D’abord faisons un sort à l’idée reçue qu’elle serait « l’œuvre du général de Gaulle » ou bien même qu’elle a été « écrite par lui » et « pour lui ». Nous avons eu l’honneur de connaitre le regretté Raymond Janot (les moins de 50 ans ne peuvent pas connaitre !).
Ce dernier, outre sa qualité de conseiller d’Etat (puis plus tard de premier président de la Région Bourgogne), fut l’un des conseillers juridiques du général de Gaulle. Alors que nous étions en train de travailler à notre thèse, nous avons rencontré Raymond Janot à plusieurs reprises2. Aussi érudit sur cette Constitution qu’affable et sympathique, il nous éclaira notamment sur un point : la place du général dans l’élaboration de ladite Constitution.
Contrairement à ce qui est couramment relayé « le général intervenait très peu. Il laissait les rédacteurs faire.
Sauf trois points qui lui tenaient très à cœur : la diplomatie et la défense. Et bien sûr la place du président ». Et R. Janot de nous citer aussi ce credo du général plusieurs fois lancé à l’adresse des rédacteurs : « n’oubliez pas le peuple dans tout ça ».
« Faite par et pour le général » cette Constitution ? Non. Car l’histoire de la Ve démontre tout le contraire. Tous ses successeurs, et notamment son ennemi préféré F. Mitterrand, ont endossé le costume soi-disant trop grand3. Pas un, de Pompidou à Macron, n’a réfuté une interprétation gaulliste ou gaullienne des institutions. C’est-à-dire un président « à la fois arbitre et premier responsable national ». Chaque successeur s’est plus ou moins référé à cet avis de G. Pompidou, successeur averti du général. A ce titre, nous devons remarquer que ledit costume va tout de même assez mal aux petits présidents ?!! Il est vrai que le général faisait 1,93 m. Alors pour rire un peu, observons que de G. Pompidou à J. Chirac, tous correspondait au costume avec 1,85 m de moyenne. Alors qu’à partir de N. Sarkozy, on rapetisse (et ledit costume devient alors parfois un peu grand) avec une moyenne d’1,69 m !
Bien que sexagénaire, notre texte fondamental a prouvé sa solidité. Il a résisté à bien des chocs depuis 1958.
Parmi les principaux : mai 68, la démission du général (1969), le décès de G. Pompidou (1974), la gauche au pouvoir avec l’élection de F. Mitterrand4, la première cohabitation (1986), la première guerre du Golfe (1991), la seconde cohabitation (1993), la troisième cohabitation (inversée selon V. Giscard d’Estaing) avec un président de droite (J. Chirac ) et un premier ministre de gauche (L. Jospin) en 1997, seconde guerre du golfe (2003-2011), une crise monétaire sans précédent (2008), des attentats de masse (2015). En bref, tout autant de gros temps venus se fracasser sur le texte de 1958. La Ve République a pu parfois trembler mais elle n’a jamais cédé. Et certains présidents n’ont pas manqué d’utiliser les atouts de la Constitution (article 16, référendum, dissolution, message à la Nation,…).
Et que dire des révisions qu’elle a pu subir ? Bien entendu « elle n’est pas un monument impérissable » selon R. Janot. Et certaines révisions lui ont permis d’évoluer positivement. Avec d’abord celles essentielles mais assez rares de 1958 à 1993 (huit au total) puis une frénésie de révisions plus ou moins adaptées de 1995 à 1997 (seize avec un record pour J. Chirac auteur de onze d’entre elles)5. Certains reprochent aussi à la Constitution des maux de notre société. Est-ce de sa faute s’il y a un chômage endémique, des problèmes sociaux, de l’insécurité,… ? Elle n’est qu’un outil dont nos gouvernants se servent avec plus ou moins de talent.
Alors oui, cette Constitution nous l’aimons. D’abord parce que, au risque de paraitre immodeste, nous la connaissons assez bien pour l’enseigner depuis une vingtaine d’années. Elle est à nulle autre pareille. Nous avons, grâce à elle, alors que nous étions thésard, rencontré durant les années 90 des acteurs majeurs de celle-ci. Tels d’anciens Premiers ministres, ministres, hauts fonctionnaires du Secrétariat général de l’Elysée ou de Matignon, un ancien président en la personne de V. Giscard d’Estaing. Et nous étions à deux doigts de rencontrer F. Mitterrand6. Tous ceux et celles que nous avons rencontrés, s’accordaient pour saluer cette Constitution. Dont certains se sont servis avec malice.
Rappelons que dans notre édifice juridique (la pyramide des normes !), la Constitution est la norme suprême.
Alors oui, cette Constitution de 1958 mérite de notre histoire constitutionnelle. Est-ce un hasard si elle détient le record de durée de cette dernière ? Feu le doyen Vedel, (prix Nobel de droit s’il y en avait eu un) nous a confessé que si l’occasion lui avait été donnée, il n’aurait « pas écrit une telle constitution mais je dois avouer qu’elle fonctionne bien ».
En guise de conclusion, référons-nous encore à celui qui est tout de même son « père spirituel» (le général de Gaulle) qui estimait en 1967 : « un jour viendra, sans doute, où notre Constitution, avec tout ce qu’elle implique, sera devenue comme notre seconde nature ». Au bout de 60 ans, nous y sommes !
Raphael Piastra
Maitre de Conférences en droit public à l’Université Clermont Auvergne
Membre de la Fondation Charles de Gaulle
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- Respectivement leader des Insoumis, député européen écologiste et ancien candidat socialiste à la dernière élection présidentielle. ↩
- A son domicile (rue d’Eylau) puis à différents colloques et conférences. R. Piastra, Du contreseing sous la Ve République, ANRT, 1997. Nous livrons ici une analyse de l’article 19 C. qui définit pouvoirs propres et partagés du président. ↩
- « Cette constitution n’était pas faite à mon intention, mais elle est bien faite pour moi » opinait F. Mitterrand, rallié à la cause du texte après l’avoir tant combattu. ↩
- « Bientôt les chars soviétiques sur les Champs-Elysées » redoutait Michel d’Ornano ancien ministre giscardien et maire de Deauville. A peine F. Mitterrand élu ! ↩
- Seuls G. Pompidou et F. Hollande n’ont pas fait de révision. Il y a eu aussi de nombreux projets de révision qui furent sans lendemain. Récemment, le projet, assez curieux, qui a été impulsée par E. Macron mais qu’un Sénat hostile rend très incertain. « Les révisions de la Constitutions sous la Ve République », La Documentation Française.fr, 2008. ↩
- Quant à J. Chirac, nous avons rencontré par hasard sa femme, Bernadette avec laquelle nous avons assez librement parlé lors d’une visite au musée de Saran en 1998. En pleine cohabitation, elle n’a pas manqué de nous dire que son mari était « très seul ». ↩