De plus en plus régulièrement, des néoruraux ou des touristes se plaignent, auprès des maires voire des tribunaux, des bruits ou odeurs dits « de la campagne ». Réaction de Laurence Taillade, Présidente de Forces Laïques.
Quand la bêtise s’associe à l’intolérance, ça donne ça : des bobos qui se plaignent du chant du coq, des « déjections » d’abeilles sur leur spa, du bruit des cloches, des mouches, des grenouilles, des cigales, des odeurs d’une étable, …
Ces individus pensent pouvoir réguler la nature à leur rythme, sans envisager une minute qu’elle s’écoute, s’observe et se vit, qu’elle est source d’inspiration, pour nos cinq sens qui ont la chance d’être sollicités par autre chose que la pollution des gaz d’échappement, le bruit des deux roues, l’agression visuelle des ordures qui jonchent nos trottoirs,…
Les procès qui s’accumulent contre nos paysans sont révélateurs d’une fracture profonde qui oppose urbains et ruraux, tant leurs vies sont différentes et incompatibles.
D’un côté les trottinettes électriques, pour faire quelques centaines de mètres pour acheter le pain ou aller travailler. De l’autre, le tout voiture, tant les distances sont vertigineuses pour tout acte du quotidien.
Nos territoires ruraux semblent abandonnés par les politiques locales, quand il s’agit de s’intéresser à un accès égal aux soins, à l’éducation, au commerce.
La boulangerie du village le plus proche peut se trouver à plusieurs kilomètres de distance, l’hôpital à plusieurs heures de route, parfois montagneuses et impraticables en hiver, l’école est de plus en plus inaccessible, de plus en plus loin.
Et on continue à fermer des hôpitaux de proximité, des services de maternité. Et on continue à augmenter les taxes sur l’essence, à taper sur la voiture sans offrir de solution concrète. Et on continue à fermer des écoles et des classes, malgré les promesses. Et on continue à fermer des lignes de train pour les remplacer par des autocars…
Vivre à la campagne est un art, celui de la débrouille, de la solidarité quand tout se programme avec une « appli » dans les grandes villes.
De cette fracture découle une méfiance, une défiance, de celui qui envahit le territoire de l’autre et veut le modeler à son image, souvent avec raison, à la lumière des faits.
Enclavées, nos campagnes ne sont pas aidées par les pouvoirs publics, à l’image de petits aéroports dont les délégations de service public, pour les villes ne bénéficiant ni de grandes lignes TGV ni d’autoroutes, fonctionnent mal : vols annulés, retardés, difficile de donner envie, ou même de développer une activité économique locale quand on ne peut pas s’ouvrir au monde par les transports. Les terroirs semblent abandonnés : les « bouzeux » doivent se maintenir entre eux, « ils sont loin, qu’ils y restent », semblent vouloir dire, par leurs actes, ceux qui s’en désintéressent.
Ainsi, les élus locaux se sentent démunis, abandonnés, pour beaucoup, ils ne se représenteront pas aux prochaines élections municipales car sentant bien que toute marge de manœuvre leur est ôtée.
Gageons que les éleveurs et les agriculteurs ne se désintéresseront pas de cette fonction où leur expertise est vitale. Eux qui donnent sans commune mesure de leur temps sont attaqués frontalement par leurs électeurs et par ces nouveaux arrivants qui, non seulement n’aiment pas la campagne, mais, en plus, font artificiellement monter le prix de l’immobilier, ce qui a un impact direct sur le pouvoir d’achat, déjà faible, des locaux.
Ces provinciaux souffrent de l’éloignement des services publics, de la mauvaise image que l’on rend d’eux. Pourtant, ils nourrissent la France. Ces « péquenauds » travaillent dur, la terre, les bêtes, pour nous fournir une alimentation de qualité. Ils en tirent des revenus faibles, aucune considération de ceux qui préfèrent manger du bœuf aux hormones ou aux farines animales venant de loin, pourvu d’avoir la quantité, plutôt que la qualité. Les subventions n’arrivent pas à leurs destinataires faute d’efficacité des collectivités. Nos paysans se suicident de trop de normes, trop de contraintes, d’une grande distribution qui les vole, avec la complicité d’un Etat qui se refuse à les aider et conclut des contrats commerciaux avec le Canada ou le Brésil dont les conditions sont inacceptables pour nous consommateurs à qui on va imposer, dans nos assiettes, des hormones, des antibiotiques, des pesticides interdits à nos agriculteurs. Inacceptables pour eux parce que les efforts émis en direction d’une agriculture raisonnée, voire biologique, seront réduits à néant, par une concurrence déloyale, avec une différence de produits dont le consommateur lambda n’a pas conscience.
Nos paysages sont ce qu’ils sont grâce à la paysannerie, qui les respecte et aime la terre. Il n’est pas normal que leur travail soit si mal reconnu, si peu rémunérateur, au point qu’un agriculteur se suicide tous les trois jours, dans l’indifférence générale.
Consommer est un acte responsable, citoyen.
Tâchons d’y penser à chaque fois que l’on se trouve devant un bac de supermarché. Exigeons des produits de qualité, rémunérés à leur juste valeur. Demain, il sera trop tard, nous n’aurons plus ce choix, si nous laissons mourir un-à-un ceux qui nous nourrissent aujourd’hui de leurs efforts quotidiens.
Vivre à leurs côtés est un luxe, qui doit se mériter. A ceux que cela gêne de côtoyer des animaux, sentir l’odeur des bêtes, entendre les cloches des vaches ou le chant des coqs… Ceux qui n’aiment pas la vie, parce que la vie ça sent, ça fait du bruit, je conseille vivement un endroit où ils se sentiront parfaitement à leur aise : une ville bien bétonnée, dans des emballages en cellophane ! Ils ressembleront à ces jambons en plastique que l’on sert dans le bas des rayons charcuterie de la grande distribution.
Et qu’ils laissent nos campagnes françaises à ceux qui savent les comprendre et les apprécier, à ceux qui les aiment, qui aiment leurs produits et les respectent.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques.