Après une élection présidentielle marquée par la défaite frustrante du candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, tombé aux portes du second tour à seulement 400 000 voix de la représentante du Rassemblement National, Marine Le Pen, l’avenir de la gauche française semblait s’annoncer au mieux incertain, au pire paré d’une teinte bien sombre.
Dix ans après l’accession de François Hollande à l’Élysée, le Parti Socialiste acte sa longue descente aux enfers, avec un score très faible de seulement 1,7 % pour Anne Hidalgo dont l’impopularité parisienne a pris une ampleur nationale.
Quant au Parti Communiste Français, il a renoué avec le jeu électoral en accordant la représentation d’un parti fondamental de la vie politique française à un candidat, Fabien Roussel, ayant basé la plus grande partie de sa campagne sur la viande made in France et la sécurité, et dont le résultat final fut largement décevant.
Les Verts investissaient Yannick Jadot lors de la primaire écologiste, et ce dernier a passé plus de temps à tenter de discréditer le candidat de gauche le mieux placé pour accéder au second tour que défendre son programme. Un programme écologique dont le caractère antinomique avec l’adhésion à l’économie de marché intériorisé au sein de EELV et le caractère néolibéral de la construction européenne ne fut que peu relevé par les observateurs.
Alors, oui, le score de Jean-Luc Mélenchon a atteint un taux inespéré pour l’ensemble de ses soutiens, au regard de ce que prévoyaient les principaux instituts de sondage. Ces derniers lui avaient accordé 18% des suffrages quelques jours avant le premier tour de l’élection présidentielle, palier que l’ancien sénateur de l’Essonne a allègrement dépassé pour atteindre les 21,95 %. Néanmoins, le score cumulé de l’ensemble de la gauche atteint les 31,94 % seulement en additionnant les scores de Jean-Luc Mélenchon pour La France Insoumise (21,95 %), Yannick Jadot pour Europe Écologie Les Verts (4,63 %), Fabien Roussel pour le Parti Communiste Français (2,28 %), Anne Hidalgo pour le Parti Socialiste (1,75 %), Philippe Poutou pour le Nouveau Parti Anticapitaliste (0,77 %) et Nathalie Arthaud pour Lutte Ouvrière (0,56 %).
Dans le même temps, l’extrême-droite eut le vent en poupe en réunissant près de 30,22 % des suffrages exprimés par le biais de deux candidats seulement, Marine Le Pen pour le Rassemblement National (qualifiée pour le second tour avec 23,15 %) et Éric Zemmour pour le néoparti Reconquête ! (7,07 %).
De plus, tout comme en 2002 avec la problématique sécuritaire, l’extrême-droite a réussi à imposer ses thèmes tout au long de la campagne, que ce soit l’immigration ou les questions d’identité, ce à quoi la gauche n’a pas su apporter une réponse concrète.
En effet, ces problématiques n’ont pas fait l’objet d’une réflexion et d’une prise en considération pour y transposer un discours à même de contrer la rhétorique de l’extrême-droite, héritière du poujadisme pour le Rassemblement National et de la doctrine barrésienne ainsi que son contemporain Charles Maurras pour le nouveau parti zemmouriste « Reconquête ! ». Cela s’est reflété dans les débats qui ont cristallisé les passions, que ce soit la théorie du grand remplacement, originaire de l’écrivain Renaud Camus et popularisé par Éric Zemmour, mais également l’ensauvagement, repris même dans les plus hautes sphères de l’État et notamment par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur.
Avec ce résultat électoral décevant et la conjoncture politique globale de droitisation de l’échiquier politique que traverse la France, cette échéance a donc semblé matérialiser le long déclin de la gauche de gouvernement, entamé depuis une quarantaine d’années et aux causes multiples.
Les élections législatives de 2022 et l’espoir d’une gauche à nouveau unie malgré ses fractures
À la suite de la réélection d’Emmanuel Macron à la tête de l’État, les élections législatives paraissent s’inscrire dans la tradition instituée par la révision constitutionnelle inhérente à l’inversion du calendrier électoral.
Elle avait consacré alors par la force des choses une majorité parlementaire pour le Président afin de lui donner les moyens d’appliquer ses réformes. La cohabitation, comme cela a pu être expérimenté en 1986 lors du septennat du président Mitterrand dont le premier ministre fut Jacques Chirac, en 1993 avec cette fois Édouard Balladur puis en 1997 ; Lionel Jospin profitant de la manœuvre ratée de Jacques Chirac, qui, voulant accentuer sa majorité, finira par la perdre et permettra à la gauche plurielle de l’emporter.
Vingt-cinq ans plus tard, alors que l’espoir semblait devoir se muer en désillusion devenue habituelle, le candidat de La France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon, annonce à l’antenne de BFM TV son objectif affiché de devenir premier ministre. Ce nouvel objectif passe alors par imposer une cohabitation au camp présidentiel et amorce ainsi ce qui semble représenter une chimère seulement quelques semaines auparavant : une coalition électorale de gauche pour inverser le rapport de force politique et avoir une chance de l’emporter lors des élections législatives des 12 et 19 juin 2022. Les discussions s’engagèrent donc avec les principales forces de gauche du pays que sont Europe Écologie Les Verts, le Parti Socialiste, et le Parti Communiste Français ainsi que le Nouveau Parti Anticapitaliste. Si, à la suite de l’accord inattendu conclu avec le Parti Socialiste, considéré comme une ligne rouge pour la formation d’extrême-gauche, ces derniers se retirent, La France Insoumise parvint à rallier sous la bannière de l’Union Populaire les autres formations politiques classées à gauche de l’échiquier politique, ravivant dans tous les esprits le Front populaire de 1936 et le programme commun de la gauche de 1972.
Un comparatif qu’il conviendra de bon sens de nuancer en raison des dissemblances nombreuses existantes entre ces évènements politiques majeurs.
Cette nouvelle coalition comporte alors quelques spécificités compte tenu des différends plus ou moins importants entre ces partis sur le plan programmatique, stratégique et politique. Un accord est passé le 2 mai avec EELV, aboutissant à un changement de nom et l’inscription de la dénomination « Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale » dont le symbole est le V, faisant référence à la victoire que les différents acteurs de l’alliance visent pour les élections législatives. Le 3 mai, le Parti Communiste Français s’ajoute à la liste et propose un certain nombre d’objectifs à la feuille de route proposée par les insoumis et les écologistes, tel que des plans massifs de renationalisation. Le cas du Parti Socialiste fut beaucoup plus compliqué en raison des relations tumultueuses (et c’est un euphémisme) avec la France Insoumise et notamment son leader Jean-Luc Mélenchon. L’ancien ministre délégué à l’enseignement professionnel ayant quitté le parti à la rose dès 2008 et le congrès de Reims pour fonder le Parti de Gauche puis la France Insoumise en 2016.
Cela s’explique également par des politiques libérales sur le plan économique et de flexibilisation de l’emploi menés par le PS durant le quinquennat Hollande avec particulièrement la loi Travail et le Crédit d’Impôt pour la Compétitivité et l’Emploi mais également sur le plan sociétal avec le projet de déchéance de nationalité pour les terroristes binationaux sous l’impulsion de Manuel Valls alors premier ministre. Après des tractations houleuses et de nombreuses polémiques au cours de multiples pourparlers bilatéraux, les deux parties arrivaient à un accord historique et inespéré le 4 mai. Cela n’a pas manqué de diviser la maison socialiste au gré des dénonciations de concessions jugées trop importantes par certains « Éléphants » du PS, dont certains vont le quitter, tels que Bernard Cazeneuve. Ceux-ci vont le fustiger et soutenir des candidatures dissidentes, comme ce fut le cas pour Carole Delga, présidente de la région Occitanie, ou encore Stéphane Le Foll, ancien ministre de 2012 à 2017.
L’aile droite du parti est alors absolument scandalisée de voir un basculement soudain d’un PS moribond à gauche toute, mettant en exergue le réel objectif des tenants de la gauche bourgeoise, les mêmes qui l’ont entraîné dans une chute inexorable au gré des compromissions avec le grand capital.
Les élections législatives prenaient alors tout un autre enjeu que d’habitude, loin de la formalité annoncée pour le bloc macroniste et le premier tour s’annonce prometteur pour la NUPES qui arrive au coude à coude avec Ensemble, le groupe présidentiel, avec respectivement 25,2 % des suffrages exprimés.
Le 19 juin, jour des résultats finaux pour la composition de l’Assemblée nationale pour les cinq prochaines années, le bilan fut finalement mitigé. La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale obtient certes 131 sièges, s’imposant comme la première force d’opposition, obligeant par conséquent le camp présidentiel à se contenter d’une majorité relative, cas de figure absolument exceptionnelle dans cette configuration du calendrier électoral. Néanmoins, d’une part, la coalition n’a pas permis d’obtenir le nombre de sièges escompté et la majorité absolue pour imposer une cohabitation au président fraîchement élu. D’autre part, le Rassemblement National a connu une percée frappante, multipliant par dix son nombre de députés à la suite des élections législatives de 2017, passant de 8 députés à un groupe pléthorique de 89 parlementaires, du jamais vu pour la formation d’extrême-droite depuis sa création et son entrée à l’Assemblée nationale.
Cela constituait alors le résultat logique d’une dialectique macroniste qui a voulu s’ériger comme la seule force politique mesurée et cohérente du pays et s’arroger le monopole du front républicain, par l’invective et l’accusation par association.
Le discours met alors, hors du champ de la République et sur un pied d’égalité, la coalition de gauche, un camp politique défenseur de l’héritage des Lumières et de la révolution de 1789, avec les successeurs de l’extrême-droite antiparlementariste du XXe siècle. La macronie a ainsi commis une grave erreur de jugement en permettant aux tenanciers d’un discours xénophobe, antidémocratique et profondément sectaire d’entrer comme une déferlante au Palais bourbon. Cela s’inscrit dans la stratégie de la majorité présidentielle qui, depuis son arrivée au pouvoir, a sciemment et savamment joué avec le feu en installant insidieusement la montée de l’extrême-droite afin de profiter des spécificités du scrutin majoritaire à deux tours et l’emporter grâce au sacro-saint barrage républicain.
Fort malheureusement, ce jeu dangereux est à double tranchant et cela a permis non seulement à l’extrême-droite de progressivement s’imposer dans le cadre de la bataille culturelle mais également grandir électoralement, sur les cendres du projet profondément antisocial et hors-sol de la macronie, mais également par ce tremplin électoral inespéré.
L’évolution du mouvement ouvrier en tant que camp politique, un objet mouvant au fil de l’histoire
La gauche française fut à ses débuts l’expression politique des revendications de la classe ouvrière, constituée des travailleurs, au moment d’une grande reconfiguration de la société par la révolution industrielle à la fin du XIXème siècle et d’une matérialisation des clivages de classe au sein du jeu politique.
Ce moment de l’histoire a alors vu la mécanisation des moyens de production devenir la norme ainsi que le développement rapide de l’industrie dite lourde, regroupant le secteur minier, métallurgique ou encore sidérurgique.
La classe ouvrière a ensuite joué un rôle prégnant dans la vie politique française, et des formations politiques vont rapidement endosser le rôle de représentation politique des classes laborieuses. Au début du XXe siècle, la création de la Section Française de l’Internationale Ouvrière représente un tournant, avant que le Congrès de Tours de 1920 consacre la scission de cette dernière. Un pan entier de l’organisation quitte la SFIO pour former la Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC), sous l’influence des bolcheviks soviétiques ayant pris le pouvoir après la révolution d’Octobre 1917. De hauts dignitaires du parti tels que Marcel Cachin s’étaient alors rendus en Russie et étaient revenus absolument admiratifs de l’image présentée par les dirigeants soviétiques et notamment un certain Lénine.
Avec l’abandon de la perspective révolutionnaire et de la dictature du prolétariat comme idéal et objectif politique en février 1976, dans le cadre du 22e congrès, le PCF avait déjà engagé un vaste processus d’aseptisation de la représentation politique de la gauche ouvrière, en raison d’un refroidissement des relations avec le Parti Communiste soviétique après le pacte de Varsovie. Cette reconfiguration du communisme à la française, en pleine crise morale et dans un contexte mondial complexe, va se concrétiser par le soutien à la candidature de François Mitterrand en 1974, après un premier accord avec le Parti Socialiste et le Mouvement des Radicaux de Gauche pour gouverner. Le congrès d’Épinay de 1971 voit le terme « ouvrière » disparaître du nom de la SFIO pour devenir le Parti Socialiste. D’autre part, l’accession de la gauche au pouvoir pour la première fois de la Ve République par le biais de la victoire de François Mitterrand en 1981 va jouer un rôle majeur. Les deux premières années de son premier septennat sont marquées par des avancées sociales importantes telles que la création de l’Impôt Sur la Fortune, le passage de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, la durée légale de travail hebdomadaire à 39 heures ou encore la cinquième semaine de congé payé.
En dépit de ces débuts prometteurs, la conjoncture économique engendrée par le creusement des déficits, mais également par des facteurs conjoncturels comme la crise pétrolière et le poids du carcan du Système Monétaire Européen, avec une forte pression instiguée par nos voisins allemands (déjà !), pousse le gouvernement socialiste à de nombreuses dévaluations du franc avant de se retrouver face à un dilemme cornélien à l’aube de l’année 1983.
Continuer sur cette voie au risque de s’enliser dans la crise ou entamer un large virage avec le tournant de la rigueur, dont la substance fut annoncée en prémices par la déclaration du Ministre de l’Economie Jacques Delors dès le 29 novembre 1981 qui plaidait pour « une pause dans les réformes ».
Le choix fait par François Mitterrand se portera sur le second cap dans la stratégie économique de la France, avec une orientation vers les politiques d’austérité et une politique d’offre. La doctrine du programme commun reposait originellement sur une relance keynésienne, c’est-à-dire remettre en marche l’économie par un cercle vertueux engendré par l’encouragement de la consommation des ménages par le biais de la dépense publique (se traduisant par le relèvement des salaires et des minimas sociaux). Avec le développement de la deuxième gauche dont Michel Rocard et Jacques Delors furent des instigateurs importants, la gauche de gouvernement acte ainsi son adhésion à l’économie de marché et s’éloigne de l’anticapitalisme, au profit de la social-démocratie. Cette dernière consiste à la jonction entre un mode de production capitaliste où l’interventionnisme étatique se concentre sur le maintien de services publics performants et d’un État-providence développé.
Cela s’inscrit alors dans une économie capitalistique dont les perspectives sont poussées au maximum pour garantir à la fois le développement de l’industrie et la redistribution des bénéfices engendrés pour in fine réduire les inégalités sociales.
Cela rompt donc avec la tradition originellement marxiste de la SFIO à ses débuts, avec une acceptation tacite du capitalisme et un basculement d’électorat passant des milieux ouvriers à une jeunesse diplômée urbaine, qui s’intéresse désormais à des problématiques différentes. Par exemple, cela peut être l’environnement, la liberté d’expression, la cause animale, l’antispécisme… Dans le cadre du paradigme analytique théorisé par le politologue Ronald Inglehart, le postmatérialisme. Il renvoie à la période post-Seconde Guerre mondiale, où le niveau de vie d’une partie de la population s’étant concrètement amélioré par une conjoncture économique favorable (les Trentes Glorieuses en seront un exemple frappant), les préoccupations dépassent le cadre matérialiste pour s’orienter vers des revendications considérées comme d’ordre supérieur. Cette évolution se forme au gré des mutations de la société, par la tertiarisation de l’économie et la moyennisation de la société française, ainsi que la gentrification de pans entiers des milieux urbains défavorisés et précaires.
Par conséquent, pour se différencier de la droite, le particularisme se fait par un semblant de vernis progressiste sur le plan sociétal, aboutissant par exemple à la loi du 17 mai 2013 autorisant le mariage entre personnes du même sexe, tandis que dans le même temps, la politique économique menée par le gouvernement de François Hollande durant les quatre années qui suivirent sera à l’encontre total des intérêts des travailleurs.
Les mutations de la société française à l’aune de la reconfiguration des rapports économiques et sociaux
Le fait est qu’une grande partie de la société, les couches populaires, qui ont subi de nombreux changements ayant marqué le prolétariat, se composant désormais d’artisans, d’agents du milieu hospitalier comme les infirmiers, mais également les ouvriers certes moins nombreux, sont toujours ancrées dans une perspective matérialiste en raison de conditions matérielles insuffisantes.
De ce fait, on assiste alors à une augmentation conséquente du vote pour le Rassemblement National dans les zones rurales et périphériques et parmi les catégories les plus précaires de la population, qui souffrent d’un déclassement économique fort, du fait de la tertiarisation de l’économie créant de fait des territoires sinistrés car peu attractifs économiquement dans ce nouveau paradigme.
Le monde du travail a connu des mutations profondes par l’effet de la mondialisation.
Dans la société postindustrielle, caractérisé par la financiarisation de l’économie basée sur la spéculation illusoire et incontrôlable ainsi que le libre-échange lié au développement des Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication, le rapport de force a profondément été remodelé. Des millions de travailleurs sont mis en concurrence entre eux au détriment de toute norme et réglementation du travail, tout en anéantissant la conscience de classe par la diversification du prolétariat. Cela a créé une dynamique d’atomisation des classes populaires balayant la tradition du mouvement ouvriers au XXe siècle qui pouvait peser par la représentation politique mais également syndicale, avant la victoire de l’individualisme qui rend la mobilisation bien plus complexe à mettre en place.
Le néolibéralisme, en mettant en exergue l’idée de davantage de liberté et d’espace des possibles pour les grandes entreprises, couplé à la concurrence libre et non faussée sanctuarisée dans les traités actuels de l’Union Européenne, a entraîné mécaniquement des délocalisations en masse dans des pays où la main-d’œuvre est bien moins onéreuse comme l’Inde ou la Chine.
Cela ne profitant ni au travailleur français qui subit de plein fouet les plans de licenciements massifs, ni au travailleur étranger qui se fait exploiter par les multinationales pour un salaire miséreux. Cela aboutit de facto à un important mouvement de désindustrialisation dans les pays dit développés et des plans de licenciement massifs pour permettre toujours plus de profits par l’augmentation significative des dividendes reversés aux actionnaires. Des plans de privatisations considérables de pans entiers de l’industrie française ont contribué au dépeçage du parc industriel : tout le monde se souvient d’Alcatel passé sous le giron de Nokia ou encore de l’acquisition d’Alstom par General Electric. Ces derniers avaient perçu près de 200 millions d’euros du gouvernement par le biais du Crédit Impôt Recherche et du CICE en échange de promesse d’embauches au moment du rachat d’Alstom en 2014 et qui mettra sur pied un plan de 1050 suppressions de poste à la fin mai 2019, bien loin de l’accord scellé avec le gouvernement jadis. Ce sont les perdants, les « globalisation losers » dans la langue de Shakespeare, les opprimés victimes de la mondialisation heureuse, du libéralisme triomphant, dissimulant sous cette apparence angélique les politiques d’austérité et de privatisations qui ont ruiné la Grèce notamment.
Sous l’effet dévastateur de l’action de la Troïka (la commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fond Monétaire Internationale), les inégalités socio-économiques s’aggravent, et la prospérité des grands groupes privés ne bénéficie ni aux travailleurs des pays développés ni à ceux des pays en voie de développement.
Ce sont ceux-là dont la gauche doit regagner la confiance et l’espérance de revoir comme réalité les jours heureux, devenus une parenthèse illusoire.
Quelle marge de manœuvre pour la gauche face à ce nouveau paradigme : une réflexion nécessaire autour d’une feuille de route cohérente et adaptée
Cela passe par mener une vraie politique économique de rupture, par le rejet en bloc des traités de libre-échange, absolument dévastateurs.
En effet, les pays du Tiers-monde sont bien ainsi surexploités contre leur gré par l’effet d’un système qui les oblige à accepter les plans d’ajustement structurels pour mener des politiques d’austérité et de privatisation qui ne profitent qu’aux multinationales devenues surpuissantes.
Au regard de cette situation, il faut désormais s’évertuer à refonder une Union Européenne tournée vers un idéal social et écologique pour tourner la page des traités actuels qui érigent la libre circulation des capitaux, la concurrence déloyale et la dérégulation en principe immuable, au détriment des Hommes et de la Nature et cela passe par rompre avec l’ordolibéralisme qui caractérise l’Europe du traité de Maastricht. L’idéal d’une Europe sociale et des nations qui préservent leurs souverainetés, associé à une harmonisation sociale et fiscale, ainsi qu’une structuration davantage démocratique et bien moins technocratique, doit représenter une véritable feuille de route.
La gauche doit l’emporter à nouveau sur le terrain des idées en créant la réminiscence d’une conscience de classe au sein de ce nouveau prolétariat victime des afflictions de la mondialisation, en imposant ses thèmes, qui concernent la majorité des Français, à savoir le pouvoir d’achat, les services publics, l’éducation, la santé, la sécurité.
Elle doit s’affranchir de son revirement idéologique et électoral, qu’avait conceptualisé le think thank proche du Parti Socialiste, « Terra Nova » en 2011, suggérant à la gauche de se saisir d’un autre électorat plus urbain, plus diplômé, et attiré avant tout par des considérations d’ordre postmatérialistes, comme expliqué précédemment, l’offre politique de gauche devant alors s’aligner sur le sociétal au détriment du social et de l’intérêt des travailleurs. Cette stratégie fut embrassée par le PS au fur et à mesure de son histoire, avec l’embourgeoisement de sa base militante et des cadres du parti, mais également lors de ses accessions au pouvoir en 1981, 1988 et 2012.
Le parti à la rose connaitra un déclin inexorable et verra l’émergence d’un autre parti s’inscrivant dans ce paradigme : Europe Écologie Les Verts, dont le principal combat repose sur l’écologie politique, et dont l’électorat est principalement la jeunesse urbaine diplômée, bien loin de la base du prolétariat.
C’est l’avènement du centre gauche, s’éloignant des revendications originelles de la gauche ouvrière, qui, par dépit se dirige peu à peu vers l’extrême-droite ayant intégré dans son logiciel une stratégie de séduction des classes populaires.
Il s’agit par ailleurs de lutter contre le discours normatif dominant au sein de la société capitaliste, qui tend à présenter le modèle néolibéral comme le seul système possible, rendant l’idée de toute bifurcation économique invraisemblable aux yeux des citoyens exposés constamment au poids de la superstructure (au sens marxiste). La première ministre britannique Margaret Thatcher avait exprimé cette idée par la maxime « There Is No Alternative » (TINA) à propos du cadre capitaliste ultralibéral. Le but était alors de décrédibiliser toute proposition allant dans le sens du changement pour l’intérêt général et encourager la morosité ambiante depuis l’avènement de l’hégémonie étasunienne entamé à la chute de l’URSS en 1991, ce que Francis Fukuyama avait qualifié de « fin de l’histoire » ; Formule utilisée pour caractériser la domination de la pensée libérale (tant économique que politique) et du capitalisme.
La gauche française doit assumer une certaine radicalité et baser le cœur de son programme politique sur des marqueurs sociaux bien définis, comme le recul de l’âge de la retraite ou la baisse du temps de travail (comme cela fut judicieusement entrepris par La France Insoumise et notamment Jean-Luc Mélenchon lors de ses campagnes présidentielles) tout en travaillant à s’implanter localement au sein des territoires de la ruralité pour être au plus proche des revendications populaires et regagner le cœur des électeurs tentés par le vote Rassemblement National.
Ce fut la principale erreur stratégique de La France Insoumise, qui, pour donner suite aux résultats électoraux encourageants de la présidentielle 2017, n’aura pas consenti à mettre en place un plan d’implantation territoriale par l’ouverture de relais militants et de rencontres coopératives avec les acteurs locaux dans les villes et les villages où la gauche est en peine. Cela a fait défaut à moult reprises à un parti jeune, qui n’a pas réussi à saisir l’opportunité d’investir d’anciens bastions du Parti Communiste Français et même du Parti Socialiste qui ont peu à peu basculé à l’extrême-droite, dans le cadre du gaucho-lepénisme, c’est-à-dire le basculement graduel dans la sociologie électorale de la classe ouvrière vers le vote Front national naguère (Rassemblement national aujourd’hui).
Néanmoins, il ne faut pas tomber aussi facilement dans la dichotomie souvent dressée entre les quartiers populaires et la ruralité : pour les deux, la ségrégation socio-spatiale se fait principalement avec les grands centres urbains qui concentrent la majorité des infrastructures et des opportunités.
Pour les quartiers populaires et la France rurale, ces zones représentent des populations aux enjeux territoriaux parfois différents, mais la question sociale reste prédominante au sein des deux touchées par le déclassement économique et le chômage de masse. Il s’agit d’unir ces deux espaces au sein d’un même grand parti des masses qui ne souffre aucunement des fractures que l’on tente d’imposer aujourd’hui entre le prolétariat se déclinant sous plusieurs formes, avec les évolutions que nous avons abordées précédemment. De plus, il est assez essentialisant de prendre la ruralité comme un bloc monolithique : un agriculteur souffrant de la précarité aura plus à trouver en tant qu’allié objectif et de caractéristiques communes auprès d’un prolétaire banlieusard, que d’un grand propriétaire foncier faisant partie de la petite bourgeoisie. D’autre part, selon Christophe Guilly, la France périphérique ne doit pas être réduite à la ruralité comme cela peut être fait, car si elle en fait effectivement partie, il ne faut pas mettre de côté les petites villes et les villes moyennes, ainsi que les Outre-mer qui sont également des territoires touchés par une progressive paupérisation.
Ainsi, avant d’espérer remporter la bataille des urnes un jour, qui ne sera évidemment pas la finalité du combat pour l’émancipation des classes populaires, mais bien un premier pas pour endiguer la profonde crise économique et morale par des réformes radicales mais nécessaires, il s’agit dans un premier temps de renverser le rapport de force capital-travail sur le plan de la bataille culturelle, comme l’avait judicieusement théorisé l’intellectuel communiste Antonio Gramsci.
Cela passe par insister sur les principes inaliénables du combat social en s’évertuant à battre en brèche la montée de l’extrême-droite et en tirant totalement un trait sur le bilan de la gauche social-libérale, celle qui a trahi, celle qui a mené les mêmes politiques économiques que la droite, celle qui déçoit sempiternellement les petites gens et les honnêtes travailleurs de ce pays.
L’enjeu est de taille, face à une offre politique qui se divise désormais en plusieurs blocs, plaçant le camp populaire en confrontation avec la droite du capital et la droite identitaire. D’une part, une oligarchie technocratique à la solde des élites financières et de la start-up nation au vernis progressiste en trompe- l’œil, et d’autre part, l’extrême-droite nationaliste et démagogue, proposant un discours xénophobe et faussement social, jouant alors le jeu de la bourgeoisie en divisant le prolétariat ce qui a pour effet d’affaiblir la force de frappe de la classe exploitée.
Samy El Maloui
Étudiant en 3ème année à Sciences Po Paris