Les sondages confirment l’impression générale à l’issue de la cérémonie d’ouverture : l’excellence artistique française n’est pas morte. En revanche, l’avalanche de bémols, de critiques, d’indignations, de témoignages d’incompréhension, voire même la frilosité du directeur artistique refusant d’assumer publiquement ses choix, montrent combien la toile de fond idéologique trahit la profonde crise intellectuelle et spirituelle que traverse la France.
De quelle crise de la pensée parle-t-on ? D’une crise de la pensée générale, bien entendu ; mais principalement d’une crise de la pensée dominante, d’une crise de la pensée progressiste, d’une crise de la « pensée Boucheron » en quelque sorte.
Pourquoi crise ? Parce qu’elle est trop disruptive, trop abrasive, trop impertinente, trop subversive ? Non ! Parce qu’elle est terriblement convenue.
Et c’est là que la pensée réac, la pensée tradi, la « pensée Finkielkraut » en somme, échoue à faire la lumière sur la réalité de cette mise en scène, témoignant par-là de la crise qui la traverse également. Mais avant de régler son compte à cette « droite intellectuelle » qui tourne en boucle autour de ses obsessions, occupons-nous des principaux responsables de la crise de la conscience occidentale que nous traversons : la gauche culturelle, médiatique et progressiste.
Qui a décidé, au tournant du XVIIIe siècle, que la monarchie était un régime politique impropre qu’il fallait éradiquer, et le christianisme une religion oppressive à laquelle il convenait de réserver le même sort, si ce n’est la gauche intellectuelle, celle des Lumières, que l’on est sommé de célébrer depuis lors sans discontinuer ?
Au XIXe siècle, la religion chrétienne historique est devenue l’opium du peuple, le progrès économique et technique, la nouvelle religion.
Mais les deux mêmes ennemis demeuraient : la monarchie et la religion. Ce qui avait changé ? Le regard posé sur l’homme, essentiellement, sous l’influence du Capital : l’homme était devenu avant tout le lieu de besoins économiques. L’égalité des droits de la révolution française s’étoffait désormais conceptuellement d’une aspiration à une nécessaire égalité sociale. Après un court XXe siècle, aussi ordurier que brutal, où en sont les combats de la « gauche Boucheron » ? A en croire le support conceptuel de cette cérémonie des Jeux Olympique, censée placer en vitrine les archétypes des nouvelles luttes que la France – ce flambeau universel de la liberté et de l’égalité – se propose d’engager, les menaces n’ont pas varié d’un pouce : Marie-Antoinette et l’eucharistie chrétienne !
Seule la réflexion anthropologique a continué de dériver.
L’icône roturière de la fin du XVIIIe, devenue icône ouvrière à la fin du XIXe, a désormais pris la forme d’une icône racisée et genrée. Le désir de reconnaissance des spécificités identitaires domine la pensée progressiste, qui voit dans l’affichage et l’acceptation universelle de la couleur, de l’appartenance sexuelle et de la religion (si elles sont minoritaires) des individus le nouveau combat dit démocratique.
Que dire du niveau intellectuel de ces luttes ? A peu près rien, sinon : Médiocre et convenu !
La « pensée Boucheron » ne dérange en somme plus personne. Elle n’offusque plus que la morale médiatique d’une certaine « droite » un peu réac – que j’affectionne, car elle est ma famille intellectuelle, mais qui me lasse par son obsession moralisatrice et son indignation acharnée. Pour le reste de la population, la prétendue subversion de la « gauche France Inter » est totalement indolore. Du sous-Voltaire. Du sous-Marx. Du sous-Nietzsche. Le problème n’est pas d’avoir singé la sainte cène, d’avoir fait chanter la décapi-tête de Marie-Antoinette ou d’avoir fait remuer la garde nationale sur les rythmes afro-banlieusards d’Aya Nakamura.
Le problème, c’est qu’il n’y a que l’esthétique de la chose qui sauve un peu cette cérémonie ; pour le reste, on s’ennuie terriblement ! On n’est pas surpris. On n’est pas secoué. On n’est pas cloué. Bref, on s’em-mer-de ! C’est de la pensée de gauche façon Hollande. D’ailleurs, le ciel lui-même l’a confirmé : il a plu tout le long !
Alors, oui, la mise en scène était à la hauteur – dans tous les sens du terme, car Kevin devant sa télé était sans nul doute mieux placé que Marie-Chantal sous son parapluie. Mais, ne boudons pas notre plaisir : c’était esthétiquement une réussite. Et ça compte ! Il faut dire que peu de capitales dans le monde disposent d’une richesse historique et architecturale autorisant une telle mise en scène.
On s’en souviendra donc. Instrumentalisation grandiose de Paris, monumentale même, au sens propre des termes. Bravo donc !
Dans ces conditions, pourquoi une telle indignation à droite ? Pourquoi accorder à l’égérie larmoyante des Verts, Marine Tondelier, le plaisir de tweeter « l’extrême droite en PLS » ? A quand la fin de cette indignation perpétuelle ? Faut-il rappeler à la classe médiatique réac, bien trop influencée intellectuellement à mon goût par le couple brisé Zemmour-Maréchal, que le « Indignez-vous ! » auquel elle adhère sans réserve émanait d’un Stéphane Hessel résolument ancré à gauche ?
Faut-il lui rappeler que sa défense acharnée des valeurs chrétiennes est contreproductive car elle n’investit que le champ moral, jamais le champ politique, et se trouve ainsi dépouillée de toute puissance, de toute effectivité ?
Le panache, le sarcasme, l’ironie, le bel esprit, l’intelligence aristocratique, voilà ce qui était attendu de la part d’une extrême droite qui devrait honorer sa classification aux marges de l’échiquier politique en démontrant sa supériorité intellectuelle face à la médiocrité ambiante. Au lieu de cela, c’est une extrême droite morale et bougonne qui se rappelle aux Français à chaque occasion – et j’en prends largement ma part –, devenant par son éternelle rancœur une caricature d’elle-même.
Elle aurait dû se réjouir que la gauche se soit montrée si franchouillarde dans l’expression de son génie artistique alors que son logiciel idéologique prône la dilution de la France fille aînée de l’Église dans une humanité no borders multiculturelle. Cette gauche n’a su nous montrer tout au long de la cérémonie que son attachement à la Monarchie, à l’Eglise, au Christ, à la Grèce Antique, bref, à l’Occident.
Quelle victoire idéologique ! La droite réac aurait dû se réjouir que la gauche intellectuelle et culturelle ne puisse exprimer ce qu’elle est au plus profond d’elle qu’au moyen de références à ce qui nous est le plus cher, à nous, droitards à l’âme chrétienne et aristocratique. Ce que nous avons vu sur nos écrans, et ce que le monde entier a vu, c’est que nos traditions que cette gauche progressiste semble rejeter violemment sont en réalité la condition même de son existence, ainsi que de son essence.
L’édifice de la gauche intellectuelle et culturelle n’est que l’ombre portée de la grandeur de l’Occident chrétien.
Qu’a donc été la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques, si ce n’est la scénarisation magistrale d’une sempiternelle rébellion ; la rébellion d’une gauche encore et toujours adolescente contre ses parents en apparence trop sévères, trop grands, trop inaccessible : l’aristocratie et le christianisme ? Pourquoi hurler, pourquoi s’indigner, pourquoi entrer en conflit ? C’est le rôle des adolescents d’entrer en conflit, par des parents. De plus, pourquoi bouder notre plaisir de référents historiques, politiques et culturels ? Pourquoi ne pas leur répondre avec la plus grande aménité, et même les encourager : C’est bien les petits chéris ! Continuez de vous opposer ainsi à vos modèles, c’est ainsi que vous surmonterez peut-être la crise intellectuelle et spirituelle que vous traversez.
Ce que la droite réac n’a toujours pas compris, c’est qu’elle se trompe d’ennemi. La gauche, aussi radicale soit-elle, aussi ultra soit-elle, n’en reste pas moins un produit de ce que nous sommes, nous, Occidentaux.
Elle ne sortira pas de l’Occident, elle ne rejoindra pas l’ennemi, car les autres blocs civilisationnels la rejetteraient. Elle est condamnée à demeurer ici, et à renforcer, par la lutte, nos structures idéologiques, c’est-à-dire nos défenses propres. Par ailleurs, il est inutile de s’inquiéter : son indigence idéologique est à la mesure de son impuissance politique. Il est temps, donc, pour cette droite médiatique, de cesser de vociférer, de cesser de s’indigner, de cesser de bougonner. Il est temps de se détendre et de profiter de la fête, car le temps du conflit métapolitique civilisationnel véritable reviendra suffisamment tôt.
Frédéric Saint Clair,
Écrivain,
Politologue