« Les missionnaires parlent du vaste empire de la Chine comme d’un gouvernement admirable qui mêle ensemble dans son principe la crainte, l’honneur et la vertu ». Un rythme ternaire façonnant l’Empire du Milieu est décelé dès 1748 par Montesquieu dans «De L’Empire de Chine » tiré de De L’Esprit des lois. L’appréhension de la Chine se faisait, déjà, sous le prisme de son gouvernement. Est-ce la crainte qui l’emporte sur les trois principes brossés par Montesquieu ? Après le pouvoir de la presse, la technologie ne deviendrait-elle pas le cinquième pouvoir ?
Si les applications, made in China, se hissent au sommet en dépassant parfois le chiffre d’affaires des géants américains, c’est bien parce que les dirigeants chinois s’en sont emparés. La prise de conscience des politiques est précoce. Aussi, le marché chinois est bien plus mature que le reste du monde car la convergence des télécoms en Chine est, en effet, déjà très avancée comme l’a compris Harold Parisot, fondateur du Chinese Business Club. Yannick Bolloré, CEO d’Havas Group qui a lancé Havas China Desk, explique ainsi que « le marché chinois est l’un des marchés affichant la croissance la plus rapide au monde et il se place désormais à la deuxième position en termes de dépenses publicitaires » Si la « muraille » d’Internet a fait couler beaucoup d’encre, elle a permis l’émergence d’applications hybrides dont nous n’avons absolument pas conscience en Europe. Vie privée et publique, culture ou encore sport, elles s’immiscent dans nombre d’univers tout en devenant indispensables, d’Alipay qui permet de payer en toute simplicité à Taobao, seul véritable concurrent d’Amazon.
Un air de Sillicon Valley aux accents chinois.
Dans la technopole de中关村, Zhongguancun, située à Pékin, les caméras sont en nombre. Totems du paysage urbain, ces caméras captent les individus qui commettent une infraction. La photographie de ces derniers est alors projetée sur un écran géant accompagnée de l’heure de ladite infraction. Une démarche foucaldienne : surveiller et punir instantanément.
Des nominations et des prix aux Emmy Awards, la série d’anticipation Black Mirror dévoile et révèle la place que nous donnons aux écrans avec des scénarii des plus brillants. La Chine pourrait être l’un des scénaristes de la série britannique diffusée sur Netflix. Le système de notation a fait, on se souvient, beaucoup parler de lui. Un système qui se déploie à l’image des points de civilité façonnés par WeChat, l’application omnipotente. Ce levier du quotidien permet de communiquer, d’investir en bourse, de payer l’eau et l’électricité et même de recharger sa ligne téléphonique. Il propose, en fait, plus d’un million de mini-programmes.
Le gouvernement chinois se fonde aussi sur cette application pour mettre en place un système de points qui permet de « noter » les citoyens.
On relève le jeu de mots avec le nom de l’application WeChat 微信 – micro message – en chinois et 威信 – confiance populaire -. Exactement la même prononciation et exactement les mêmes tons…. de quoi se laisser tromper. Apres avoir perdu trop de points, le citoyen ne peut plus voyager ou effectuer une demande de prêt à une banque.
La technologie se positionne bien comme le bras droit du pouvoir. Si Montesquieu évoquait dans son ouvrage la séparation des pouvoirs, ne conviendrait-il pas d’ajouter au pouvoir législatif, exécutif et judiciaire, le pouvoir technologique ? L’idée de surveillance est déjà manifeste dans la langue. Aussi, 众, ce caractère est bien prophétique. Il signifie à la fois la masse, le peuple et la foule. Le caractère traditionnel s’écrit de la façon suivante : 眾。 On reconnait ainsi deux personnes qui marchent juste au-dessus d’un œil. Dès lors, l’idée de peuple est intrinsèquement liée à celle de surveillance en Chine. Simplification oblige, sous le président Mao Zedong, le caractère perd son œil. 眾 devient ainsi 众. L’œil du gouvernement reste toujours là mais invisible. L’œil est dans la tombe et regardait la Chine.
Pour appréhender et tenter de comprendre la Chine, ne faudrait-il pas néanmoins s’abstenir de la voir à l’aune de nos principes occidentaux, comme l’avait justement remarqué Montesquieu : « Les lois doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites que c’est un très grand hasard si celle d’une nation peuvent convenir à une autre ».
Plus que la crainte, c’est l’idée de contrôle qui règne en Chine.
La Chine, avec les BATX, s’impose comme la seule concurrente des GAFA américains. C’est bien vers l’Empire Céleste que les regards se tournent tant il ne cesse de s’affirmer comme le protagoniste et le metteur en scène d’une pièce qu’elle entend continuer à écrire et à coder.
Mathilde Aubinaud, communicante et fondatrice de La Saga des Audacieux
Philippe Branche, Financier
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