Jacky Isabello, cofondateur de l’agence Coriolink et administrateur du Think tank Synopia, revient pour la Revue Politique et Parlementaire sur la communication de Jacques Chirac
Il est des personnages dont on ne peut qu’admirer l’abnégation, l’ardeur mise au service de l’accomplissement de la mission. Chirac aura mis 30 ans à conquérir le pouvoir suprême. Nommé secrétaire d’Etat chargé des problèmes de l’emploi en 1967, il sera élu président de la République en 1995. C’était un militaire dans l’âme bien avant d’être un combattant tant dans l’arène politique que sur le champ de bataille durant la guerre d’Algérie.
Mais sur le terrain de la communication il est plus admirable encore car s’il avait le sens du contact, de l’a propos, les outils de la communication moderne le desservaient.
Et pourtant, à la force du travail il aura dompté la télévision, la radio et rallié le grand Homme de la communication de l’ancien monde, le prestigieux Jacques Pilhan, aussi silencieux que Chirac était agité, pour reprendre une raillerie giscardienne.
Si Lecanuet était adoré des médias et désigné comme le futur Kennedy avant même d’avoir mené son premier combat politique, « Le Grand », comme aimaient à le désigner certains de ses amis politiques, passait très mal à la télévision. Tout chez lui était dysfonctionnel et pourtant il remporta aussi cette bataille.
Les outils de la communication révélaient une certaine forme de maladresse. Trop saillant, la télévision déformait son physique de Dom Juan et le desservait. La radio restituait de ses performances discursives une voix presque nasillarde. Son franc parler, sa décontraction – qui lui permirent de remporter sa première élection en terre corrézienne, un territoire réputé imprenable, aux mains des radicaux – caricaturaient sa personne dans les instruments audiovisuels trônant dans tous les foyers français.
Chirac dû beaucoup travailler en média training pour policer son image. La bête politique est née trop tard dans un monde où les médias conditionnaient l’avenir professionnel du personnel politique.
Aujourd’hui sa convivialité, sa proximité, son amour des gens feraient de lui une icône.
Lui qui ne trouvait personne capable de conquérir les cœurs des femmes et des hommes avec une telle facilité aura dû importer le prompteur transparent, habituellement utilisé par le personnel politique américain, pour se faire plus à l’aise lors de ses discours en public.
En termes de messages Jacques Chirac léguera un trésor à l’histoire de la communication. S’il a confessé sa place à la droite de l’échiquier politique en une formule absconse autour de son amour du chocolat, il fût la voix du non à la guerre en Irak, du non à l’alignement aveugle aux côtés d’une Amérique trop belliqueuse. La voix de « notre maison qui brûle alors que nous regardons ailleurs », et de la reconnaissance de la France dans la déportation des juifs. Mais il savait aussi se rendre inconsistant. Un jour favorable au regroupement familial des familles d’immigrés, le lendemain se prenant les pieds dans le tapis lorsqu’il déroula une démonstration qui se conclut par une formule très maladroite qui lui fit grand tort. Regrettant que le travailleur français soit rendu fou par le bruit et l’odeur de familles nombreuses d’immigrés vivant dans son immeuble.
Chirac est avant tout, pour tout communicant, « un fauve politique » pour reprendre une formule de François Fillon.
Positionné à droite, il se fera élire en 1995 sur un programme très proche des idées défendues par la social-démocratie : la fracture sociale dont la formule « mangez des pommes », martelée chaque soir au show des « Guignols de l’info », aura davantage contribué à sa victoire que tous les meetings réunis de sa campagne.
Chirac c’est également un catalogue d’images à lui tout seul. Cette autorité d’un président seul à Jérusalem contre des milliers d’hommes des services de sécurité et de renseignement d’Israël tentant de l’empêcher de serrer la main des passants arabes palestiniens dont il soutenait certains des combats. Chirac, l’homme du « cul des vaches », des embrassades, des lourdes tapes dans le dos et des aphorismes qui sentent la France profonde et le bon sens des territoires ruraux. Certains magazines ne manquèrent pas de rappeler qu’il était bel homme et qu’il avait du style. Ne fut-il pas au centre d’une légende qui rendit jaloux la France des ados. En 1987 Madonna aurait lancé un sous-vêtement très intime à celui qui allait devenir président de la République lors d’un des concerts de la star auquel il assistait.
Chirac aura traversé les grandes mutations du secteur audiovisuel qui imposèrent au maire de Paris de se transformer. Aidé par Jacques Pilhan, le sorcier de l’Elysée, gourou de la communication au service de deux présidents de la République, ennemi intime dans l’arène politique, Chirac aura également pu compter sur la dévotion de sa fille Claude, toute à la tâche pour faire aimer cet élève peu doué dans l’exercice de la mise en scène médiatique. Mal aimé des caméras, il n’aurait pas plus apprécié la digitalisation du monde de l’information. Le 17 décembre 1996, il demanda à son ministre de la Culture : « la souris, qu’est-ce que c’est ? ». Le peuple français gardera la formule des Guignols moquant Chirac et son mulot. Pour une fois la « com » ne l’aura pas égratigné. Cet homme pour qui la communication n’était pas innée, aura su démontrer, dans ce domaine également, qu’il était un grand combattant, un homme d’Etat.
Jacky Isabello
Cofondateur de l’agence Coriolink
Administrateur du Think tank Synopia