Alors que le passe vaccinal n’a pas encore été débattu au Parlement, déjà la vague occasionnée par le variant Omicron submerge la France.
Au-delà des querelles enflammées relatives au piétinement des libertés, à la pertinence ou à l’opportunité des nouvelles mesures sanitaires, ainsi qu’à la complaisance éventuelle des plus hautes institutions, Conseil d’Etat et Conseil Constitutionnel, le Sars-Cov-2, et plus particulièrement Omicron, révèle une crise profonde. Une crise bien plus essentielle que celle qui fracture la démocratie représentative, une crise philosophique en quelque sorte, en ce qu’elle affecte ce que Michael Oakeshott a qualifié de « courant intellectuel le plus remarquable de l’Europe après la Renaissance » : le rationalisme politique.
Nous sommes confrontés dans la gestion de cette crise sanitaire, qu’on le veuille ou non, à un évident paradoxe : la science n’a jamais autant montré ses limites en matière de certitude du savoir, l’empirisme n’a jamais gagné autant de galons face à la raison raisonnante, et pourtant, jamais un gouvernement ne s’est autant appuyé sur une prétendue « vérité scientifique » pour justifier sa politique. Comprenons que ce n’est en réalité pas tant la raison qui est mise en cause ici que l’usage politique qui en est fait, l’arrogance en quelque sorte du rationaliste politique qui, explique Oakeshott, « ne doute jamais de la puissance de sa ‘raison’ (lorsqu’elle est proprement appliquée) pour déterminer la valeur d’une chose, la vérité d’une opinion ou le caractère approprié d’une action. » Car, doutent-ils, les rationalistes qui nous gouvernent ? Non, jamais.
La science justifie toutes leurs mesures, tous leurs propos, ainsi que leurs contraires. Elle est leur garantie universelle.
Et, pour renforcer encore cette arrogance, comme s’il y en avait besoin, ce même rationaliste politique juge qu’il est « difficile de croire que quiconque sait penser honnêtement et clairement puisse penser autrement que lui ». L’« extrême-droitisation » des contestataires, des sceptiques, des opposants politiques, en étant probablement la meilleure preuve.
En exergue de son article intitulé Rationalism in politics et publié dans le Cambridge Journal en 1947, le philosophe britannique, adepte d’un conservatisme sceptique, avait choisi de placer la citation suivante, extraite des Maximes de Vauvenargues, en français dans le texte : « Les grands hommes, en apprenant aux faibles à réfléchir, les ont mis sur la route de l’erreur. » Ceux-là mêmes que Vauvenargues désigne comme « les faibles » ont accédé aujourd’hui au pouvoir, non seulement politique mais technocratique et médiatique, et, forts de ce rationalisme moderne qu’ils ont élevé au rang de religion d’Etat, qu’ils ont sanctifié à grand renfort de liturgie scientifique sanitaire, ils font de cette « erreur » une discipline collective auquel nul ne peut plus se soustraire, contraint de se soumettre par la force publique, le Conseil de l’ordre, ou le tribunal médiatique.
A quoi assistons-nous, dès lors, sinon au travestissement tout moderne de l’usage naturel de la raison, et peut-être du bon sens, en matière de gestion des affaires publiques, en un rationalisme politique arrogant ?
Un rationalisme politique qui se veut à la fois intellectuellement supérieur aux autres – rappelons comment les médias ont construit de toutes pièces cette supercherie d’un génie politique gaullo-mitterrandien, disciple de Ricœur, héritier de Machiavel, dès 2016 – et incontestable, moralement intouchable, représentant légitime du camp du Bien – c’est le fameux « quiconque pense honnêtement ne peut penser autrement que lui ».
Ce n’est pas seulement la politique sanitaire d’Emmanuel Macron qui apparaît désormais comme une immense farce autoritaire à ceux qui ont fait des données sanitaires empiriques leur pain intellectuel quotidien, car le temps fera son œuvre et dessillera les yeux des fanatiques du moment, c’est le rationalisme politique tout entier qui s’effondre, cette prétention intellectuelle supérieure qui laisse entendre que l’incarnation politique de la raison – l’Etat, le gouvernement, la social-démocratie, la République – est à même de se saisir de tous les problèmes de la société, et, par son action, de les résoudre de la façon la plus raisonnable, autant dire la meilleure. A cette prétention, Omicron répond : « Vous ne pouvez rien contre moi. Vous n’avez pas su me prédire. Vous n’avez pas su m’anticiper. Vous n’avez pas su m’empêcher de déferler. Vous n’avez pas su me modérer. Vous n’avez pas su me terminer. Votre raison est impuissante. Vous êtes poussière, finitude, et votre raison tout autant que vous. Regardez la pagaille que j’ai créée dans votre organisation sociale toute rationnelle, regardez combien je vous ai éloignés de vos principes libéraux fondateurs. Je suis, pour vous, rationalistes politiques modernes, d’abord et avant tout, une leçon d’humilité. Une humilité à laquelle votre arrogance estd’ailleurs incapable de consentir, c’est pourquoi vous la recevrez comme une humiliation. »
Frédéric Saint Clair
Écrivain, Politologue