Rien ne va plus entre les Etats-Unis et la Colombie ! Depuis la révocation du visa accordé par les autorités américaines au Président colombien Gustavo Petro (1) au lendemain d’«actions téméraires et incendiaires » conduites lors d’une manifestation publique en soutien à des manifestants propalestiniens, devant le siège de l’Organisation des Nations Unies, le 26 Septembre 2025, les relations entre les deux pays se sont fortement dégradées.
Cette situation pourrait sembler anecdotique. Elle est en réalité le résultat d’une véritable divergence politique et idéologique tandis que « le conflit armé contre le narcotrafic » engagé par Washington dans la région des Caraïbes, place le Vénézuéla, premier partenaire commercial de la Colombie, dans le cœur de la crise. Opération de diversion de la part de Gustavo Petro pour faire oublier l’échec d’une ligne politique depuis son accession au pouvoir le 7 Août 2022 ou véritable passage en force pour apparaître en leader d’un « Sud global » (2) offensif en Amérique latine et apparenté à une volonté de rupture avec les Etats-Unis ? Désormais prise en étau, sur la scène internationale, par la concurrence sino-américaine, l’Amérique latine est actuellement dans les turbulences causées par les problèmes migratoires, liées à la gouvernance de certains pays sources, tels Haïti ou le Vénézuéla, et le développement du narcotrafic, principalement les marchés de la cocaine (la Colombie en représente 60%), et les drogues de synthèse.
Le « conflit armé » engagé par Washington et ses alliés (3), contre les cartels latino-américains de la drogue et présents, géographiquement dans la région des Caraïbes, place chacun face à ses responsabilités. Gustavo Petro, en reportant le centre névralgique de son action internationale sur la question palestinienne et Gaza tente une opération de renversement d’alliance avec le bloc occidental. Les signes avant-coureurs, ne manquaient pas : rupture des liens diplomatiques avec Israël, pourtant un des principaux fournisseurs d’armements à la Colombie, refus d’un soutien à l’Ukraine malgré les demandes réitérées de la Générale Richardson, à la tête du SOUTHCOM, le commandement pour l’hémisphère occidental des forces armées américaines (4)…
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Gustavo Pétro et la recherche d’une rupture avec les Etats-Unis
Avec un savant dosage entre stratégie de communication et ligne idéologique, en s’appuyant sur l’idée d’un « Occident global » injuste et coercitif dont la Colombie serait une victime, le Président colombien tente de s’exonérer de ses propres responsabilités sur l’évolution de la Colombie et d’apparaitre comme une voix de la gauche nouvelle en Amérique latine et quelques mois avant les élections présidentielles colombiennes en Mai 2026. Au Brésil, la guerre commerciale entre la Chine et les USA et la hausse des tarifs douaniers décidés par Donald Trump (5), conduisent le Président Lula da Silva a une approche mesurée. Nicolas Maduro est désormais directement menacé par le conflit engagé par Washington contre les cartels de la drogue : il est désigné comme le premier responsable avec Diosdado Cabello, incontournable Ministre de l’Intérieur, de la justice et de la paix du régime bolivarien, comme l’instigateur et bénéficiaire du « Cartel de los Soles », un réseau tentaculaire de protection en faveur d’un des principaux groupes illégaux « Tren de Aragua », chacun étant désigné comme organisation terroriste.
Et pourtant, la Colombie a obtenu en 2018, le statut d’allié majeur non membre de l’OTAN, renforçant une relation stratégique en matière de lutte contre le trafic de drogue, pour la sécurité d’une partie de la région des Caraïbes et des pays andins, désormais dans l’œil du cyclone. En « exhortant les soldats américains à désobéir aux ordres du président Donald Trump », devant le siège de l’Organisation des Nations Unies, le Chef d’Etat colombien n’a- t’-il pas délibérément joué « son va-tout » pour précipiter une crise pour mieux s’en exonérer ?
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Les enjeux internationaux des tensions entre les USA et la Colombie
Gustavo Petro a pris le contrepied du positionnement international colombien de ces trois dernières décennies : affirmation d’une alliance renforcée avec le Vénézuéla bolivarien, rupture des relations diplomatiques avec Israël marquant la fin des approvisionnements militaires, rapprochement avec la Russie après avoir pris ses distances avec l’Ukraine de Volodymyr Zelensky. Le dernier épisode newyorkais ne fait que confirmer une dérive que Washington ne peut tolérer au risque d’affaiblir son flanc occidental tandis que les tensions notamment avec la Russie au lendemain du Sommet de l’Alaska (6) et avec la Chine, désormais présente en Amérique latine, se renforcent. Il s’agit bien de la sécurité de l’hémisphère occidental qui est désormais remise en question et que Donald Trump entend garantir en mettant sur pied une coalition placée sous son leadership.
« La paix totale » proposée en 2022 par Gustavo Petro se transforme en une « guerre totale » tandis que Gustavo Petro est pris à son propre jeu. Depuis Janvier 2025, des combats, notamment dans la région du Catatumbo où plus de 53.000 hectares servent à la culture de la coca, ont repris. La drogue est dans le cœur d’une réalité qui s’assombrit. En 2021, l’Office des Nations Unies contre la drogue et la criminalité annonçait que « la superficie de coca plantée (en Colombie), avait augmentée de 43% passant de 143.000 hectares en 2020 à 204.000 hectares ». En 2023, elle était de 253.000 hectares. Elle dépasse désormais la barre des 300.000 hectares. Les revenus générés par ce trafic représentent 4.2% du PIB national, à savoir 15.3 milliards de dollars. Autant que le secteur de la construction ! Ce sont plus de 2700 tonnes de drogue qui sont produites en Colombie. Les Etats-Unis ont considéré que la Colombie, avait « manifestement manqué à ses obligations en matière de lutte contre le trafic de drogue » et ont décertifié la Colombie. En réponse et en voulant donner le sentiment d’une forme de « représailles », le président colombien a déclaré qu’il cesserait d’acheter des armes aux Etats-Unis.
Conclusion
En s’attaquant directement au Président Donald Trump, Gustavo Petro ne cherche t’il pas à la fois à prendre le leadership d’une fronde anti-occidentale en Amérique latine ? Cette ligne lui offre de faire diversion tandis que Washington a placé dans le cœur de ses priorités, la lutte contre le narcotrafic qui est consolidé par le niveau de production de cocaine en Colombie.
Depuis le mois d’Août 2025, l’accélération des tensions bilatérales s’inscrit dans un contexte régional difficile. En se présentant comme le promoteur d’une nouvelle gouvernance internationale, anti-occidentale, Gustavo Petro tente une manœuvre de diversion bien risquée, sur le plan politique autant pour son pays comme pour la région andine.
Plus que jamais, la recherche d’un équilibre global en matière de sécurité et de démocratie se joue aussi à Bogota où le Chef de l’Etat, a quelques mois de la fin de mandat, a choisi de s’engager dans une démarche qui s’apparente à la recherche d’un possible renversement d’alliance. S’il devait aboutir, il aurait pour effet d’affaiblir le flanc ouest du système de sécurité des Etats-Unis et d’un occident placé actuellement sous tensions.
Pascal Drouhaud
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Notes
Pascal Drouhaud est spécialiste des relations internationales. Il est l’auteur de nombreux articles sur les processus démocratiques et sur les questions de développement économique en Amérique latine. Il est le Président de l’Association LATFRAN (www.latfran.org) et chercheur associé auprès de l’Institut Choiseul.
- Gustavo Petro a été élu à la tête de la Colombie le 19 Juin 2022. Il est devenu le premier Chef de l’Etat de Colombie issu des rangs de la gauche : ancien membre du mouvement insurrectionnel M 19 (intégré dans la vie civile en 1990), il est devenu parlementaire à partir de 1991 (député puis sénateur). Maire de Bogota de 2012 à 2015, il a été élu en 2022 lors de sa troisième candidature présidentielle.
- Pascal Drouhaud, « Amérique latine– La tentation du « Sud global » , Revue Défense nationale, n° 865 Décembre 2023 – p. 120-123
- Le Président Donald Trump a decrété le 2 Ocrtobre 2025 que les « Etats-Unis étaient engagés dans un conflit armée » contre les cartels du narcotrafic » en informant le Pentagone.
- La Générale Paula Richardson a dirigé le Southcom de 2021 à 2024. L’Amiral Alvin Holsey lui a succédé depuis le 20 Janvier 2025.
- Depuis le 6 Août 2025, 3 800 produits brésiliens, dont le café, la viande, le poisson, le mobilier, les produits chimiques, le textile ou les machines sont soumis à une hausse de 50% des tarifs douaniers vers les USA.
- Un Sommet entre les Président Donald Trump et Vladimir Poutine s’est tenu sur la base inter armées Elmendorf-Richardson d’Anchorage en Alaska. Le conflit avec l’Ukraine était dans le cœur des entretiens bilatéraux.
- L’Armée de Libération nationale (ELN), d’inspiration guévariste a été créée en 1964. Elle reste la dernière guérilla active en Colombie.
- Les Forces armées de Libération nationale (FARC) ont été fondée en 1964 par Manuel Marulanda qui en est le leader incontesté jusqu’à sa mort en Mai 2008. Les FARC se sont transformées en un mouvement politique au lendemain des accords de paix signés en 2016. Certains membres de la guérilla ont crée des groupes dissidents en réalité liés aux trafics de la drogue dans les régions de production.
- Le « Clan del Golfo » est en 2025, un des principaux cartels de la drogue. Il est ouvertement en lutte contre l’ELN et les groupes dissidents des FARC ?