À mi-parcours des travaux du « conclave de retraite », plusieurs constats alarmants s’imposent à tout observateur indépendant : confusion trompeuse entre argent public et privé, gouvernance aléatoire de régimes opaques, présentation comptable incohérente, aveuglements persistants face à la dégradation de l’équation démographique, technocraties centralisatrices inefficaces des grands corps financiers de l’État. Au lieu d’une stratégie soucieuse des intérêts des parties prenantes, cotisants et retraités, la politique publique de « colmatage des brèches » a abouti à un endettement insupportable. Les financements récurrents par emprunt à long terme des dépenses courantes bafouent la logique financière la plus élémentaire (1). Les protestations tardives de personnalités informées,
-1) Remèdes d’urgence aux injustices affectant les femmes et à la pénibilité au travail
Les études sur les inégalités en matière de retraite ne manquent pas et concernent notamment les sorts des « cotisantes » et des travailleurs victimes de « pénibilité » au cours de leurs carrières. Le retard des réactions syndicales face à ces injustices évidentes et documentées est surprenant. Il est inutile de revenir sur les origines et les mesures de ces iniquités reconnues, mais il est indispensable de porter remède à ces anomalies déjà anciennes. Plutôt que de proposer de laborieuses réformes du régime général « vieillesse » de la Sécurité sociale sous l’égide de la CNAV, il est préférable de s’en tenir à la souplesse des régimes à points « Agirc-Arrco », les seuls systèmes de retraite sur lesquels les syndicats patronaux et salariés ont gardé la main (2). Ces régimes, correctement gérés dans le cadre d’une démocratie sociale paritaire, permettent d’apprécier les critères spécifiques et les quanta de corrections appropriés :
ceux-ci résulteront d’une connaissance concrète et actualisée des relations de travail.
La plupart des parlementaires, bénéficiaires eux-mêmes de l’argent public, s’avèrent ignorants du monde du travail, de l’expérience des créations d’emploi et des réalités des entreprises. Selon toute vraisemblance, les critères retenus pour améliorer les retraites des « cotisantes » prendront en compte les écarts anormaux de rémunérations entre hommes et femmes, les absences pour cause de maternités, les nombres d’enfants élevés et les situations particulières, telles l’éducation familiale dans une structure monoparentale… La mesure de la « pénibilité au travail » concerne les travaux physiques intenses, l’exposition répétée à la pollution, les horaires décalés, les risques d’accidents ; elle concerne certains travaux en usine, mais aussi des catégories défavorisées en unités de soins, dans les secteurs de la logistique ou du bâtiment…
Quelles que soient les différentes catégories de populations concernées, ces critères méritent d’être approfondis et nuancés par branches d’activité, puis adaptés en fonction des évolutions professionnelles sous forme d’accords syndicaux précis et évolutifs. Ces corrections visant les retraites auraient dû être déjà réalisées à l’initiative des syndicats : les remèdes à ces deux catégories d’injustices pourraient désormais passer par l’attribution gratuite de points, par le doublement d’annuités dans les régimes Agirc et Arrco, ces dernières concernant tous les salariés, indépendamment du plafond de cotisation SS. Il revient aux syndicats responsables de mesurer, d’apprécier et de contrôler les coûts correspondants de ces correctifs, y compris avec les représentants des populations déjà retraitées qui devraient légitimement participer à ce débat et à ces objectifs d’équité.
-2) Une thérapie efficace pour organiser la transition financière de la répartition
Les réformes « millimétriques » successives ne sont pas à la hauteur du défi posé par la dégradation de l’équation démographique. Le mépris général des équilibres financiers est illustré par la non-activation de la loi Thomas votée en 1997 et abrogée en 2002. Ce retard invalidant et l’état déplorable des finances publiques et privées obligent, en 2025, à envisager la transition souhaitable via des initiatives monétaires non conventionnelles, matière actuelle à débat en Europe. L’option privilégiée ici, non exclusive d’autres formules pertinentes, autoriserait l’introduction rapide d’un modèle paritaire de retraites préfinancées et ciblées par génération. La Banque de France détient près de 1 000 milliards d’euros d’obligations, en application des mesures européennes prises par la BCE au cours des dernières années.
Il conviendrait d’organiser la souscription par la banque centrale de capitaux propres – actions ou titres hybrides (3) – du même montant au profit d’organismes paritaires privés chargés de verser des retraites préfinancées, grâce au rachat simultané de ces obligations détenues au titre du « QE ». Les organismes concernés joueraient le rôle d’« institution de retraites préfinancées » (« IRPF »), privée appartenant aux périmètres des caisses de retraite complémentaires, sous contrôle paritaire du régime Agirc-Arrco. Ces structures disposent des fichiers des cotisants-retraités et des outils de gestion idoines. Ces « IRPF », soumises au régime européen du service des rentes, échapperaient à la norme comptable IAS 19 des fonds de pension (4), inadaptée à une gouvernance paritaire. Les faibles rendements des obligations rachetées par les « IRPF » à la banque centrale conduiraient à calculer ces pensions à servir sur des périodes limitées (ou exceptionnellement viagères) avec un taux technique réduit.
Ces nouvelles pensions, destinées aux générations défavorisées par une équation démographique dégradée, bénéficieraient de la souplesse technique de la capitalisation actuarielle, tout en encourageant l’activité professionnelle au-delà de 60 ans ; elles permettraient ainsi des versements réguliers à partir de 65 ans, lors du placement en « Eh pad », ou à partir de situations sanitaires aggravées, suivant des accords nationaux homologués par les parties prenantes concernées. Ces mêmes « IRPF » constitueraient
– 3) Une ambitieuse réforme de fond, la « rémunération globale », les relations intergénérationnelles
Ce conclave serait-il en mesure de proposer une nouvelle architecture des systèmes de retraite des salariés du privé ? Qui pourrait accepter, voire cautionner, la rupture du contrat social de rémunération globale (5), qui comprend à la fois les revenus d’activités et de retraite, conformément à une promesse civique à laquelle les salariés français accordent foi, aujourd’hui comme hier ? Les « fausses bonnes idées », pénalisant cotisants ou retraités et alimentant des conflits intergénérationnels, sont à bannir : hausse des prélèvements obligatoires, non-indexation des retraites (6), système généralisé en capitalisation de type fonds de pension (7), compensations entre régimes publics et privés, ponctions sur l’épargne constituée, reversions limitées. Le recours à un système collectif de retraites préfinancées, sous contrôle de responsables représentatifs des parties prenantes, y compris des retraités, impliquerait une formation pratique àl’économie financièreet monétaire, dans l’intérêt des ayants droit des régimes de retraite de salariés. En assumant cette mission civique, ces représentants gagneraient crédibilité et légitimité nécessaires à une véritable démocratie sociale. L’impact de ces « IRPF » privés sur les marchés financiers constituerait un atout décisif pour le financement de l’économie soumis à des critères « ESG » rigoureux, authentiques et contrôlables.
Gérard Valin