Le mercredi 13 avril, sur BFM-TV et RMC, le porte-parole du gouvernement a déclaré que le prochain président devrait prendre des mesures pour « conditionner la rémunération des dirigeants des grandes entreprises au respect des objectifs environnementaux, sociaux, sociétaux ».
La première mesure, la plus facilement applicable pourrait concerner les délais de paiement. La rémunération des dirigeants serait conditionnée au respect des délais contractuels et légaux. C’est l’objectif sociétal le plus facilement mesurable et qui aurait un impact direct pour beaucoup d’entreprises et d’emplois.
Avoir des relations d’affaires équilibrées avec ses fournisseurs est un enjeu de responsabilité sociétale et sociale mais aussi de compétitivité. Les fournisseurs comptent pour 40 à 80% des dépenses de leurs clients. Ils en sont la première source d’innovation externe. Et le lien de confiance qui les unit est clef. Sans lui, il n’est pas de réelle performance ni de développement.
Une relation client-fournisseur équilibrée entraîne un développement du fournisseur qui peut investir, par exemple pour proposer des produits et services plus respectueux de l’environnement, et qui peut sécuriser ses emplois. Ce sont ces mêmes employés qui vont ensuite consommer les produits et services des clients, participant ainsi une seconde fois à son développement. C’est une question d’écosystème, dans le monde économique.
La force du lien client-fournisseur est ce qui fait la force d’un écosystème et sa durabilité. Toute tentative de relocalisation, ou d’empêcher une délocalisation, échouera si la qualité de ce lien n’est pas assurée.
Or, en France, plus de la moitié des factures sont payées en retard. Des milliers de faillites d’entreprises et de pertes d’emplois en découlent, mais aussi de nombreuses opportunités d’investissement. Et il y a peu de sanctions au regard des enjeux comme des montants en jeu. Bercy comme la Banque de France ont une bonne connaissance de ce phénomène. Cela fait des années que les retards de paiement sont suivis.
Ainsi, en 2020, dans son observatoire des délais de paiement, la Banque de France estimait que les retards de paiement rapportaient 5 milliards d’euros de trésorerie aux grands groupes et 23 milliards d’euros à l’Etat, aux sociétés financières, aux collectivités locales et aux individus. Et cela au détriment des ETI pour 9 milliards d’euros et des PME pour 19 milliards.
Les sanctions vont croissant, amendes de la DGCCRF pour quelques grandes entreprises, dégradation de la cotation FIBEN pour entreprises cotées 3++ et 4++ depuis quelques mois. Des efforts sont réalisés pour mieux faire respecter la loi de modernisation de l’économie au sein des administrations. Mais elles ne touchent que très marginalement ceux qui décident de ne pas agir alors que la situation s’est dégradée depuis le début de la crise COVID. La Banque de France notait ainsi en 2020 que pour freiner la dynamique des retards de paiement, il fallait agir sur les comportements1.
Agir sur les dirigeants comme le suggère le porte-parole du gouvernement est une bonne piste. Mais il ne faut pas se limiter aux dirigeants des grands groupes privés. Il faut étendre ces mesures à l’ensemble des organisations, publiques comme privées.
En cas de non-respect des délais de paiement, leur rémunération est diminuée en proportion, la rémunération variable est supprimée. En cas de paiement en deçà des délais légaux, elle peut être améliorée. De 2018 à 2020, des grands ministères comme celui des Armées ou de l’Agriculture ont réussi à améliorer leurs délais de paiement. Au premier confinement, certains grands groupes ont réglé avec anticipation certains petits fournisseurs en difficulté.
Il s’agit donc d’un objectif réalisable. Et il est également facilement contrôlable pour nombre d’organisations – pour les sociétés cotées comme pour les grandes organisations étatiques, les données sont régulièrement auditées, publiées et accessibles.
Sur ce seul indicateur des délais de paiement, l’incitation par la rémunération des dirigeants sera profitable à tous. Aux fournisseurs et à leurs employés d’abord. A l’écosystème économique qui sera ensuite renforcé. Puis, les grands groupes verront leurs cotations comme leurs réputations améliorées, et les risques d’amendes évités. Leur croissance sera enfin assurée par un emploi renforcé, et par leurs fournisseurs qui auront plus de temps pour innover avec eux plutôt que pour réclamer leurs impayés.
C’est une mesure immédiatement actionnable. Respecter les délais de paiement peut être le premier des objectifs environnementaux, sociaux, sociétaux qui sera rempli.
Romaric Servajean-Hilst
Professeur Kedge Business School
Chercheur-associé i3-CRG Ecole polytechnique