Pour la Revue Politique et Parlementaire, Anthony Guyon à lu La guerre d’Indochine – Dictionnaire, paru aux éditions Perrin.
Le dictionnaire proposé naît d’un constat quelque peu amer : malgré une durée de neuf années, la perte d’un demi-million d’hommes dont 80 % de Vietnamiens et un sort terrible pour les prisonniers, la guerre d’Indochine reste mal connue et nous serions presque tentés de dire mal- aimée. Pourtant, comme en témoigne la bibliographie indicative, les travaux ayant couvert les multiples aspects de ce conflit s’avèrent particulièrement nombreux. La comparaison avec la guerre d’Algérie paraît donc légitime, d’autant qu’elle s’inscrit pleinement dans la guerre froide et s’avère profondément révélatrice des relations internationales dans le sud-est asiatique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
En raison du profil des cinquante contributeurs, dont de nombreux historiens militaires, la part belle est donnée aux éléments tactiques et stratégiques. La bataille de Diên Biên Phu est ainsi développée sur une vingtaine de pages. On y retrouve également des dispositifs tactiques comme le hérisson ou l’usage de l’hélicoptère dans cette guerre particulière. Le dictionnaire est en outre le témoin d’une histoire militaire renouvelée et ambitieuse qui aspire à comprendre le combattant dans sa globalité. La plupart des unités y ayant participé sont ainsi évoquées comme la Légion étrangère, les différents régiments et groupes mais aussi les soldats africains dont plus de 60 000 sont venus combattre en Indochine. Autre point intéressant, le combattant est abordé depuis son engagement, jusqu’à sa vie d’après (anciens combattants), en passant par les désertions (pour les 3 000 hommes concernés). Plusieurs notices sur l’environnement du combattant analysent les aspects psychologiques (moral, alcool), puis les questions sanitaires (paludisme).
Du côté des acteurs, Hô Chi Minh et Vo Nguyen Giap auraient certes mérité des textes plus étoffés mais les auteurs ont fait le choix, probablement judicieux, de privilégier des biographies succinctes, y compris pour Thierry d’Argenlieu et Jean de Lattre de Tassigny. Quelques caractéristiques auraient pu être approfondies comme la particularité du communisme indochinois dans lequel Hô Chi Minh a l’intelligence de mêler les fondements communistes avec une dose de pragmatisme lui permettant de profiter d’une opinion publique et d’un contexte géopolitique favorables aux décolonisations. Une notice Historiographie aurait également permis de montrer au lecteur comment a été étudié ce conflit depuis sept décennies. Ces quelques éléments n’enlèvent rien à un travail qui constituera désormais un outil indispensable pour tous ceux qui souhaitent comprendre la guerre d’Indochine. Quelques notices s’avèrent particulièrement réussies comme celles sur les prisonniers, puis prisonniers et internés militaires (PIM). On apprécie également la place accordée aux éléments culturels (bande dessinée, intellectuels, ou encore propagande) et sociaux (prostitution, enfants abandonnés) qui témoignent à la fois des conséquences dramatiques de ce conflit sur la société indochinoise et de la possibilité de construire une histoire globale à partir d’un conflit.
Anthony Guyon
La guerre d’Indochine – Dictionnaire
Sous la direction de Ivan Cadeau, François Cochet et Rémy Porte
Éditions Perrin, 2021
950 p. – 35 €