Après les annonces du Premier ministre sur le reconfinement, le spectre d’un nouveau report, après le mois de juin, des élections départementales et régionales, qui auraient dû se tenir, initialement, ce week-end, se pose une nouvelle fois avec acuité. Par Nathalie Goulet, sénateur de l’Orne.
En Normandie par exemple, les deux départements de l’ancienne Haute-Normandie, Eure et Seine-Maritime, sont confinés, impossible d’imaginer ne serait-ce qu’une distribution de tracts sur un marché.
Cette initiative décalée serait légitimement mal perçue par nos concitoyens électeurs (ou plus sûrement abstentionnistes en puissance).
Deux théories s’opposent au sujet du report des élections régionales et départementales, toutes deux sont légitimes :
La première parle de ne pas confisquer la Démocratie, nous explique que d’autres pays dont les USA ont tenu des élections au plus haut de la crise sanitaire, oubliant, au passage, de mentionner les différences de modalités de vote et notamment le vote anticipé.
La seconde, que je défends, consiste à faire un simple constat :
Les Français ont d’autres préoccupations, les joutes électorales et les promesses qui en sont l’accessoire ne les intéressent pas du tout, absorbés qu’ils sont par le contexte sanitaire, la crise économique, l’incompressible désir de revenir « au monde d’avant » et d’en finir avec le cauchemar de la Covid.
Les conditions d’une campagne sereine ne sont pas réunies. Comment tenir une réunion de campagne ne serait-ce qu’avec ses colistiers, plus de cent par exemple pour la liste de la Région Normandie ?
La continuité de la gestion territoriale est assurée.
Les Conseils départementaux et régionaux administrent les territoires au plus près des préoccupations des Français on l’a vu au moment du premier confinement.
Le mode électoral des conseillers de ces deux assemblées prévoit des suppléants.
Ainsi, dans l’hypothèse, d’une disparition d’un de ses membres un suppléant a été prévu pour le remplacer.
Enfin, last but not least le coût de la campagne, le plafond de dépenses est en Normandie de 900 000 euros par liste augmenté de 20 % par la loi n° 2021-191 du 22 février 2021.
5 ou 6 listes par région, 13 régions, dont les plafonds de dépenses sont supérieurs, plus d’une centaine de millions ainsi consacrés à un scrutin, que l’on pourrait qualifier de « non essentiel ».
On peut donc dire, sans crainte d’être démenti, que la France est administrée et qu’aucune urgence ne justifie l’organisation de deux élections simultanées, couteuses pour le budget et indifférentes aux citoyens qu’elles sont supposées concerner.
Tous ces éléments militent à mon sens pour un report des élections régionales et départementales à un temps plus serein.
Mais il y a un mais ! la gestion de cette « drôle » de campagne !
Le bémol à cet état de chose est de taille, il concerne les challengers. Comment exister face à un Président sortant qui n’en finit pas de présider ?
Comment développer un programme, sans craindre que le sortant doté de tous les outils de la Région ne s’en approprie des éléments, qui plus est avec les moyens de les mettre en application ?
Pendant cette « drôle » de campagne, les incertitudes et précautions sanitaires transforment un avantage traditionnel au sortant en joker d’inamovibilité.
Comment faire campagne contre un Président de Région qui, telle une rock star, passe d’un département à l’autre pour multiplier les annonces et les signatures largement médiatisées.
Comment lutter contre les promesses sonnantes, si douces aux oreilles des électeurs qui, en quelque sorte hypnotisés, ne voient plus autre chose que cette manne promise par cet homme providentiel, qui doit donc coûte que coûte, quoi qu’il en coûte, rester en place pour concrétiser ses mirobolantes promesses.
Promesses venues à point, en fin de mandat, cette période semblant très propice à une créativité absente les années précédentes.
Bizarre ! Vous avez dit bizarre, comme c’est bizarre.
Le système atteint son paroxysme, avec une campagne réglementairement débutée depuis septembre 2020, date officielle de l’ouverture des comptes de campagne pour les candidats aux élections régionales.
À ceux qui associent confiscation de la démocratie et report d’élections, je dis que la vraie confiscation de la démocratie consiste à faire perdurer la situation d’inégalité flagrante entre des candidats à une même élection.
Je dis que nous devons, aujourd’hui, et le Gouvernement avec nous réfléchir à rétablir l’égalité entre les candidats aux élections régionales.
Cette égalité entre les candidats passe par une limitation du pouvoir des instances délibératives qu’il faut, à mon sens, contenir aux actes de gestion courante.
La situation inédite que nous connaissons impose de réfléchir de façon très sérieuse à cet encadrement des pouvoirs des Conseils régionaux dont la survie, au sens littéral du terme supplément de vie, n’est due qu’à la dramatique situation de crise sanitaire que nous subissons.
« L’acharnement thérapeutique » qui en découle ne doit pas transformer la prime au sortant (règle bien comprise du jeu), en saufconduit pour un réélection.
Le Gouvernement, après consultation, doit proposer une mesure de sauvegarde de la promesse démocratique de l’élection, le libre choix des électeurs, une campagne transparente et une concurrence non faussée.
Car c’est bien de concurrence faussée dont nous parlons ici et maintenant.
Les Présidents de Région ne devraient pas pouvoir engager leur collectivité financièrement, interdisant, ainsi, toute tentation de faire campagne, dans les faits, avec les moyens de la collectivité.
Il faut laisser une chance à la démocratie c’est bien ce que veulent les tenants du maintien des élections.
La démocratie, c’est la promesse républicaine de l’égalité des candidats devant les électeurs c’est cette promesse qu’il faut tenir, en limitant les actes des Conseils régionaux aux simples actes d’administration et aux actes de gestion strictement nécessaires jusqu’à leur renouvellement.
A défaut, les élections qu’elles soient maintenues en juin ou déplacées ne seront qu’un simulacre, les candidats doivent être jugés sur leurs programmes et pour les sortants, seuls audibles du fait de cette position, sur leur bilan, pas sur des promesses mirifiques, qu’ils sont les seuls en capacité de faire en surfant sur un mandat prorogé.
Je suis certaine qu’aucun candidat sérieux à sa réélection ne contestera cette proposition, il en va de leur crédibilité et de la confiance que les sortants placent dans leur bilan, et pas dans les promesses de fin de mandat bienvenues pour en compenser les failles.
Nathalie Goulet
Sénateur de l’Orne