Pour beaucoup de nationalistes, il y a quelques années, il y a eu un choix essentiel à faire : poursuivre la lutte armée ou choisir la voie de la démocratie. Les bombes ou le bulletin de vote !
Une majorité d’entre eux a alors choisi le combat politique classique plutôt que de continuer à faire parler les armes.
Grand bien leur en a pris puisque les urnes ont validé ce choix dès 2014, avec une majorité nationaliste pour la Collectivité De Corse (CDC).
Les nouvelles élections régionales de juin dernier ont marqué une évolution encore plus significative. En effet, la Corse s’est distinguée par rapport à l’élection nationale avec un taux de participation exceptionnel de 57%. La Gauche y a été balayée, la Droite faiblement présente. Autre fait majeur et non des moindres, les différents courants nationalistes et autonomistes y ont cumulé dès le premier tour plus de 57% des suffrages ! Une évidence, en Corse le dégagisme s’est fait au profit des Nationalistes et non du macronisme…
Mais le deuxième tour de l’élection a marqué une rupture importante entre autonomistes et indépendantistes. Rupture voulue par Gilles Simeoni afin de clarifier le combat entre ceux qui revendiquent une plus grande autonomie pour l’Ile et ceux qui rêvent d’une Corse indépendante…
Le Président de la Collectivité, plébiscité par les urnes (40%), pour un second mandat, est certes charismatique mais il est surtout pragmatique. Il sait que la Corse n’a, en l’état, ni la population, ni le PIB, lui permettant une indépendance viable. L’exemple de la Catalogne, pourtant la plus riche région d’Espagne, obligée de « rétropédaler » dans sa quête d’une « Nation catalane » vient d’illustrer les difficultés de la tentation indépendantiste en Europe.
D’aucuns expliquent, souvent, non souvent sans raisons, que l’autonomie et l’indépendance ne sont que les mêmes faces d’un nationalisme acharné, que l’autonomie s’inscrit dans « la longue marche » quand les indépendantistes sont dans le « coup d’Etat permanent ».
Une chose est sûre, la clarification engagée par les urnes fait des autonomistes un partenaire crédible de l’Etat pour le dialogue, rôle refusé à ce jour, sous prétexte de nationalisme pur et dur…
A quoi servirait la démocratie représentative si l’expression claire d’un vote majoritaire puissant restait « sans réponse » ?
Au moment où le FLNC dit du 22 octobre, dans une vidéo, menace de reprendre la lutte armée contre l’Etat et même contre les autonomistes, l’Etat serait bien inspiré d’engager le dialogue avec Gilles Simeoni pour construire enfin une relation apaisée.
D’autant que cette attitude positive pourrait être facilitée par l’adoption en novembre 2020, par le Sénat, à la demande du gouvernement, d’un projet de loi organique autorisant, à l’initiative des Collectivités locales, le fait de substituer une différenciation pérenne à une expérimentation provisoire.
Le projet de loi (loi 3DS) en cours de finalisation pourrait bientôt passer au Conseil d’Etat en vue de son examen en Conseil des Ministres, au grand dam de Pierre Steinmetz, ancien préfet de région et ancien membre du Conseil Constitutionnel, pour qui la différenciation des compétences et des statuts des collectivités remettra en cause le « sentiment d’appartenance à la Nation ».
On peut comprendre l’émoi du Corps préfectoral —puissant lobby de la République — qui subit de plein fouet cette évolution des Collectivités territoriales et la réforme de la haute fonction publique. De plus, concernant la Corse, plane toujours l’ombre de l’assassinat du préfet Claude Erignac, il y a 23 ans.
Mais le destin futur de la Corse ne peut dépendre de cette « épée de Damoclès ».
N’oublions jamais qu’au lendemain de cette forfaiture, 50 000 insulaires ont manifestés compassion et soutien à ce grand serviteur de l’Etat.
Il appartiendra au Chef de l’Etat comme au Président de la CDC de trouver ensemble le moyen, voir un symbole fort pour tourner cette page douloureuse de notre histoire.
Car, la Corse qui a tant donné à la République —les saignées meurtrières de la première guerre mondiale ; premier territoire libéré d’Europe durant la seconde guerre mondiale ; qui a tant donné à la France avec Pascal Paoli et sa première Constitution communautaire européenne ; et Napoléon Bonaparte créateur de l’Etat moderne— ne mérite-t-elle donc pas respect et considération plutôt que mépris et désintérêt ?
L’Autonomie dans le cadre de la République représente-t-elle une si terrible révolution pour effrayer les élites et autorités de notre pays ? La Sardaigne et la Sicile vivent sous ce statut depuis 1949. Sont-elles devenues indépendantes de l’Italie pour autant ?
Au moment où notre République, confrontée à la pandémie de la Covid 19, découvre la force des politiques publiques de proximité, n’est-il pas temps d’engager une nouvelle phase de l’organisation administrative de notre pays ?
La Corse qui sert, depuis deux ans, de laboratoire à l’évolution prochaine de nos collectivités territoriales, à savoir la fusion des compétences des départements avec celles de la région, est déjà une collectivité unique en France (5000 fonctionnaires et 1 milliard d’euros de budget).
Le Président Emmanuel Macron devrait mettre en priorité, dans son programme électoral 2022-2027, la réforme de « la différentiation », généralisant l’expérimentation Corse à l’ensemble des régions françaises, valorisant ainsi ce nouveau socle de la nouvelle démocratie nationale, plus proche, plus agile, plus efficace.
Alors, il n’est que temps de proposer un saut qualitatif pour le statut de l’Ile, cela dans le cadre de la « différenciation » afin que la Corse joue, en Méditerranée, le rôle ambitieux qui doit être le sien.
N’est-ce pas aussi le meilleur moyen de « désarmer politiquement » les tenants du séparatisme !
Après la réforme historique de la décentralisation de François Mitterrand, en 1982, le temps est venu d’engager celle de la différenciation, en 2022.
L’Etat n’a d’autre choix que de composer avec l’homme fort de l’autonomie Corse sauf à vouloir retomber dans la spirale mortifère de la violence. Refuser le dialogue sur les conditions de « l’émancipation dans la République » de la Corse serait une faute politique majeure.
Pour y parvenir, sont nécessaires « l’humilité française dans sa raison, l’humilité corse dans l’expression de sa différence » comme l’a écrit Charles-Henri Filippi dans son livre « La Corse et le problème français ».
Pour la République et la Corse, il est temps d’avancer côte à côte et non l’un contre l’autre, car n’en doutons pas, toutes les deux ont un destin commun dans l’Union européenne.
Michel SCARBONCHI
Ancien Député européen