Le vote de non-censure constitue évidemment un succès pour Sébastien Lecornu, mais il pourrait n’être qu’un sursis. Après avoir évité le tourbillon de la censure immédiate, le gouvernement, et avec lui tous les partis qui ont accepté de débattre du Budget, pourraient exploser sur le rocher de la persistance de la logique majoritaire au nom du principe selon lequel « l’opposition est faite pour s’opposer, point ».
Les discussions autour de la motion de censure ont révélé un nouveau clivage à l’Assemblée nationale. D’un côté, les formations politiques qui agissent toujours en fonction du principe majoritaire. Pour le RN, LFI, le PC et les écologistes, un parti qui se situe dans l’opposition doit sanctionner tout gouvernement qui n’est pas issu de son camp. Le RN parce qu’il s’inscrit à nouveau dans le rejet d’un système politique dont l’opinion ne comprend pas les atermoiements. LFI, le PC et les écologistes parce que tout ce qui n’est pas à gauche est dans l’erreur. Ceux-là espèrent l’échec du gouvernement puisque, pour eux, seule une nouvelle élection permettra de sortir du maelstrom de la majorité relative qui en réalité ne fait pas partie de leur ADN.
De l’autre côté, se trouvent des familles politiques déboussolées. Le camp présidentiel – ou feu le camp présidentiel, on ne sait plus – qui ne parvient pas à se remettre de la dissolution de 2024 et qui ne comprend pas comment Emmanuel Macron a pu lâcher sur la réforme pour laquelle il leur a imposé tant de sacrifices. Cette famille se divise entre ceux qui entendent se dissocier du président, comme Édouard Philippe, Gabriel Attal ou Élisabeth Borne, et ceux qui revendiquent leur fidélité, comme Gérald Darmanin et Sébastien Lecornu. Ce dernier, bien que loyal, ayant quand même su tordre le bras du président sur sa réforme emblématique.
A côté d’eux désormais, il y a le PS et LR, qui ont en commun d’avoir été écartés du pouvoir par les précédents depuis si longtemps qu’ils en oublient parfois qu’ils aspirent à gouverner, et non à être des opposants systématiques au risque de devenir une simple caisse de résonance de LFI pour les socialistes et du RN pour les Républicains. La mémoire leur est revenue après moult rebondissements, crises et divisions. Ils ont admis que dans une Assemblée sans majorité, ils devaient accepter de commencer à discuter avec leurs adversaires pour que la France soit gouvernée.
Si les LR avaient commencé par tirer profit de la situation en tirant les bénéfices de leur participation au gouvernement sans rien céder – ni obtenir – sur le fond de leur projet, les socialistes ont réussi à emporter une concession sous forme de promesse. La suspension de la réforme des retraites sera débattue au Parlement, et peut-être votée.
L’ex-majorité présidentielle, LR et le PS ont donc désormais le même objectif : donner à voir des débats de fond au cours desquels ils démontreront leur capacité à gouverner par la cohérence de leurs projets respectifs.
La question principale est de savoir jusqu’à quel point ces projets différents et antagonistes peuvent malgré tout trouver des terrains d’entente. L’enjeu étant de participer à ces discussions communes sans s’y dissoudre. Pour cela, il faudra que chaque acteur – y compris les médias – change de logiciel et intègre le fait que discuter, voire s’entendre sur un compromis, ne signifie pas s’allier les uns aux autres. Le tout sous le regard de LFI et du RN qui n’auront de cesse d’user des réflexes du principe majoritaire pour que le bateau du compromis parlementaire se fracasse sur le rocher des partis protestataires.
Marie-Eve Malouines
Editorialiste