Réélu, Emmanuel Macron a donc à faire avec une majorité plus dispersée et moins nombreuse. En vertu de la logique institutionnelle, la Première ministre, Elisabeth Borne, conduit la négociation des projets de loi. Les deux engagés depuis le début de la législature, l’un d’urgence, l’autre relatif au budget rectificatif, ont des incidences majeures sur le pouvoir d’achat, préoccupation centrale du peuple depuis de nombreux mois.
La présidentielle avait dégrossi les grandes lignes des propositions en la matière ; après discussions, LR se révèle d’un appui précieux, aussi bien à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. L’enjeu prête au compromis, tant il inquiète l’opinion. Par ailleurs, jusqu’à présent, si LFI confirme une stratégie d’opposition frontale, le PS se montre moins dur ; le RN peut voter pour, s’abstenir ou voter contre…
Pour la suite, la doctrine législative présentée par « Ensemble », équivaudra semble-t-il à proposer des textes plus courts, et à les discuter « en amont » avec les forces parlementaires. Il s’agit d’éviter les obstructions systématiques. Les enjeux qui se présentent à l’automne n’ont cependant rien de consensuel. Le président de la République a confirmé son orientation réformatrice néolibérale sur le plan socioéconomique : il veut continuer à lutter contre les « rigidités » du marché du travail dans le droit fil de décisions déjà prises et assumées lors de l’entretien du 14 juillet 2022, à savoir la libéralisation de certains secteurs d’une part, et le durcissement de certaines indemnisations d’autre part. Alors qu’apprentissage et formation ont été réformés, le lycée professionnel le sera à partir de la rentrée. Les syndicats et certaines associations de la société civile s’inquiètent déjà.
Les options que prendront les parlementaires lors du dépôt de tels textes sont imprévisibles.
Logiquement, LR pourrait continuer à négocier et soutenir, mais le climat, l’opinion, le contexte précis au moment du vote, seront déterminants de l’attitude des groupes et factions parlementaires. N’oublions pas que LR entre aussi dans une phase incertaine de renouvellement de son leadership. Des textes relatifs à l’immigration et à la sécurité sont attendus. Le RN aura intérêt à s’opposer. Il s’agit de défendre ce qui reste son noyau identitaire ; dès lors, un compromis sur ces sujets reviendrait à se diluer. De tels projets placent ainsi « Ensemble » dans une position encore plus défensive, car ce que la majorité perdra de soutien à droite, elle ne le gagnera pas à gauche. Les plus centristes pourraient aussi faire entendre leurs différences, comme au Sénat sur la taxe non adoptée sur les superprofits…
La capacité à préciser la vision du développement durable du pays, alors que l’été fait prendre crûment conscience aux Français de la nécessité de changer de braquet en la matière, pourrait donner une chance à la Première ministre d’emporter davantage l’opinion et certains parlementaires au-delà des clivages, le tout au nom de l’intérêt général. Les événements extérieurs et imprévus s’imposeront aussi peut-être à la faveur de l’exécutif. Mais le pilotage des votes sera erratique, car à discuter sans cesse ; il va davantage ressembler à du cabotage. Sans évoquer un système parlementariste, le régime confiant au Président des pouvoirs propres importants dont la dissolution, et au gouvernement des prérogatives contraignantes, il est désormais acquis que les groupes parlementaires ont plus de marges.
Un tel paysage relève de la représentation pointilliste.
Les partis politiques demeurent fragiles : nous avons mesuré, à propos du financement des départements, qu’Horizon veut se distinguer de Renaissance. Mais la construction d’une force identifiée prend du temps. Nous savons la faible implantation de « En Marche » rebaptisé en « Renaissance », qui dispose cependant désormais de députés plus aguerris. LR, le RN, le PS, EELV sont tous interrogés par de fortes polémiques internes voire divergences sur la stratégie à suivre. LFI semble plus cohérent. Mais la position choisie par Jean-Luc Mélenchon, actif dans les médias et hors-jeu parlementaire, risque de fragiliser son leadership. Le succès de LFI tient en effet beaucoup à l’institutionnalisation de la Nupes ; rien n’est joué.
Le tableau en cours de composition n’offre pour l’heure ni sur les clivages, ni sur les alliances, la clarté propre à ce qu’exige la démocratie majoritaire, dont le point d’orgue est l’alternance. Sans parti structuré, il est difficile de l’envisager et d’embarquer les sympathisants dans la durée. La vie politique liquide a ses limites. A trop durer, la transition ouverte en 2017 risque d’ajouter trop d’inconnu à l’incertain, et de mener vers l’improbable. Le Président a annoncé un référendum dans son interview du 14 juillet. Curieusement peu commenté, ce projet laissé dans le flou pose une question supplémentaire : après l’échec tétanisant de 2005 et surtout dans un tel paysage, le chef de l’Etat a-t-il encore les moyens politiques de cette prérogative constitutionnelle ?
Olivier Rouquan
Politologue
Chercheur associé CERSA