C’est un refrain bien connu, les démocraties occidentales sont en crises à telle enseigne qu’elles suscitent un rejet. En France, la situation actuelle en apporte la confirmation au point de considérer qu’elle se retrouve dans une situation faisant penser à la fin de la IVè République. Cette analogie de situation révèle un inquiétant paradoxe. Alors que la Vè République fondée par le général de Gaulle avait pour finalité de donner à la France ce qui lui manquait le plus depuis la chute de la Royauté et du Second Empire, à savoir « un État qui en soit un » pour paraphraser De Gaulle lui-même, la voilà à son tour dans une phase de décomposition. La crise que la France traverse reste malgré tout loin de ce qu’elle a connu en 1940 et 1958. Sur le plan historique, elle n’en donne pas moins raison à Jacques Bainville dans son Histoire de France[1]. Sur le plan politique, cette crise n’en donne que plus raison au fondateur de la Vè République. Contrairement à l’idée répandue, cette Constitution n’est pas devenue inadaptée aux défis contemporains, c’est son dévoiement qui la qui affaiblie la démocratie française. Pour éclairer l’esprit qui préside à sa fondation, il est par conséquent indispensable de restituer les quatre concepts fondamentaux qui ont structuré la pensée politique du général de Gaulle, de se demander dans quelle mesure ces concepts offrent des éléments de comparaison avec la doctrine de la prérogative du pouvoir exécutif chez John Locke et celle de la souveraineté chez Carl Schmitt.
Enfin, ces concepts sont-ils compatibles avec une conception supranationale de l’Europe. La démarche que nous empruntons oblige à commencer par la réponse à une question : Que signifie « philosophie politique » chez le général de Gaulle ?
Que signifie « philosophie politique » chez le général de Gaulle ?
Comme le suggère le titre, ce n’est ni en historien-biographe, ni en juriste-constitutionnaliste, mais en historien des idées et philosophe politique que ces quatre concepts clefs de la pensée politique du général de Gaulle seront mis en lumière. Si le fondateur de la France libre est d’abord un officier, il n’a en pas moins développé, au contact de l’action militaire, une analyse sur la défaite allemande de 1918[2], et une nouvelle doctrine militaire et de nouvelles institutions politiques pour la France. Si De Gaulle peut passer sans difficulté de la vocation de soldat à celle de politique[3], c’est parce que pour lui guerre et politique sont étroitement liés[4]. Petit fils de la défaite de Sedan et fils de la guerre de 14, c’est à la lumière de la Grande Guerre et de la faiblesse des institutions de la IIIè République qu’il peut forger ces quatre grands concepts clefs de la (et de sa) philosophie politique que sont la souveraineté de l’État éclairée par la décision, le pouvoir d’exception, la démocratie et la légitimité.
Dans la pensée et l‘action du général de Gaulle, ils prennent une signification très spécifique car l’enjeu est collectivement et tragiquement existentielle. Il y va du « salut [5]» de la nation. C’est pourquoi, la pensée politique de Charles de Gaulle n’est pas une « philosophie » au sens d’une sagesse qui se limiterait à un art de bien gouverner qui vaudrait pour tous les peuples. De Gaulle n’a pas la prétention d’être un penseur purement spéculatif et normatif. Il pense d’abord en situation et pour la France[6]. Sa pensée politique appartient plutôt pour cette raison au genre « prophétique » (De Gaulle « appelle ») qui veut « sauver » la France du chaos et du déshonneur. Pourtant, les concepts auxquels il recourt pour son action « sotériologique » de prophète appartiennent de plain-pied à la philosophie politique. Pour cette raison fondamentale, la pensée politique du général de Gaulle justifie que soit vérifiée la pertinence philosophique de ces quatre grands concepts.
Vérification d’autant plus importante que si les philosophes politiques stricto sensu procèdent le plus souvent de façon déductive[7], De Gaulle procède quant à lui de façon inductive. La réalité concrète guidant sa philosophie politique, les concepts n’en prennent par conséquent que plus d’épaisseur. C’est pourquoi, si avec De Gaulle l’expérience sensible de l’histoire lui permet d’accéder à l’intelligible, tout concourt à considérer que sa pensée politique est digne d’intérêt philosophique[8]. Toujours dans le dessein de vérifier la pertinence de ses concepts, la pensée politique gaullienne mériterait d’être mise en relief avec plusieurs philosophes, juristes et publicistes théoriciens de la souveraineté de l’État et du peuple, de Hobbes à Rousseau, tant elle s’inscrit dans ce sillage. Rien ne semble pourtant indiquer que De Gaulle ait lu tous ces philosophes[9].
Mais on ne peut se faire le promoteur de la souveraineté de l’État au XXè siècle indépendamment de cet héritage philosophico-politique qui a marqué la culture intellectuelle et l’imaginaire occidental au cours des XVIè au XVIIIè siècles.
Inversement, cet héritage ne signifie pas non plus que De Gaulle en ait été le transmetteur servile. De Gaulle, fils d’un professeur d’histoire et l’ayant enseigné lui-même, lecteur de Bainville, témoin et acteur d’un siècle traversé par deux Guerres mondiales, est de toute évidence un penseur du politique beaucoup trop en prise (et aux prises) avec l’histoire pour adhérer à une conception rationaliste des grands concepts de la politique moderne. C’est en raison de ce rapport complexe entre la philosophie politique pratique du général de Gaulle et celle beaucoup plus théorique des philosophes et des publicistes, que nous aurons recours à deux d’entre eux. D’abord, le philosophe politique John Locke au sujet de sa doctrine de la prérogative royale comme pouvoir d’exception. Ensuite, nous nous livrerons à une approche comparative avec son contemporain, le juriste et publiciste controversé Carl Schmitt.
Celui-ci, bien connu pour sa théorie décisionniste de la souveraineté, du pouvoir d’exception et d’une conception plébiscitaire de la démocratie présente sur ce plan de nombreux points communs avec la philosophie politique du général de Gaulle. Cette double approche comparatiste devra répondre à deux questions. Le concept de pouvoir d’exception (ou de « dictature ») ne rend-il pas plus proche De Gaulle du proto-libéralisme de John Locke que celle des dirigeants de la IVè République ?
Les convergences théoriques entre le militaire et le juriste rhénan reposent-elles sur des postulats complètement conciliables ?
Mais comme nous l’avons souligné, si c’est la réalité concrète (le sensible) de l’histoire qui inspire la philosophie politique du général de Gaulle, il convient d’en venir à l’événement à la fois fondateur et révélateur[10] de l’appel du 18 juin. C’est par cet événement que la décision n’est pas qu’un concept, mais la réponse à un défi existentiel, celui de l’avenir de la France : soit son asservissement par la collaboration avec l’Allemagne nazie, soit sa libération par la résistance. C’est de la décision prise d’appeler les Français à la résistance qu’en découle la pratique gaullienne du pouvoir d’exception et la doctrine de la légitimité. Toute la philosophie politique gaullienne de la souveraineté de l’État par la souveraineté du peuple en résultera dans les années qui suivront jusqu’à la Constitution de 1958.
L’événement fondateur et révélateur de l’appel du 18 juin 1940 où l’enjeu existentiel de la décision : réconcilier légitimité et légalité
Il est de bon sens de rappeler que l’Appel du 18 juin 1940 à la résistance ne peut être séparé de la situation d’exception provoquée par la débâcle de l’armée française et la faillite de la souveraineté de l’Etat républicain. De cet Appel ll est important d’en tirer toutes les conséquences comme événement fondateur et révélateur de la philosophie politique du général de Gaulle.
C’est en raison de cette situation extrême que De Gaulle pourra construire sa légitimité en prenant une décision « salutaire » : « Ce gouvernement, alléguant la défaite de nos armées, s’est mis en rapport avec l’ennemi pour cesser le combat…Mais le dernier mot est-il dit ? L’espérance doit-elle disparaître ?
La défaite est-elle définitive ? Non !…Quoi qu’il arrive, la flamme de la résistance française ne doit pas s’éteindre et ne s’éteindra pas[11] ». Le caractère exceptionnel de sa décision ne cessera de nourrir sa conception de la légitimité, celle d’abord d’une conscience qui décide de résister à la défaite militaire et à l’illégitimité du faux « État français » de Vichy en raison de l’abandon de la souveraineté de la France. Dans ce contexte, le cas d’exception est celui du hic et nunc d’une situation de très haute intensité. Corrélativement, la légitimité fait appel à un enracinement profond dans l’histoire afin de pouvoir « répondre » (« assumer la France [12] ») de la situation d’exception par rapport à laquelle s’impose justement une décision.
C’est la quadrature du cercle tant ces trois concepts « décision, exception, légitimité » se tiennent les uns les autres tant pour indiquer la faillite que la nécessaire restauration de la « souveraineté de l’Etat ». Entre l’appel du 18 juin 1940 et la chute du régime de Vichy en 1944, les Français (le peuple) devront choisir entre les apparences de la légalité et la légitimité du « bon régime politique » au regard de l’histoire de la France. En d’autres termes, c’est à partir du chaos engendrant la servitude que l’appel du 18 juin constitue une décision politique existentielle dénuée de tout contenu juridico-légal (exception)[13]. Elle repose sur la légitimité d’une conscience souveraine capable de produire en retour « de » la souveraineté politique en exil dans l’attente de constituer un nouvel État légal capable de décider sur l’espace territorial historique de la France. Les années 1940 sont par conséquent capitales pour la formation pratique de la philosophie politique du général de Gaulle[14].
La décision est un concept éclairé par une pratique, par deux fois (1940 et 1958) déterminée par une situation d’exception et par le principe normatif de la légitimité. La conception gaullienne de la décision oscille par conséquent entre situation d’exception (la doctrine militaire des circonstances) et la légitimité comme principe architectonique normatif de la justification de son action[15].
La décision au prisme de l’exception et du principe normatif de la légitimité
De Gaulle est sans conteste resté extrêmement fidèle à ce principe directeur. De la décision d’appeler les Français le 18 juin 1940 à la remise des pleins-pouvoirs en qualité de dernier Président du conseil de la IVè République, la décision dans la pensée politique du général de Gaulle est le premier des concepts opératoires.
Il interroge en cascade l’action politique en situation d’exception aux prises avec la crise de la normalité constitutionnelle. C’est pourquoi, il met simultanément en mouvement la légitimité aux prises avec la crise de la légalité.
De Gaulle est aussi mal à l’aise avec le normativisme juridique (il n’aurait pu être kelsenien) qu’il est à son aise avec la légitimité comme norme décisionniste de son action. Il en est ainsi les 18 juin 1940 et 1er juin 1958.
Plusieurs discours, conférences de presse et allocutions, prononcés en des contextes aussi différents que ceux de la Deuxième Guerre mondiale, des années de traversée du désert et du retour au pouvoir, illustrent cette double pente de la philosophie politique gaullienne de la nécessité de pouvoir décider en situation d’exception et du principe normatif de la légitimité comme critères permanents de la mise en œuvre de la conception décisionniste de la souveraineté de l’État. A la lumière de ces deux critères liés aux circonstances (exception) et normatif (légitimité) de la décision gaullienne, il me paraît fondamental de faire observer qu’elle jouit de deux statuts. Celui de la légitimité sans la légalité et celui de la légitimité génératrice de la légalité
Les deux statuts gaulliens de la décision : la légitimité au service de la légalité (1940-1946) et la légalité constitutionnelle au service de la légitimité (1958-1969)
Dans le premier de cas de figure que j’ai évoqué, l’Appel du 18 juin 1940 est d’abord l’expression de la légitimité de la conscience rebelle d’un général à décider de la résistance contre l’apparente légalité de « L’État français » de Vichy, symbole de la faillite militaire et politique de la souveraineté authentique de l’État républicain, soumis à la puissance ennemie. La décision légitime dans une situation exceptionnelle est par voie de conséquence l’appel à la restauration de la souveraineté légale de l’État par la poursuite de la guerre jusqu’à la victoire contre l’ennemi destructeur de l’État républicain[16].
Dans une telle circonstance exceptionnelle, on ne peut que mettre à nouveau en évidence le lien intrinsèque entre la guerre en vue de libérer la nation et l’action politique en vue de restaurer la souveraineté de l’État[17]. En mai-juin 1958, en raison d’une autre crise très grave liée aux événements d’Alger[18] qui font peser sur la France la menace d’une guerre civile et le retour au chaos, le général de Gaulle est rappelé au pouvoir. Celui-ci demande à l’Assemblée nationale les pleins-pouvoirs pour une durée de six mois[19] afin de restaurer la souveraineté de l’État…et sa capacité de décision. Sans bien entendu faire l’impasse sur les années décisives 1940-1946 au cours desquels De Gaulle restaure peu à peu des institutions légales[20], ce n’est au fond qu’en 1958 que la décision accède enfin au statut de légalité plénière par sa légitimité constitutionnelle retrouvée (la Constitution « de » De Gaulle), légitimité reposant sur l’homme du 18 juin : « En vertu du mandat que le peuple m’a donné et de la légitimité nationale que J’incarne depuis vingt ans [21]». Mais ces deux statuts de la décision posent deux questions majeures : celle du rapport de De Gaulle à la dictature et à la démocratie.
La conception gaullienne de la dictature par le pouvoir d’exception
Il est enfin fondamental d’attirer l’attention sur le fait qu’entre ces deux statuts exclusivement légitime/ alégal (1940-1944) puis légitime/légal par la restauration de la souveraineté de l’État (1944-1946), il a fallu six années de dictature gaullienne d’où le caractère exceptionnel du pouvoir légitime alégal exercé jusqu’à la Libération. A la lumière de l’Allocution du général de Gaulle de 1952[22], la légitimité de la dictature en situation exceptionnelle montre bien qu’elle ne saurait pour autant se confondre avec ce type d’exercice du pouvoir pas plus que la décision est exclusivement apparentée à un pouvoir alégal.
Par la légitimité réarticulée à la légalité, la dictature n’est donc plus nécessaire, mais cela ne signifie pas non plus qu’au sein de la légalité un élément dictatorial ne soit pas présent par la possibilité légale du pouvoir d’exception[23]. Dès lors, on peut à bon droit penser que la Vè République est une Constitution où la légalité est au service de la légitimité et par voie de retour la légitimité n’existe que par la légalité constitutionnelle. Les discussions et les multiples oppositions au Référendum de 1962 sur l’élection du Président de la République au suffrage universel direct[24] en constituent un puissant révélateur[25]. Cette articulation étroite entre la légitimité et la légalité n’est pas sans interroger la conception gaullienne de la démocratie, la pratique du Référendum est au centre de cette interrogation.
La conception gaullienne de la démocratie par le référendum
Il en résulte une conception spécifiquement gaullienne de la démocratie par la pratique régulière du Référendum. Par rapport à des décisions de la plus haute importance pour l’avenir de la nation, le peuple doit être consulté et son avis est déterminant en dernière instance. Ce qui signifie que si la souveraineté de l’Etat est garantie par son « Chef » (« guide de la France, clef de voûte des institutions et a consacré le Référendum qui permet au Président de soumettre directement au pays de qui peut être essentiel » [26]), elle n’est pas non plus dissociable de la souveraineté du peuple dont le chef d’Etat est du même coup aussi le garant. Ce sont donc, non pas tant deux légitimités, mais les deux faces d’une seule et même légitimité qui a valeur normative pour la décision, et à plus forte raison dans des circonstances exceptionnelles, comme la France l’a connu en 1940 et 1958. La conception gaullienne de la décision souveraine de l’Etat doit donc être en harmonie avec la volonté du peuple.
D’où l’importance décisive du Référendum afin de ne pas enfermer la souveraineté de l’Etat dans le cercle restreint du contrôle parlementaire[27]. Le discours de Bayeux est à cet égard un véritable discours programmatique sur la conception gaullienne de la séparation des trois pouvoirs qui justifie la garantie de la décision souveraine du pouvoir exécutif[28] en « alliance » avec le peuple directement sollicité. Contrairement à ce qui a été reproché au général de Gaulle, « l’appel au peuple » par la voie référendaire était moins un plébiscite, même si sa personne de chef de l’Etat était mise « dans la balance », que l’expression, une fois encore, de la légitimité normative de sa décision.
« L’onction populaire » constitue par conséquent un élément clef de la définition gaullienne de la démocratie en consolidant la légalité de la décision par la pratique du Référendum.
Tout commence ainsi dès le 18 juin 1940 par la construction de la légitimité de De Gaulle (l’Appel légitime/alégal au peuple Français) et tout s’achève ainsi le 27 avril 1969 par la disqualification de sa légitimité (L’appel légitime dans la légalité constitutionnelle[29]). Cohérent avec sa conception de la décision, du pouvoir d’exception, de la démocratie et de la légitimité, le Président Charles de Gaulle démissionne. Alors qu’il dispose d’une très forte majorité à l’Assemblée nationale depuis les élections législatives de 1968, la légalité de son pouvoir par la voie parlementaire ne suffit pas au Président De Gaulle : « si je suis désavoué par une majorité d’entre vous… »). Il ne saurait y avoir de désaccord entre la volonté du peuple et celle du chef d l’Etat[30]. C’est cette conception « première » de la Vè République qui a disparu alors que sa raison d’être fondatrice est la réconciliation entre la légitimité et la légalité en introduisant l’exception et la légitimité dans la norme constitutionnelle au nom du primat de la décision politique (article 16 pour le pouvoir d’exception et pratique référendaire pour la légitimité).
C’est une donnée topique de la pensée politique de De Gaulle, sans le primat de la décision, la souveraineté de l’Etat serait en péril, péril entrainant celui de la nation (guerre interétatique en 1940 et menace de guerre civile en 1958)! Le décisionnisme gaullien est-il pour autant incompatible avec les principes constitutionnels de la démocratie libérale ? Rien n’est moins sûr si l’on en juge à la théorie de la prérogative chez John Locke.
Le décisionnisme et la pratique gaullienne du pouvoir d’exception : une convergence de vue avec la théorie de la prérogative du philosophe libéral John Locke
Comme nous l’avons souligné au début de cette étude, Charles de Gaulle est l’héritier des concepts organisateurs de la philosophie politique moderne, comme en témoigne centralement celui de souveraineté de l’Etat et celui du peuple[31], les deux devant marcher main dans la main dans son esprit. C’est ce que nous venons de faire valoir par la pratique régulière du référendum sur certains sujets[32]. C’est un point capital qui démarque la pensée gaullienne de celle de Carl Schmitt sur lequel nous clarifierons ce qui les réunit et les sépare. Mais la démocratie libérale étant le régime politique dans lequel l’action du général de Gaulle s’est déroulée, il nous parait d’abord plus pertinent d’attirer l’attention du côté de la théorie de la prérogative en vue du « bien public » du libéral John Locke dans le Deuxième Traité du gouvernement civil :
Le pouvoir d’agir avec discrétion pour le bien public, lorsque les lois n’ont rien prescrit sur de certains cas qui se présentent, ou quand même elles auraient prescrit ce qui doit se faire en ces sortes de cas, mais qu’on ne peut exécuter dans de certaines conjonctures sans nuire fort à l’Etat : ce pouvoir, dis-je, est ce qu’on appelle prérogative, et il est établi fort judicieusement. Car, puisque dans quelques gouvernements le pouvoir législatif n’est pas toujours sur pied ;[33]
Le chapitre sur la prérogative est extrêmement intéressant en ce qu’il fait tomber un préjugé sur la pensée libérale, et dès sa fondation. Certes, Locke ne renonce pas à son légicentrisme, mais il ne l’absolutise pas non plus. Et c’est même parce qu’il est légicentriste qu’il a renoncé à toute théorie de la souveraineté de l’Etat, tout en défendant un pouvoir exécutif fort au point de théoriser une pratique déjà bien connue de la monarchie anglaise, à savoir la prérogative.
Dès son origine, la philosophie politique libérale n’a donc pas la naïveté de croire que l’on peut congédier la souveraineté de l’État sans lui trouver un substitut, cohérent avec la primauté de la loi, mieux encore pour palier à ses faiblesses possibles.
Ainsi, la théorie lockienne du pouvoir législatif a pour suite logique celle du pouvoir exécutif, les deux pouvoirs ayant pour finalité « le bien public ». Le grand paradoxe de la philosophie politique libérale (ce que n’a pas vu Schmitt) est qu’elle a besoin pour Locke d’assurer la pérennité de ses principes par un pouvoir d’exception extra-légal : « C’est pour toutes ces raisons qu’on a donné une grande liberté au pouvoir exécutif, et qu’on a laissé à sa discrétion et à sa prudence bien des choses dont les lois ne disent rien [34]».
De Gaulle avait-il lu Locke ? Sans doute pas. Il en rejoint pourtant le raisonnement, notamment quand il fait introduire l’article 16 dans la Constitution de la Vè République, dans lequel on peut lire que « Le Parlement se réunit de plein droit » et que « L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ». Il ne s’agit donc pas de mettre en cause le pouvoir législatif, mais de le contourner (c’est la « prérogative » présidentielle) pour une durée déterminée afin de protéger « les institutions de la République, l’indépendance de la nation ». A front renversé et à deux époques différentes, notons que le libéral Locke et le « souverainiste » de Gaulle ont le souci commun de ne jamais enfermer l’exercice du pouvoir exécutif dans les bornes rigides du pouvoir législatif.
Mais cette convergence a priori surprenante s’explique par le fait que pour Locke la monarchie a encore un véritable poids constitutionnel et qu’il aurait autant refusé que De Gaulle une République dont le Président et le gouvernement sont entre les mains d’une assemblée parlementaire…
Par voie de conséquence, en raison de son souci d’encadrer la démocratie parlementaire, la philosophie politique du général de Gaulle appartient en réalité autant à celle du proto-libéralisme élaboré par Locke qu’à l’héritage de pensée de la souveraineté allant de Hobbes à Rousseau. La critique frontale qu’adresse De Gaulle à la culture politique et constitutionnelle française des IIIè et IVè Républiques ne saurait donc être confondue avec la critique du libéralisme politique, notamment dans son acte fondateur avec Locke.
C’est particulièrement nette s’agissant de la théorie de la prérogative du pouvoir exécutif. Excepté la pratique du référendum, incompatible avec le parlementarisme anglais, l’auteur des Deux traités du gouvernement civil n’aurait probablement pas été effrayé par la pratique gaullienne du pouvoir d’exception, du moins dès lors qu’il ne vient pas heurter la légalité de la norme constitutionnelle. Mais les concepts gaulliens de décision, de pouvoir d’exception, de démocratie et de légitimité, ne seraient-ils pas aussi en affinité intellectuelle avec ceux de Carl Schmitt ?
Décision, pouvoir d’exception, démocratie, légitimité ont-ils la même signification chez De Gaulle et Schmitt ?
Cette question mériterait que lui soit consacrée exclusivement un article. Nous nous limiterons ici à pointer des similitudes conceptuelles entre De Gaulle et Schmitt, similitudes ne signifiant pas rapport d’équivalence, mais analogie de fonction. Rappelons, comme nous l’avons évoqué dans notre premier paragraphe, que les concepts de décision, de pouvoir d’exception[35], de démocratie et de légitimité sont le fruit d’un long héritage philosophico-politique, juridique et canonique que font sien le général de Gaulle et Carl Schmitt. Pour le premier, son originalité réside dans le fait qu’il en est le maître d’œuvre dans la France du XXè siècle à partir d’un horizon d’action militaire qui ne s’enracine pas dans un formalisme juridique, mais dans l’histoire concrète de la France. Pour le deuxième, cet héritage (Bodin, Hobbes[36]) s’inscrit dans un horizon de réflexion juridico-politique tout en prenant ses distances par rapport aux théories contractualistes de la souveraineté[37]. Sa théorie décisionniste de la souveraineté comme pouvoir d’exception constitue le marqueur déterminant de son indépendance par rapport aux fondements de la politique moderne. Le militaire-homme d’Etat et le juriste-publiciste procèdent par conséquent à un droit d’inventaire du même héritage, mais selon des accents propres à un homme d’action et à un professeur.
De plus, ayant vécu la même expérience de deux guerres mondiales dans deux camps opposés, ils font un usage divergent de leurs similitudes conceptuelles. Que ce soit au service de la France ou de l’Allemagne, le véritable enjeu est de répondre aux défis du temps présent marqué par des crises et la guerre.
S’ils ont pour caractéristiques communes de penser en fonction des situations (la doctrine gaullienne des circonstances et l’occasionalisme schmittien), la pensée du premier est déterminée par son action, celle du deuxième est celle d’un universitaire qui se limite à conseiller mais jamais à agir lui-même. Pour toutes ces raisons, Il serait erroné de faire équivaloir un usage de concepts pourtant communs[38].
Si cet usage a permis à De Gaulle de libérer la France du chaos en lui donnant des institutions solides, pour Schmitt, la situation est inverse, les mêmes concepts qui devaient permettre de solidifier la République de Weimar ont ensuite servi à légitimer le régime national-socialiste[39]. Mais ces remarques de précaution, indispensables pour ne pas céder à un rapport d’équivalence fonctionnel, le sont aussi pour éviter une regrettable segmentation idéologique de ces mêmes concepts. Décision, pouvoir d’exception, démocratie, légitimité n’ont pas de qualification morale. Ils peuvent par conséquent servir les meilleures causes comme les pires. Entre faux rapport d’équivalence et segmentation idéologique, il convient de laisser place à une analogie de fonction, d’autant que penseurs comme acteurs ne sont jamais les propriétaires de leur pensée et de leur action. Cette analogie de fonction a une conséquence très importante. Les quatre concepts qui nous intéressent ne sont pas voués à justifier quelque régime totalitaire que ce soit. Plus important encore, ils éclairent ce qui est impensé dans les démocraties libérales. C’est la raison pour laquelle la pensée juridique du publiciste Schmitt apporte un éclairage théorique à la pratique politique du militaire De Gaulle. Mobilisée par l’action, il lui était plus difficile de définir une typologie juridique et politique. Inversement, la pensée politique du général de Gaulle confrontée à la dure réalité[40] ne se laisse pas enfermer comme Schmit dans une réponse autoritaire, pour ne pas dire celle du stato totalitario[41], à la démocratie libérale. Nous l’avons suffisamment fait valoir à propos du rapport de De Gaulle à la dictature et à la démocratie. La première doit rester un pouvoir d’exception pour qu’elle ne dégénère pas en tyrannie.
La deuxième doit pouvoir prendre en considération la volonté du peuple (Référendum), en sorte qu’elle ne soit pas captive de la soumission au chef : Démocratie référendaire n’est pas démocratie plébiscitaire. Le maniement propre à De Gaulle et Schmitt de ces concepts montre combien tout rapport d’équivalence fonctionnel est impossible. En revanche, il existe d’indéniables analogies par le fait même que l’un et l’autre puisent aux mêmes concepts pour concevoir la souveraineté de l’Etat : centralité de la décision et du pouvoir d’exception[42], sous-tendu par une conception tragique de l’histoire[43]. Ces deux derniers points expliquent pourquoi le militaire comme le juriste conçoivent l’action politique comme un existentialisme collectif. D’où enfin une proximité dans leur conception de la légitimité enracinée dans l’histoire. Si l’action politique ne peut être détachée de son rapport au temps de l’histoire, par voie de retour la légitimité ne peut qu’être corrélée avec la décision et le pouvoir d’exception[44]. C’est elle qui donne à l’action politique et militaire sa justification, notamment dans les situations de crise où le pouvoir légal (ou qui parait l’être comme « L’Etat français » de Vichy) n’est plus en mesure de répondre de la capacité indispensable à la décision (La République de Weimar). Les trois types de pensée juridiques développés par le juriste rhénan : le décisionnisme (inséparable du pouvoir d’exception[45]), l’institutionnalisme (inséparable du décisionnisme[46]) et l’ordre concret[47] sont autant de critères qui permettent de démontrer une analogie de pensée entre De Gaulle et Schmitt. L’un comme l’autre a une conception institutionnaliste de l’organisation de la vie politique aux fins de la décision et de l’articulation de la légalité à la légitimité. Lorsque De Gaulle fonde la Vè République, elle correspond en termes schmittiens à l’ordre concret dont il rêvait depuis la Libération. Mais ces indéniables analogies indiquent, une fois encore, qu’il ne peut y avoir aucun rapport d’équivalence. L’exemple le plus significatif est le rapport au parlementarisme[48]. De Gaulle ne tirent pas les mêmes conséquences que Schmitt sur la critique du système parlementaire libéral. Il ne s’agit pas pour lui de le supprimer mais de le contourner ou de le neutraliser quand s’impose une décision de la plus haute importance, d’où la pratique du référendum[49]. On ne saurait non plus oublier un autre élément commun qui réunit le Général et le juriste Rhénan, à savoir leur culture catholique. Si pour le premier, il est très difficile d’évaluer son influence dans ses conceptions politiques, elle n’en ait pas moins présente en raison de son éducation de catholique patriote[50] et de son sens de la hiérarchie[51].
S’il est inutile de chercher chez De Gaulle la moindre mention du syntagme « théologie politique [52] », l’influence de Charles Péguy donne à penser qu’il y a une véritable mystique gaulliste[53] de l’action politique qui serait aussi à approfondir du côté de la philosophie d’Henri Bergson[54]. Leur culture catholique commune est de nature à mettre en évidence une autre analogie entre De Gaulle et Schmitt. L’un comme l’autre ne pense pas le politique indépendamment du référent religieux catholique tout en épousant les normes séculières de leur temps[55]. Mais ce qui est implicite chez De Gaulle est explicite chez Schmitt. D’où le concept nodal de théologie politique, amplement inspiré par Donoso Cortés, qui est pour le juriste ce que sont Péguy et Bergson pour De Gaulle.
Si pour ce dernier, le syntagme théologie politique n’avait aucun sens, il n’en concevait pas moins l’action politique comme relevant d’une énergie venant de plus haut qu’elle-même pour qu’elle ait un sens : l’histoire, la patrie, l’espérance…une mystique, mais à ce niveau les concepts sont eux-mêmes dépassés…
Mais une vision aussi exigeante de la souveraineté est-elle compatible avec ce qu’est devenue l’Union européenne ?
Décision, pouvoir d’exception, démocratie, légitimité : Le défi réciproque de quatre concepts clefs de la philosophie politique gaullienne de l’Etat et du projet d’une Union européenne
De Gaulle y a pourtant cru dès la fin de la Deuxième Guerre mondiale au point de parler déjà d’une « Union européenne occidentale » ou « d’une Confédération européenne [56]» durant la IVè République. La compatibilité entre la conception gaullienne de l’action politique et le projet d’une Union européenne nous mènerait trop loin pour pouvoir y répondre avec précision. Il nous faut donc nous limiter à en dégager les enjeux. La compatibilité ne fait aucun doute si le projet européen s’en tient à une approche confédérale d’une union d’Etats souverains coopérant entre eux[57]. A cet égard, l’entente entre le Président de Gaulle et le Chancelier Adenauer a joué un grand rôle. En revanche, l’incompatibilité est devenue totale dès lors que l’Europe a pris un tournant supranational après l’échec du plan Fouchet de 1962. C’est toute la grammaire de la philosophie politique moderne depuis le XVIIè siècle et dont, une fois encore, le général de Gaulle est l’héritier tout en en étant pas captif. S’ajoute à cette difficulté le dispositif central dans la philosophie politique du général de Gaulle des quatre concepts que nous nous sommes efforcés de mettre en lumière. « La gouvernance européenne » se veut-elle être d’ailleurs du « gouvernement » au sens classique du terme ? Peut-elle aussi le devenir et les Etats souverains y sont-ils consentants ? Autant de questions que nous laissons en suspens. Il est simplement lucide de considérer que pour maintenir l’effectivité de la décision jusqu’à intégrer le cas de figure de situations de crise qui oblige à l’exercice d’un pouvoir d’exception, n’entre pas dans les cadres d’une Union européenne de type supranational, tant ces concepts appartiennent de plain-pied à la pérennité du concept d’Etat-souverain. Un Etat est inévitablement souverain ou il n’est plus un Etat et une souveraineté qui ne reposerait pas sur l’entité juridico-constitutionnelle d’un Etat est une contradiction dans les termes. Il en va différemment du concept de légitimité qui pourrait être pensé à l’échelle d’un ensemble civilisationnel ayant l’ambition d’accéder à une forme politique. Il convient de laisser ouvertes ces questions redoutablement difficiles. Retenons ici que ces quatre concepts clefs de la philosophe politique du général de Gaulle interroge en profondeur la nature du politique. C’est par la réponse à ce défi réciproque que peut être compatible une Union européenne avec ces quatre concepts clefs de la philosophie politique gaullienne de l’État.
Conclusion
Si le général de Gaulle ne pâti pas du discrédit intellectuel et moral de Carl Schmitt, il ne lui en a pas moins été reproché d’avoir voulu promouvoir une conception autoritaire de la démocratie[58]. En ces temps où les démocraties libérales se sont de plus en plus identifiées à la défense « des droits », ce reproche n’en est que plus avivé. Pourtant, à la lumière de l’humiliation de 1940 et de la crise de 1958, c’est au contraire un renforcement de la démocratie qu’a voulu le fondateur de la Vè République par le truchement d’une démocratie exécutive. La philosophie politique du général de Gaulle apparaît ainsi plus en affinité avec la doctrine de la prérogative du pouvoir exécutif de John Locke. Les concepts qu’elle promeut viennent en réalité du temps long de l’histoire européenne.
Si elle présente d’indéniables similitudes avec la pensée politique de Carl Schmitt, elle s’en éloigne aussi en raison même de son refus d’un césarisme démocratique. « Le gaullisme » est en réalité un volontarisme politique capable de conjoindre délibération et capacité de décision en temps de crise, ce qui rend sa philosophie politique insaisissable au regard des clivages idéologiques dominants de ce premier tiers du XXIè siècle. Il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce que la décision et le pouvoir d’exception puissent être confondus avec de l’autoritarisme (démocratie illibérale) comme norme de gouvernement, et que la légitimité soit désormais invoquée sans aucune rigueur[59].
Par ces catégories de pensée politique et d’action, la personnalité politique exceptionnelle du général de Gaulle n’appartient pas non plus à l’époque révolue du Grand Homme hégélien. Son apparent anachronisme éclaire au contraire les raisons pour lesquelles les démocraties libérales pâtissent d’une grave perte de signification. Revisiter à la lumière des défis contemporains, le décisionnisme, la pratique du pouvoir d’exception, la démocratie référendaire et la légitimité, sont autant de concepts indispensables pour que le gouvernement des hommes ne se dégrade en un simple pouvoir légal affaibli et incapable de faire face aux crises[60] ! Ce n’est ni plus ni moins revenir aux sources de la République gaullienne. C’est sans doute aussi réinterroger la nature politique du projet européen.
Bernard Bourdin
FASSED ICP
[1] Pour Jacques Bainville l’histoire de la France est une alternance entre décomposition et recomposition de l’Etat : Jacques Bainville, Histoire de France, coll. « Texto », Paris, Tallandier, 2007.
[2] Charles de Gaulle, La discorde chez l’ennemi, Paris, Plon, 1972.
[3] Plusieurs textes en témoignent mais le plus marquant est le dernier chapitre du Fil de l’épée : Le Fil de l’épée, Le politique et le soldat, Paris, Plon, 1971. On peut se demander si Max Weber qui distinguait le savant du politique aurait accepté la concordance gaullienne entre la vocation de soldat et celle de politique. Il n’est pas surprenant que le dernier chapitre du Fil de l’épée renvoie à La discorde chez l’ennemi : « Il est arrivé, au contraire, qu’un commandement militaire arrachât leurs pouvoirs à la faiblesse des gouvernants…D’ailleurs le Grand-Quartier allemand ne s’arrête pas en chemin ; c’est en toutes matières de législation, d’administration, de diplomatie qu’il d’arroge, en faut, la décision » : p. 185-186.
[4] Nicolas Rousselier, La force de gouverner, Le pouvoir exécutif en France, XIXè-XXè siècles, Paris, coll. « Nrf essais », Gallimard, 2015.
[5] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre III Le salut, 1944-1946, Paris, Plon, 1959.
[6] « Des Grecs, jadis, demandaient au sage Solon : ‘quelle est la meilleure Constitution ?’. Il répondait :’ Dites-moi, d’abord, pour quel peuple et à quelle époque ?’’» : Discours et Messages, Dans l’attente Février 1946-Avril 1948, Discours prononcé à Bayeux 16 juin 1946,Paris, Plon, 1970, p10.
[7] Deux philosophes me semblent faire exception : Aristote par son sens de l’observation des réalités humaine. John Locke, en raison du caractère engagé de sa philosophie politique et de sa coordination à l’histoire institutionnelle de l’Angleterre.
[8] On ne saurait oublier les rôles influents de Charles Péguy et de Henri Bergson dans la philosophie politique de De Gaulle, influence sur laquelle nous reviendrons dans l’approche comparative de De Gaulle avec Schmitt. De son côté, Bergson le lui a bien rendu par son admiration profonde. Cette admiration a été rapportée par Madame Bergson à Georges Cattaoui : En 1940, avant la débâcle, mon mari me répétait sans cesse : « Un seul homme pourrait sauver la France : le colonel de Gaulle » : Voir Michel Desvignes, Bergson et de Gaulle, in Charles de Gaulle, sous la direction de Michel Cazenave et Olivier Germain-Thomas, Cahiers de L’Herne, 1985, p. 252-259 (252).
[9] Sauf Rousseau qui est explicitement mentionné par Alain Larcan. L’auteur rapporte ce propos de De Gaulle au cours d’un d’une conversion avec Malraux : « Les âmes sensibles avaient sans doute lu beaucoup de choses de Jean-Jacques Rousseau, mais pas le Contrat social qui, malgré sa légende, est un livre puissant »: Alain Larcan, De Gaulle inventaire La culture, l’esprit, la foi, Paris, Bartillat, 2003, p. 192.
[10] L’appel du 18 juin est « fondateur » en ce qu’il donne naissance à la geste gaullienne jusqu’à son départ définitif du pouvoir en 1969. Mais il est « révélateur » en ce qu’il permet au général de Gaulle de mettre en œuvre ses conceptions militaires et politiques défendues avant juin 1940 et qui aboutiront à la naissance à la Vè République.
[11] Discours et Messages Pendant la guerre Juin 1940-Janvier 1946, 18 juin 1940, p. 3-4. C’est le moment « existentiel » de la décision qui précède et conditionne le moment juridico-politique. Le caractère existentiel de la décision est au cœur de l’articulation entre « légitimité » et « légalité ». Il poursuivra l’action politique de De Gaulle jusqu’en 1969 : Le tragique dans l’histoire chez De Gaulle se vérifie notamment dans ce statut « premier » de la décision : voir Jean-Marie Domenach, La dimension tragique chez De Gaulle, in Actes du colloque organisé par l’Institut Charles de Gaulle (25-26 avril 1980), Approches de la philosophie politique du général de Gaulle, Paris, Editions Cujas, 1983, p. 251-254.
[12] Charles de Gaulle, Mémoires de guerre I L’Appel 1940-1942, Paris, Plon, 1954.
[13] Voir l’allocution du 19 juin « …qui tranche déjà par l’amorce d’une contestation de la légitimité du gouvernement de Bordeaux et par l’auto-investiture qu’il se confère »’j’ai conscience de parler au nom de la France’ : Jean-Louis Crémieux-Brilhac, De Gaulle : l’affirmation d’une légitimité, p. 300.
[14] C’est au cours de ces années décisives que De Gaulle forge sa légitimité à l’épreuve de plusieurs conflits dont il est sorti systématiquement vainqueur, de « l’affaire Muselier » à la rivalité avec le général Giraud. Autant de conflits qui mettent en scène le conflit de De Gaulle avec Roosevelt et Churchill par rapport auxquels il finit par imposer sa légitimité : Jean-Luc Barré, Devenir De Gaulle 1939-1943, Paris, Perrin, 2003.
[15] Dans son ouvrage intitulé Mort du général de Gaulle, Jean Mauriac explique que De Gaulle était très réfractaire à la pratique de la commémoration de l’Appel du 18 juin. Si l’Appel est incontestablement l’événement fondateur et révélateur de sa légitimité comme il le rappelle encore en 1960, c’est une raison déterminante pour ne pas l’enfermer dans le statut de « l’homme du 18 juin ». Voir la restitution d’un long propos du général de Gaulle dans le livre de Jean Mauriac, Mort du général de Gaulle, Paris, Editions Bernard Grasset, 1972, p. 76. La question centrale pour De Gaulle est bien celle de la légitimité que lui a conférée l’Appel du 18 juin et qui déterminera toute sa philosophie politique jusqu’à l’échec du référendum du 27 avril 1969. Cet échec signifiant la perte de sa légitimité, le Général a d’autant plus de raison de ne pas être présent au mont Valérien le 18 juin 1969 : Ibid., p. 77.
[16] Sur le rapport de De Gaulle à l’histoire républicaine en France, voir Lucien Jaume, L’Etat républicain selon de Gaulle, Commentaire, Paris, 51/1990, p. 523-532 et 52/1990-1991, p. 749-755.
[17] C’’est tout le sens de l’action du général de Gaulle qui a empêché l’administration financière et militaire de la France par l’AMGOT (Allied Military Government of Occupied Territories).
[18] Une manifestation des partisans de l’ « Algérie française » a pour conséquence la création d’un « Comité de salut public ».
[19] « C’est dans ces conditions que je me suis proposé pour terme de conduire une fois de plus au salut le pays, l’Etat, la République…Le Gouvernement, si vous voulez l’investir, vous proposera de les lui attribuer aussitôt. Il vous demandera les pleins pouvoirs…pour une durée de six mois… : Discours et Messages Avec le Renouveau Mai 1958- Juillet 1962, 1er juin 1958, Paris, Plon, 1970, p. 14. La confiance sera accordée par 329 voix contre 224.
[20] Du 28 juin 1940 au 21 septembre 1941 est constitué le cabinet de la France libre, puis celui de la France combattante jusqu’au 1er octobre 1942, suit la création du Comité national jusqu’au 30 mai 1943 et le Comité français de la libération nationale jusqu’au 20 août 1944 et enfin le Gouvernement provisoire de la République française jusqu’au 20 janvier 1946. Dès 1940-1941, De Gaulle a à l’esprit l’édification d’une constitution républicaine forte qu’il exprimera ensuite à Bayeux après son départ du pouvoir. Sur la question du rétablissement des institutions légales de la République, voir Bertrand Renouvin, Vichy, Londres et la France, Paris, Les Editions du Cerf, 2018.
[21]Ibid., Discours et Messages, 29 janvier 1960, p. 166.
[22] « J’avais les moyens d’établir la dictature. Il s’agissait de la mienne. Je dois confesser, sans demander l’absolution, que cette dictature, les événements m’avaient forcé de l’exercer pendant près de six ans. Mais, alors, la France était bâillonnée ; elle était en péril de mort ; il fallait la défendre et le salut de la patrie était la suprême loi….Devais-je maintenir cette dictature ? Je me suis répondu : ‘Non !’…Je ne crois pas à la dictature en France » : Allocution prononcée à Saint Maur en 1952, Discours et Messages, op.cit., p. 532. Dans sa conception de la dictature, De Gaulle est très romain et proche de Rousseau, Du Contrat social ou Principes du droit politique, in Ecrits politiques, Edition, introduction, commentaires, notes, chronologie et bibliographie par Gérard Mairet, Paris, coll. « Le Livre de Poche Classiques de la philosophie, Librairie générale Française, Livre IV, chap. VI : « »…il importe d’en fixer la durée à un terme très court qui jamais ne puisse être prolongé…passé le besoin pressant, la dictature devient tyrannique ou vaine » : p. 326 et 328. Voir enfin Jean Bodin, Les six Livres de la République, I, VIII, De la souveraineté. Le dictateur n’est pas souverain car il ne dispose pas des marques de perpétuité et d’absoluité du pouvoir. L’index des œuvres complètes du général de Gaulle (Plon) est à consulter sur les notions ou concepts topiques de sa pensée. Alors que l’expression « pouvoir d’exception » n’apparait pas, le mot « dictature » est présent.
[23] C’est tout le sens de l’article 16 de la Constitution de la Vè République.
[24] Discours et Messages, Pour l’effort, Août 1962 Décembre 1965 : «…la question serait très différente pour ceux qui, n’ayant pas nécessairement reçu des événements la même marque nationale, viendront après moi, tour à tour, prendre le poste que j’occupe à présent» : Discours et Messages, Allocution du 20 septembre 1962, p. 23. Dans une autre allocution du 26 octobre 1962, le Président de Gaulle exprime très clairement sa conception de la démocratie opposée au régime des partis : « Bien entendu, tous les partis de jadis, dont rien de ce qui s’est passé n’a pu guérir l’aveuglement, vous requièrent de répondre « Non » ! C’est de leur part, tout naturel. Car, il est vrai, qu’aujourd’hui mon action à la tête de la République, plus tard celle des Présidents successifs…sont incompatibles avec le règne absolu et désastreux des partisans », ibid., p. 40-41. De Gaulle revient dans le dernier tome de ses Mémoires d’espoir sur l’élection du Chef de l’Etat au suffrage universel. Le lecteur peut y découvrir une réflexion du Général qui exprime autant la vision idéale de sa conception des institution démocratiques que son réalisme à l’égard des hommes : « Car, en aucun temps et dans aucun domaine, ce que l’infirmité du chef a, en soi, d’irrémédiable ne saurait être compensé par la valeur de l’institution. Mais, à l’inverse, le succès n’est possible que si le talent trouve son instrument et rien n’est pire qu’un système tel que la qualité s’y consume dans l’impuissance » : Mémoires d’espoir L’effort 1962…Paris, Plon, 1971, p. 17-18.
[25] Le Président du Sénat Gaston Monnerville a ainsi accusé le général de Gaulle de forfaiture lors du congrès du parti Radical réuni à Vichy le 29 septembre 1962.
[26] Discours et Messages, Allocution du 18 octobre 1962, op.cit., p. 35. Sur la personnification « contre le pouvoir personnel », voir Lucien Jaume, L’Etat républicain selon de Gaulle, op.cit., p. 525-527.
[27] « Mais rien, dans tout ce qu’il dit (Rousseau), n’interdit que l’on transpose dans le cadre du référendum les principes qu’il a formulés. Car le référendum constitue évidemment la seule modalité pratique de fonctionnement de la démocratie dans de grands États » : René Capitant, Ecrits constitutionnels, Préface de Michel Waline, Choix de textes, chronologie, bibliographie et index établis par Jean-Pierre Morelou, Paris, Editions du CNRS, 1982, p. 93.
[28] « Du Parlement, composé des deux Chambres et exerçant le pouvoir législatif, il va de soi que le pouvoir exécutif ne saurait procéder, sous peine d’aboutir à cette confusion des pouvoirs dans laquelle le Gouvernement ne serait bientôt plus rien qu’un assemblage de délégations » : Discours et Messages, Discours prononcé à Bayeux, op.cit., p. 9.
[29] D’où les dérives ultérieures. A partir de François Mitterrand, par la cohabitation la légalité a cessé de se coordonner avec la légitimité. Le Président peut se limiter à n’être qu’un simple arbitre dans un cadre politique où coexistent deux volontés politiques : celle qui s’est exprimée pour élire le Chef de l’Etat et celle qui s’est exprimée pour élire les députés. Après l’échec du Référendum du 1969. La Vè République ne sera plus tout à fait celle de De Gaulle, mais celle de ses successeurs qui jouissent de la légalité constitutionnelle sans la légitimité événementielle ! Appliquée aux successeurs de De Gaulle, la définition par Max Weber sur les différents types de légitimité se révèle ici dans toute sa pertinence.
[30] La pratique du référendum et son attachement indéfectible à l’union des volontés étatique et populaire rapproche De Gaulle du refus rousseauiste d’aliéner la volonté souveraine du peuple. On sait que pour Rousseau « la volonté ne se représente point » : Rousseau, Contrat social, op.cit., Livre III, chap. XV, p.298.
[31] Voir l’article 3 de la Constitution de la Vè République qui ne parle pas directement de souveraineté du peuple, mais de souveraineté nationale qui « appartient au peuple ». Il n’est jamais question de « souveraineté de l’Etat », c’est pourtant de cette souveraineté dont il s’agit. Voir la réponse de De Gaulle à Peyrefitte : « Voyez-vous, Peyrefitte, cette double opération référendum -élections a été bénéfique. Elle a prouvé que le peuple était du côté de l’Etat. Le peuple et l’Etat sont maintenant souverains » : Alain Peyrefitte, C’était de Gaulle, Paris, Fayard, Editions de Fallois, 1994, T. 1, p. 441.
[32]Voir l’article 11 de la Constitution de la Vè République.
[33] John Locke, Traité du gouvernement civil, Paris, GF Flammarion, 1984, XIV, p. 303.
[34]Ibid., p. 303.
[35] François Saint-Bonnet, L’Etat d’exception , Paris, Puf, 2001.
[36] Carl Schmitt, Théologie politique, Traduit de l’allemand et présenté par Jean-Louis Schlegel, Editions Gallimard,Nrf, 1988, p. 12, 18.
[37] Si Schmitt écrit sur Hobbes ce n’est que pour mieux justifier sa théorie décisionniste de la souveraineté : Le Leviathan dans la doctrine de l’État de Thomas Hobbes. Sens et échec d’un symbole politique, Postface de 1965 La Réforme parachevée Sur les nouvelles interprétations du Léviathan,Traduction par Denis Trierweiler, préface d’Etienne Balibar et postface de Wolfgang Palaver, Traduction par Mira Köller et Dominique Séglard, Paris, Edition du Seuil, coll. « L’ordre philosophique », 2002.
[38] La même difficulté vaut pour René Capitant. Voir Gwénaël Le Brazidec, René Capitant, Carl Schmitt : crise et réforme du parlementarisme De Weimar à la Cinquième République, Préface de Jacques Chevalier, Paris, L’Harmattan, 1998, p. 27-34.
[39] Par « solidifier », il ne faut pas comprendre « sauver » la République de Weimar. Voir sur cette question subtile Olivier Beaud, Les derniers jours de Weimar Carl Schmitt face à l’avènement du nazisme, Paris, Descartes et Cie, 1997. Pas plus que Schmitt n’a voulu « sauver » la République de Weimar, De Gaulle n’a voulu sauver les IIIè et IVè République. Il fallait en fonder une autre !
[40] Tout l’avantage de De Gaulle sur Schmitt, est qu’il est un homme d’action qui pense son objet, Schmitt est un penseur qui dépend de la rencontre d’un homme d’action…En témoigne la lettre que Carl Schmitt adresse de Plettenberg à son ami Julien Freund le 1er mai 1969 : « La démission du général de Gaulle m’a touché comme un coup du sort jeté à un parent proche ».
[41] Schmitt n’identifie pas pour autant l’Etat total qualitatif ou le stato totalitario au fascisme : Voir Olivier Beaud, Les derniers jours de Weimar, op.cit., p. 65-66.
[42] Exception que De Gaulle désigne par dictature pour les années de guerre et par « pouvoir exceptionnels » dans l’article 16 de la Constitution de la Vè République.
[43] Si cette conception tragique de l’histoire est marquée dans la pensée politique de Schmitt par l’augustinisme et la doctrine du péché originel, De Gaulle va plutôt puiser dans la pensée de Pascal ou encore celle de Bernanos.
[44] Le rapport de De Gaulle et de Schmitt à la légitimité dans l’histoire n’est toutefois pas pensé exactement de la même manière. Pour le juriste rhénan, l’Eglise catholique joue un rôle majeur pour une authentique pensée politique car elle est vectrice du temps long de l’histoire en vertu de sa chaine juridique. Pour De Gaulle, l’action politique est légitimée dans l’histoire de la France depuis Clovis et intègre la France issue de la Révolution de 1789. C’est cette légitimité que De Gaulle incarne depuis le 18 juin 1940 et qu’il n’aura cessé d’affirmer.
[45] « Est souverain celui qui décide de la situation exceptionnelle » : Théologie politique, op.cit., p. 15». Cette affirmation bien connue de Schmitt se traduit en termes gaulliens par l’Appel du 18 juin et le vote des pleins-pouvoirs le 1er juin.
[46] Voir les textes catholiques de Schmitt : Carl Schmitt, La visibilité de l’Eglise, Catholicisme romain et forme politique, Donoso Cortés, Préface de Jean-Fr. Kervégan, Présentation de Bernard Bourdin, Carl Schmitt : Quelle théologie politique?, Traduction de l’allemand par Olivier Mannoni, Paris, Editions du Cerf, coll. « La nuit surveillée », 2011.
[47] Carl Schmitt, –Les trois types de pensée juridique, Paris, Puf, coll. « Droit éthique société », 1995.
[48] Carl Schmitt, Parlementarisme et démocratie, suivi d’une étude de Leo Strauss sur la Notion de politique de Carl Schmitt, préface de Pasquale Pasquino, traduit de l’allemand par Jean-Louis Schlegel, Paris, Editions du Seuil, 1988.
[49] De Gaulle n’avait pas de difficultés à admettre que le libéralisme, du moins économique, est un adversaire dangereux pour la souveraineté de l’Etat et par conséquent pour la suprématie du politique sur l’économie. Pour autant, il a su composer par un libéralisme d’Etat comme l’indique le rôle moteur de celui-ci pour le développement économique. On peut en dire autant dans les rapports internationaux et sur le rapport à l’ennemi. Il est bien présent mais avec toujours à l’esprit une politique internationale de coopération. Comme pour Schmitt, De Gaulle combat la dépolitisation ou la neutralisation du politique, mais de façon plus pragmatique. N’oublions jamais que si De Gaulle a des principes intangibles, il a toujours été l’ennemi des dogmes.
[50] Voir Philippe Portier, La philosophie politique du général de Gaulle, Fondation Charles de Gaulle, Charles de Gaulle chrétien homme d’Etat, Paris, coll. « Cerf histoire », Les Editions du Cerf, 2011, p. 193-231 (p. 194).
[51] Voir les conférences données en 1925 à l’école de guerre sur « Le rôle du chef » et « Du prestige ». C’est en fait dans cette dernière que De Gaulle commence par affirmer qu’ « Il y a un élément d’ordre religieux dans la confiance des hommes en un autre homme. Il faut que les subordonnées aient la croyance que le chef est comme d’une essence supérieure à la leur… » : Lettres notes et carnets 1919-Juin 1940, p. 246-257, p. 255
[52] Notons toutefois que si le général de Gaulle ne recourt jamais à des formules systématiques du type de celle topique de la pensée schmittienne : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’Etat sont des concepts théologiques sécularisés « (Théologie politique, op.cit.,, p. 46), pour penser son décisionnisme, son institutionnalisme politique et son ordre concret constitutionnel, en revanche, il les pratique comme en témoigne « le miracle » du 18 juin 1940, le retour au pouvoir de « l’homme providentiel » en 1958 (« ‘Le plus illustre d’entre nous » : René Coty). De Gaulle est peut-être plus proche de la théologie politique de Kantorowicz et des « mystères de l’Etat » !
[53] Voir Charles Péguy, Mystique et politique, Préface d’Antoine Compagnon, Edition annotée et établie par Alexandre de Vitry, Paris, coll. « Bouquins », Robert Laffont, 2015.
[54] Alain Larcan, De Gaulle inventaire, op.cit., p. 312-323.
[55] L’analyse de Philippe Portier nous semble très pertinente lorsqu’il écrit que : « Pour reprendre l’utile distinction de Jacques Maritain dans L’Humanisme intégral, de Gaulle s’avance en politique, sans le dire d’ailleurs, non « en tant que chrétien », mais « en chrétien ». Rien chez lui de ce dessein clérical… » : La philosophie politique du général de Gaulle, op.cit., p. 304. De Gaulle sait aussi recourir à un vocabulaire théologique éminemment chrétien, tout en lui donnant une signification séculière. Il en va ainsi des vertus théologales de la foi et de l’espérance, cette dernière étant souvent employée pendant les années de guerre aux fins de la libération de la France : il n’y a pas meilleure preuve que la foi catholique du Général se conjugue parfaitement avec le patriotisme. Voir sur ce paradoxe « théologico-politique » gaullien où se mêlent le christianisme à l’histoire et à la civilisation, l’article de Dominique Borne dans Charles de Gaulle chrétien homme d’Etat : Dominique Borne, De Gaulle, la religion et l’histoire, op.cit., p.73-86. Parmi les nombreuses démonstrations de l’auteur, toutes aussi convaincantes, relevons au moins celle-ci : « Dans le deuxième chapitre du premier volume des MG intitulé « La Chute » -le mot pour un chrétien évoque directement la faute originelle d’Adam et Eve-, on lit cette lamentation, datée du 13 juin 1940 : ‘Il paraissait acquis que tout serait bientôt consommé…’…La métaphore se poursuit : au terme de l’Histoire, par la grâce rédemptrice de celui qui a repris la patrie en main… », p. 76.
[56] Discours et Messages Pendant la guerre Juin 1940-Janvier 1946, Discours prononcé à Strasbourg 5 octobre 1945, Conférence de presse du 12 octobre 1945, Paris, Plon, 1970. « Discours et Messages Dans l’attente, Conférence de presse tenue au Palais d’Orsay du 10 mars 1952, op.cit., p. 511.
[57] Discours et Messages Avec le Renouveau Mai 1958-Juillet 1962, Conférence de presse du 15 mai 1962 au cours de laquelle est évoquée la proposition de la France de l’organisation politique de l’Europe occidentale (plan Fouchet) au-delà de la seule construction économique. A la question qui est posée par un journaliste sur les objections à ce projet, De Gaulle répond : « Ces opposants nous disent d’une part : ‘Vous voulez faire l’Europe des patries. Nous voulons, nous, faire l’Europe supranationale’…je n’ai jamais parlé, quant à moi, dans aucune de mes déclarations, parlé de ‘l’Europe des patries’, bien qu’on prétende toujours que je l’ai fait…Mais il est vrai que la patrie est un élément humain, sentimental, alors que c’est sur des éléments d’action, d’autorité, de responsabilité, qu’on peut construire l’Europe. Quels éléments ? Eh bien, les Etats ! Car il n’y a que les Etats qui soient à cet égard valables, légitimes et capables de réaliser. J’ai déjà dit et je répète, qu’à l’heure qu’il est, il ne peut pas y avoir d’autre Europe que celle des Etats, en dehors naturellement des mythes, des fictions, des parades » : p. 406-407.
[58] « Croit-on, qu’à soixante-sept ans, je vais commencer une carrière de dictateur ? » : Discours et Messages Avec le renouveau, Mai 1958-Juillet 1962, Paris, Plon, 1970, 19 mai 1958, p.10.
[59] Sur la crise de la légitimité, voir Giorgio Agamben, Le mystère du mal Benoît XVI et la fin des temps, Paris, Bayard, 2017 : « Si la crise que notre société traverse en ce moment est si profonde et si grave, c’est parce qu’elle ne met pas seulement en question la légalité des institutions, mais aussi leur légitimité », p. 11.
[60] L’abandon de la pratique du référendum depuis 2005 est symptomatique d’une désarticulation entre la volonté de l’Etat et de celle du peuple.