« Pas d’esbroufe s’il vous plaît » a lancé Michel Barnier, chef d’un gouvernement sans majorité, à ses ministres lors de leur réunion à Matignon ce lundi 23 septembre. L’injonction est claire : « agir plus que de communiquer et d’agir avant de communiquer ». Le message semble solennel, presque vertueux ou plutôt… calibré pour les chaînes d’information. Ce qui a suivi était inexorable : couacs en cascade, recadrages d’urgence et même un appel à Marine Le Pen, ce qui n’a pas manqué de faire exploser la polémique. Mais comment s’attendre à ce qu’il en soit autrement ?
Les membres du gouvernement, anciens ennemis d’hier, sont désormais contraints de porter haut le même étendard, sans même avoir eu le temps de partager la vision de leur chef. Le séminaire des ministres, organisé pour fixer « les méthodes de travail », et la réunion entre tous les conseillers en communication des ministères, prévue pour ce 2 octobre, en apportent la preuve formelle : malgré son discours anti-esbroufe, Michel Barnier sait que les échanges sont le préalable nécessaire à toute action. En réalité, cette volonté de rupture de style avec son prédécesseur rue de Varenne semble préparer l’opinion à ce qu’il va suivre : des mesures impopulaires. « Ce que je trouve, je le dis sans polémique, est extrêmement grave. Je pèse mes mots », a-t-il déclaré ce 28 septembre lors du congrès national des sapeurs-pompiers.
Quoi qu’il en soit, l’idée qu’il existe une séparation nette entre l’action et la communication est illusoire dans le contexte particulier qui est le sien. Bien sûr, les ministres devraient absolument faire leur le principe de rareté pour que leur voix porte au-dessus du vacarme médiatique, au-delà des bulles algorithmiques. Et à ce titre, le mystère entourant la prise de parole à la tribune de l’Assemblée nationale de Michel Barnier est une grande réussite.
Mais dans un gouvernement avec autant de sensibilités politiques différentes, les soubresauts identitaires sont tout simplement inévitables.
À l’aube de sa déclaration de politique générale, moment décisif où la communication devient précisément indissociable de l’action, comment Michel Barnier peut-il éviter toute polarisation ?
Si son discours est trop consensuel, il sera perçu comme faible et sans ambition. Mais s’il se montre trop clivant, il risque de faire éclater son gouvernement et d’exacerber les tensions déjà prégnantes lorsqu’il est question de hausse des impôts ou de réduction drastique des flux migratoires. Pourtant, dans cet exercice périlleux, il ne pourra se contenter de chercher un compromis tiède. Pour véritablement imprimer sa marque, Michel Barnier devra polariser, quitte à bousculer l’unité gouvernementale. Il devra donc établir deux ou trois priorités suffisamment fortes pour marquer les esprits sans fracturer l’équilibre précaire de son équipe gouvernementale.
Mais quand bien même il réussirait à articuler cette polarisation maîtrisée, chacun d’entre eux devra, tôt ou tard, défendre, justifier, voire atténuer les choix imposés par le Premier ministre face à leur propre base électorale. Sans compter que les ministres restent des acteurs politiques et donc – par définition – en compétition. Il n’est qu’à observer Bruno Retailleau qui tente de s’imposer comme le vice-Premier ministre. À chacune de ses interventions sur l’immigration, il hérisse ses alliés de circonstance, des rangs macronistes jusqu’au MoDem. Et quand ce ne seront pas les ministres, ce seront inévitablement les impétrants à la présidentielle, potentiels ou avérés, qui s’emploieront à déstabiliser l’action gouvernementale.
Ce qui risque de transformer Matignon en un centre de gestion de crises où chaque dissonance devra être gérée en urgence.
À cela s’ajoute une difficulté : la cohabitation – pardon, “coexistence exigeante” – avec Emmanuel Macron. Après sept ans d’hyper présidence, comment Emmanuel Macron pourrait-il se satisfaire du second rôle de cette pièce qui pourrait s’écrire sans lui ? Décontenancé selon Politico, Emmanuel Macron serait en quête d’un « mode d’emploi ». La déclaration de politique générale offre à Michel Barnier une occasion unique de s’affirmer et de clarifier la nature de ses relations avec le président. Un moment décisif pour fixer les nouvelles règles du jeu.
Dans ce gouvernement où les désaccords idéologiques sont nombreux, le succès réside donc dans une capacité à construire un consensus actif – certes – mais en un temps record. Polariser en rassemblant un pays fragmenté politiquement, marquer les esprits tout en maintenant la cohésion gouvernementale, gouverner tout en sachant se raconter et mettre en récit.
Loin de s’opposer, la communication et l’action devront avancer de concert pour transformer cette alliance fragile en machine gouvernementale efficace.
Faute de quoi le gouvernement risque de s’effondrer sous le poids d’ambitions contradictoires et de prolonger l’état d’instabilité qui est le sien. Car si Michel Barnier se montre incapable d’unir ses propres troupes, comment espère-t-il convaincre un pays profondément polarisé de le suivre ?
Anne-Claire Ruel
Enseignante vacataire à l’Université Sorbonne Paris Nord et à la Paris School of Business
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