La surprise et l’affolement qui suivent l’annonce du déficit des finances publiques sont aussi inquiétants que le déficit lui-même. Ce déficit n’est pas une surprise pour les observateurs mais il l’est pour les pilotes de l’action publique : ont-ils crû, seuls, à l’auto-réalisation de prévisions de croissance trop optimistes ? N’ont-ils pas anticipé que la politique des chèques-boucliers, prenant le relai du quoi qu’il en coûte, entraînerait ces conséquences-là ? Étaient-ils les seuls à ne pas vouloir voir ?
Ce déficit des finances publiques c’est le résultat d’une politique économique dont a cru que le volet politique contraindrait l’Économie. Être surpris et s’affoler du déficit ajoute au déficit de crédibilité et rend peu crédible l’atteinte de l’objectif d’un déficit public de moins de 3 % à l’horizon, proche, de 2027.
Longtemps nous avons cru que Bercy était un ministère de l’Économie et des Finances : c’est un ministère de la dépense publique. Le ministère de l’Économie n’existe plus depuis bien longtemps, depuis qu’il n’y a plus de vision de long terme, depuis que l’on a « externalisé » l’industrie, opté pour une économie de services et une consommation low-cost.
Depuis des décennies Bercy engrange le déficit : ce qu’il reste de souveraineté, c’est la dette. Quelle surprise de voir, aujourd’hui, l’affolement et Bercy se faire ministère des économies.
Au moment du « quoi qu’il en coûte » il n’y avait déjà plus de marge de manœuvre, au sortir des confinements sanitaires les fondamentaux de l’économie nationale restaient fragilisés. La reprise de la croissance n’était qu’un rebond. L’inflation résultant du contexte géopolitique a fait découvrir (!) que nous avions perdu toute souveraineté économique et on se dépêchait de rajouter tout un arsenal de mesures anti-inflation à renfort de chèques qui ajoutaient au déficit. La mauvaise nouvelle n’est pas le déficit mais l’affolement devant la réalité qui n’est rien d’autre que ce qui devait advenir, résultat des politiques de ces dernières années.
Mauvaise nouvelle encore parce que la solution trop tardive de baisser la dépense publique vient encore ajouter à ce qu’est Bercy : un ministère trop peu soucieux de l’Économie. Un ministère qui regarde trop le seul numérateur du fameux ratio de la dépense publique rapportée au PIB et qui semble ne pas voir que si l’on dépense trop c’est relativement à un PIB insuffisant. Dans l’absolu on ne dépense pas trop[1]. Quand on vit au-dessus de ses moyens il y a deux solutions : dépenser moins ou gagner plus. Si la solution de court terme, qui aurait dû être prise il y a longtemps, est de dépenser moins où est la politique publique qui favorise l’accroissement de la richesse créée[2] ?
Bercy reste le ministère de la dépense publique, faire le pari de désocialiser l’économie pour gagner des points de croissance… allons ! ce serait là de la… dépense fiscale !
Il y a peu une réforme de l’indemnisation du chômage nous enseignait les bienfaits de la contracyclicité et à ce moment d’essoufflement de la croissance Bercy renverse la logique pour adopter la procyclicité universelle comme solution. Voilà qui rappelle à quelques observateurs les mesures appliquées à la Grèce au début des années 2000. Si 10 milliards d’économie cette année et 20 ou 30 l’an prochain ne sont que peu, la réduction de la dépense publique, trop tardivement venue, va ajouter à l’atonie de la croissance dont on ne voit pas ce qui participe à la soutenir.
Dos au mur (de la dette), sans aucune marge de manœuvre Bercy illustre cette leçon que donnait Frédéric Bastiat « Entre un mauvais et un bon économiste, voici toute la différence : l’un s’en tient à l’effet visible ; l’autre tient compte et de l’effet qu’on voit et de ceux qu’il faut prévoir (…) il arrive presque toujours que, lorsque la conséquence immédiate est favorable, les conséquences ultérieures sont funestes, et vice versa ». La leçon s’applique cruellement autant aux décisions des décennies précédentes qu’à celle du moment : elles nous ont engagés et nous maintiennent sur la voie de l’appauvrissement. Il faut oublier la satisfaction que l’on tirait post-Covid et que l’on résumait à « l’État a tenu ». Si l’État avait tenu, c’est par la dette et en ajoutant à la socialisation de l’économie ! Les chèques-bouclier anti-inflation sont venus confirmer notre addiction à la subvention.
Bercy a été le ministère de la dépense publique quand il ne fallait pas l’être, il est contraint de se faire ministère des économies quand il ne le faut pas … et les coups de rabot ne réformerons pas l’action publique.
Á une économie administrée qui donnait une vision de long terme s’est substituée à bas bruit une économie socialisée réactive parce que sans anticipation ; elle a façonné un corps social biberonné à la dépense publique, grandement déresponsabilisé et aujourd’hui sensible aux élans emportés de tribuns opportunistes. Le en même temps sublime l’addiction à la dépense publique sans offrir d’horizon politique mobilisateur.
L’état des finances publiques serait un moindre mal si les perspectives électorales ne faisaient craindre quelque extrémisme qui, de droite ou de gauche, ajoutera à l’étatisation ruineuse, à l’affaiblissement de l’outil de production de la richesse nationale et à l’abandon d’une part supplémentaire de souveraineté économique.
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la protection sociale
Ancien DGA de l’Unedic
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[1] La dépense publique par habitant : 22 608 € en France, 22 738 € en Allemagne et 23 408 € aux Pays-Bas. (Source : https://fr.countryeconomy.com).
[2] Le PIB par habitant : 38 550 € en France, 48 750 €en Allemagne et 54 150 € aux Pays-Bas.