Pour John Stuart Mill dans son ouvrage « De la liberté » paru en 1859, la diversité des opinions et le débat sont essentiels pour une société saine. Les échanges sont au cœur de la qualité du processus démocratique. Il souligne l’importance du respect des opinions divergentes dans les discussions publiques. Sage conseil qui n’est plus hélas respecté à l’Assemblée nationale depuis plusieurs mois… Outrance, grossièreté, irrespect et surdité, tel est le triste constat d’une Assemblée qui n’en n’est plus vraiment une et dans laquelle la cacophonie des parlementaires a atteint son acmé grevant ainsi tout débat.
Le Parlement reste-t-il le lieu de la parole, du dialogue, des échanges, qui constituent l’essence même de ce lieu ? Aujourd’hui, le débat est-il encore possible au-delà de positions intempérantes ?
Dans la vision de Locke (Deux Traités du gouvernement, 1689) qui a profondément influencé les institutions démocratiques occidentales, la représentation politique est le moyen pour les citoyens de participer au gouvernement. Ces représentants ont, selon l’étymologie latine deputatio, délégation pour agir et ainsi rendre présents les citoyens absents.
Après 224 désistements aux dernières élections législatives (dont 134 de gauche et 82 de la macronie), les députés qui furent élus par des citoyens hétéroclites ayant pour seul point commun une opposition partagée contre le RN forment le plus large groupe.
Dès lors, doivent-ils rester ancrés dans leurs programmes sans aucune capacité d’y déroger ?
Si Max Weber distingue bien l’éthique de la conviction et l’éthique de la responsabilité (Le Savant et le Politique, 1919), un représentant doit selon lui souvent choisir la seconde, ce qui implique des compromis et des décisions basées sur les conséquences et la responsabilité envers la société entière. A contrario, « le partisan de l’éthique de la conviction ne se sentira responsable que d’assurer la pureté du feu sacré des convictions, mais pas de maintenir une politique réaliste adaptée aux circonstances. » (La vocation de la politique, 1946).
Aujourd’hui, ces préceptes nécessaires à l’efficacité politique semblent bien éloignés.
En s’ancrant dans une éthique de conviction, fidèles uniquement à leur convictions personnelles et éthiques, les représentants font fi des citoyens qui – dans leur diversité – les ont élus. Cela consiste à bafouer l’essence même de leur rôle de représentant ; des représentants qui ne souhaitent pas représenter ceux qui les ont missionnés.
Un effet de balancier
Cette situation ne serait-elle pas qu’une conséquence de l’avanie faite aux représentants élus ces dernières années tant à un niveau local que national ?
A un niveau local, les collectivités ont largement déployé de multiples outils de démocratie participative pour palier le désengagement citoyen. Consultations citoyennes, concertations, jury citoyen, … l’acmé a été atteint par certaines collectivités qui, faute de candidats pour participer à ces démarches de démocratie participative, en rémunèrent les acteurs. Il ne faut pas vilipender la participation des citoyens. La démocratie directe telle que décrite par Rousseau dans La République de Genève doit rester un idéal à atteindre, afin que les citoyens eux-mêmes participent activement à la législation et à la prise de décision.
Toutefois, il est légitime de s’interroger sur la crédibilité et la représentativité des citoyens impliqués dans les démarches participatives mises en place. Quelle légitimité ont ces citoyens par rapport à des représentants élus qui portent la voix de leurs électeurs ?
Au niveau national, le pendant s’est traduit par les conventions citoyennes et autres outils participatifs qui ont clairement signifié aux représentants légitimement élus, que des citoyens non élus avaient potentiellement plus de légitimité.
Dès lors que les représentants élus sont niés dans leur fonction, faut-il s’étonner qu’ils ne la respectent par eux-mêmes ?
Un système démocratique qui nie ses représentants, des représentants qui nient ceux qu’ils représentent, des éléments symptomatiques d’une absence de dialogue et d’échanges qui constituent l’essence même de la démocratie parlementaire, quelle issue ?
La lecture ou relecture des classiques ne serait en effet pas de trop pour retrouver l’essentiel de la représentation politique et de ses nécessaires respect et dialogue afin que le Parlement retrouve quelque peu ses lettres de noblesse.
Dr Lionel Camblanne,
Docteur en sciences de gestion, élu local, ancien maire de Seignosse (40), consultant auprès des collectivités locales.
Mr Thierry Debergé,
Enseignant-chercheur Imagine Campus.
Dr Frédéric Dosquet,
Docteur en sciences de gestion, Hdr (direction de thèses doctorales), Auteur de 19 livres dont Marketing et communication politique, Ems, 3eme édition.