Les 2 et 30 octobre, les Brésiliens se déplaceront dans les urnes. Lancée le 15 août, la campagne présidentielle entre Jair Bolsonaro et l’ancien président Luiz Inácio Lula Da Silva (2003-2011) se déroule dans un climat politique polarisé sur fond de crise économique, sociale et environnementale. Focus sur les enjeux.
Ce n’est pas n’importe quelle année pour le Brésil, 2022 célébrant le bicentenaire de l’indépendance (obtenue le 7 septembre 1882). C’est aussi une année où se déroule une élection cruciale pour le peuple brésilien, celle du choix d’une personnalité politique qui le représentera pour les prochaines années. Elle marque le retour du fondateur du parti des travailleurs, Luiz Inácio Lula Da Silva, sur le devant de la scène politique. De son côté, le président brésilien Jair Bolsonaro a connu une forte baisse de sa côte de popularité, très critiqué notamment pour la protection de l’Amazonie. À la différence d’autres élections en Amérique Latine cette année (Colombie par exemple), le Brésil ne se dirige pas vers un renouveau politique. Construire un nouveau contrat social n’est pas dans les préoccupations du pays. Les candidats s’appuient sur des bases de votants qui n’attendent pas un changement profond mais une continuité dans les aides sociales et la création d’emploi, des mesures prônées par les deux candidats.
Une société Brésilienne enfermée dans le duel Bolsonaro/Lula
Jair Bolsonaro ne fait pas l’unanimité depuis son élection, notamment chez les classes populaires. Sa côte de popularité est en baisse depuis sa gestion de la crise Covid-19. L’ancien chef de l’Etat, Lula, qui souhaite revenir sur le devant de la scène politique après son incarcération, est en tête des intentions de vote au premier tour avec une avance considérable sur Jair Bolosnaro, avec 47% contre 33% (selon les derniers sondages Datafolha). Les condamnations de Lula ont été annulées à la suite de plusieurs vices de procédure. Un nouveau jugement devra être prononcé.
Aucun des dix autres candidats, parmi lesquels le travailliste Ciro Gomes et la centriste Simone Tebet, ne dépasserait la barre des 8%. Ciro Gomes est un ancien ministre de Lula qui veut s’offrir comme une troisième possibilité pour les électeurs. Bien qu’il réussisse à rassembler quelques partisans déçus des deux candidats, cela ne devrait pas être significatif pour changer la donne.
Depuis 2018, les réseaux sociaux sont devenus un lieu de bataille électorale où la lutte contre les fake news s’est amplifiée. Certains soutiens politiques n’hésitent pas à partager de fausses informations.
Lula est donc favori dans ce scrutin. Les différents sondages s’expliquent par plusieurs facteurs. Premièrement, une volonté d’alternance politique est présente en Amérique Latine depuis une dizaine d’années, le Brésil en est le reflet. Lula est une alternative à la droite conservatrice. Deuxièmement, les Brésiliens ont besoin d’une figure politique de premier plan. Si le parcours de Lula est marqué par des accusations de corruption, il reste adulé par une partie des Brésiliens. Pour rappel, ces dernières années, la politique brésilienne était marquée par de nombreuses affaires de corruption, notamment Odebrecht ou encore le scandale Petrobras. Troisièmement, l’élection de 2022, comme celle de 2018, insiste sur l’insécurité et la corruption, deux thématiques qui interpellent l’opinion publique. L’emploi et la santé restent deux priorités pour les Brésiliens.
Une pauvreté qui s’accroît, un environnement qui se dégrade
Après une baisse en 2020 (-4,1%), la croissance du PIB devrait plafonner à 1,2% en 2022. Le taux de chômage stagne autour de 9,3% et les déséquilibres budgétaires se creusent. L’inflation de 10,08% sur les douze derniers mois a plongé la 8ème économie mondiale dans les affres de la pauvreté. Selon la FAO, en 2021, le pays comptait 33 millions de personnes souffrant de la faim et 125 millions au total – soit près de 60% de la population – étaient en insécurité alimentaire. De plus, la pandémie de Covid-19 n’est évidemment pas étrangère à cette situation. Le virus y a fait officiellement 650.000 morts.
Côté environnement, le bilan est accablant. D’après l’institut Imazon, la destruction de la forêt amazonienne entre août 2021 et juillet 2022 a été la plus importante de ces quinze dernières années, avec 10.781 km2 dévastés.
Les invasions de terres protégées, en particulier les territoires indigènes, se sont multipliées pendant son mandat, facilitées par une posture conciliante envers la déforestation et l’exploitation minière illégale.
Face à ce bilan, Lula a des arguments. L’ancien président se présente comme le seul capable d’éradiquer la faim et lutter contre la pauvreté. Il l’a déjà fait lors de ses deux premiers mandats, sortant 34 millions de personnes de la misère. Pour préserver l’Amazonie, il propose de revoir en profondeur la politique agricole, notamment la place des monocultures et de l’élevage extensif.
Les classes populaires et le rôle de de l’armée
Jair Bolsonaro court après le vote des classes populaires. Il a ainsi fait adopter en juillet un amendement constitutionnel, surnommé PEC Kamikaze. Celui-ci permet de débloquer près de 8 milliards d’euros de dépenses publiques, notamment pour financer une augmentation de 33% d’Assistance Brésil, un programme social ayant remplacé la Bourse famille, instaurée en 2003 par l’ancien président Lula. La campagne va aussi se jouer sur les valeurs morales et la foi, portées par les évangéliques. Jair Bolsonaro est largement en tête au sein de cet électorat.
Un fait inédit avec Bolsonaro sous sa mandature. Des hauts gradés ont été nommés à la tête d’importants ministères et un général à la vice-présidence. Au total, on compte pas moins de 6.000 militaires d’active et de réserve ayant été promus dans son administration.
Le projet de Bolsonaro de contester les votes imite largement les actions de Donald Trump lors des dernières élections présidentielles américaines.
La crainte d’un coup d’Etat plane sur les élections car il y a un fort engagement politique des militaires au Brésil.
Des tensions vont perdurer après l’élection présidentielle. Dans les deux cas, que cela soit Lula ou Bolsonaro, il n’y aura pas de renouvellement politique au Brésil. Lors des élections, les Brésiliens voteront aussi pour les 513 députés et 81 sénateurs. La victoire au congrès est une clé pour faire appliquer la politique du gouvernement, elles passent très souvent par des alliances. Les années précédentes, aucun parti n’a réussi à obtenir de majorité à la Chambre des députés et au Sénat, restant très divisés entre les mouvements dits de « gauche » et les mouvements conservateurs de « droite ». Cependant, avec les alliances, le gouvernement disposait d’une majorité lors de la précédente mandature.
Guillaume Asskari
Journaliste, Chroniqueur Amérique Latine