De longues semaines, la Côte d’Ivoire a retenu son souffle. Le pays était dans l’attente de la décision d’Alassane Ouattara de se représenter pour un 4ème mandat. A 83 ans, le président sortant maintenait le suspense. Sa candidature focalise le débat politique autour d’une unique question : le 25 octobre, stop ou encore ?
Une fois encore, la Côte d’Ivoire s’apprête à affronter une élection présidentielle. Affronter comme une épreuve, affronter comme un défi, affronter comme un risque. Cette donne n’est pas nouvelle. Depuis la disparition du président Félix Houphouët Boigny en 1993, ce pays pilier de l’Afrique de l’Ouest n’a jamais connu d’alternance apaisée à la tête de l’État.
En 2011, l’affrontement post-électoral très brutal entre Laurent Gbagbo et son successeur, Alassane Ouattara, avait provoqué la mort d’environ 3000 personnes. En 2020, la décision du sortant de concourir à nouveau, en dépit de la limitation constitutionnelle à deux mandats présidentiels et à la faveur d’une révision de la loi fondamentale supposée « remettre les compteurs à zéro », avait entrainé un boycott de l’opposition et de nouvelles violences. Le chiffre de 85 morts était alors officiellement avancé.
En 2025, les ingrédients d’une crise sont une fois encore bien présents, avec l’exclusion de la liste électorale de plusieurs poids lourds de la vie politique ivoirienne, empêchés de se présenter à la faveur de décisions judiciaires contestées.
Les causes avancées par la justice sont différentes : trois condamnations judiciaires et un imbroglio administratif. Laurent Gbagbo est privé de ses droits civiques et politiques pour un prétendu « braquage » de la BCAO[1] ; Tidjane Thiam, le dauphin d’Henri Konan Bédié, souffrirait d’un problème lié à sa nationalité française lors de son enrôlement sur la liste électorale ; une tentative supposée de coup d’État condamne l’ancien Premier Ministre Guillaume Soro à un interminable exil ; l’ancien leader des Jeunes Patriotes Charles Blé Goudé a été condamné pour des faits de violences liées à la crise électorale de 2011.
Si l’origine est différente, les conséquences sont identiques. Tous les quatre sont radiés de la liste électorale et se retrouvent dans l’impossibilité de concourir à l’élection présidentielle. Trois d’entre eux sont engagés dans un combat frontal contre leur propre exclusion. Tous se retrouvent plus largement contre les conditions de l’élection présidentielle du 25 octobre.
De fait, la liste électorale comporte de nombreuses anomalies. Le refus de la rouvrir avant le scrutin pour accueillir de nouveaux électeurs empêche le président du PDCI-RDA Tidjane Thiam, par ailleurs petit neveu de Félix Houphouët Boigny, de s’inscrire et de concourir. La sécurisation du scrutin n’est pas assurée dans un pays où la transmission des résultats des bureaux de vote est sujette à controverse et où l’argent joue un rôle important dans l’élection. La Commission électorale indépendante ne donne pas toutes les garanties requises d’impartialité.
Dans ce climat tendu, le retrait d’Alassane Ouattara aurait pu calmer le jeu et favoriser un climat plus apaisé. Son maintien invoqué au nom du « devoir » qu’il oppose curieusement à « la parole donnée de bonne foi » ravive les tensions.
Ce 26 août, la totalité des candidats à la candidature ont déposé leur dossier devant la Commission électorale indépendante. Le Conseil Constitutionnel tranchera in fine le 10 septembre. Sauf dialogue politique de dernière minute, l’exclusion de certains poids lourds risque d’être confirmée. Si ce scenario se précise, les ténors du PDCI-RDA et du PPA-CI, les deux principaux partis d’opposition, se trouveront placés devant une alternative : le boycott ou le choix d’un « plan B » parmi les candidatures retenues ; en d’autres mots la rue ou les urnes.
La première démarche a été tentée en 2020 et présente un double risque : d’abord le déclenchement d’une nouvelle crise dans ce contexte régional tendu invoqué par le président sortant pour justifier sa candidature, et face à un régime qui bénéficie du monopole de la violence d’État ; ensuite bien évidemment l’élection dans un fauteuil d’Alassane Ouattara, faute de concurrence face à lui. Le boycott serait paradoxalement la porte ouverte à ce quatrième mandat contre lequel l’opposition fait bloc.
La deuxième hypothèse rendrait en revanche de manière arithmétique l’alternance possible. C’est le pari de l’homme d’affaires Jean-Louis Billon, qui se présente en indépendant après avoir bravé le choix de son parti, le PDCI-RDA, de soutenir Tidjane Thiam.
Sur la ligne de départ, il faudra surtout compter avec le président du FPI, l’opposant social-démocrate Pascal Affi N’Guessan. Porte-parole de l’opposition lors de la désobéissance civile de 2020, l’ancien Premier Ministre de Laurent Gbagbo entend cette année incarner une « alternance tranquille et résolue ». Il affiche un projet de rupture mais présente un profil rassurant. Attaché à l’idée de réconciliation, il pourrait être une passerelle entre la Côte d’Ivoire d’hier et celle des générations suivantes. Au-delà des slogans et des mots d’ordre des états-majors, l’envie d’alternance existe, au bout de 15 années de pouvoir du RHDP.
Rassurant pour ses compatriotes, Pascal Affi N’Guessan l’est aussi pour une communauté internationale vigilante, au chevet d’une Côte d’Ivoire à la démocratie vacillante. L’UNOWAS[2], la CEDEAO[3], l’Union Africaine, l’Union Européenne mais aussi les Elders[4], observent avec inquiétude le contexte de cette présidentielle.
Lors de cette élection sous tensions, sous pression, sous haute surveillance aussi, la Côte d’Ivoire ne peut se permettre une nouvelle bouffée de violence. Dans un contexte régional menaçant, marqué par une succession de coups d’État, si la stabilité du pays demeure un impératif, l’enjeu est désormais de savoir la conjuguer avec un autre mot, celui de démocratie.
Geneviève Goëtzinger
Présidente de l’agence imaGGe
Ancienne directrice générale de RFI
Membre de l’Académie des Sciences d’Outre-mer
Source : Doumbia Moussa / Shutterstock.com
[1] BCEAO : Banque Centrale des États d’Afrique de l’Ouest
[2] UNOWAS : Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel
[3] CEDEAO : Communauté Économique des États d’Afrique de l’Ouest
[4] Elders : Les Anciens, ou Sages universels, ONG fondée en 2007 par Nelson Mandela regroupant des personnalités publiques afin de promouvoir la paix, les droits humains et la démocratie.