Ce qui ne peut manquer de frapper nos esprits confinés, c’est une forme de cécité collective face à l’ampleur de la crise sanitaire liée à l’épidémie du Covid-19. D’où vient ce sentiment profond d’une immense difficulté pour appréhender le phénomène d’une pandémie désormais planétaire ? s’interroge Alexis Bachelay.
« Le monde est aveugle, rares sont ceux qui voient. »
Bouddha
Ce qui ne peut manquer de frapper nos esprits confinés, c’est une forme de cécité collective face à l’ampleur de la crise sanitaire liée à l’épidémie du Covid-19. D’où vient ce sentiment profond d’une immense difficulté pour appréhender le phénomène d’une pandémie désormais planétaire ? S’il est encore trop tôt pour tirer des leçons définitives sur cette crise qui nous traversons tels des somnambules confinés, un constat s’impose : malgré nos immenses connaissances scientifiques, nos technologies ultra-avancées, nos informations continues et notre plan national de prévention et lutte « pandémie grippale », nous n’avons ni vu venir, ni su prévenir cette crise !
D’où ce sentiment de confusion, d’impuissance mêlé à de la colère. Comme ces Français de 1940, bien à l’abri derrière la ligne Maginot, qui virent s’effondrer le pays en moins de six semaines…
D’où vient cette impression que rien, ou presque, ne nous a préparé à affronter cette épreuve collective et individuelle ?
Mon propos ne sera pas, ici, de rechercher des défaillances individuelles ou des errements collectifs. Il y aura un temps pour faire ce bilan plus complet, lorsque nous aurons surmonté cette crise. Toutes les crises révèlent des talents et montrent les limites de notre société telle qu’elle fonctionne en temps « normal ». Des intellectuels, voire des prophètes, ont anticipé des conflits ou des crises majeurs, publiés des ouvrages sur les victoires ou les défaites à venir.
Un rapide plongeon dans la littérature récente en langue française, sur l’état du monde, les risques géopolitiques ou les crises économiques est cruel : aucun expert en relations internationales, économiste ou spécialiste n’a, semble-t-il, anticipé le risque d’une pandémie mondiale majeure. La plupart du temps, et dans de nombreux ouvrages, ce risque n’est même pas cité, pas une ligne…
Il est donc possible de postuler que notre impréparation est d’abord intellectuelle et culturelle.
Une recherche plus approfondie nous permettra de trouver ici ou là un chercheur ou un médecin qui évoque ce risque sanitaire. Bill Gates l’a fait en extrapolant un risque pandémique mondial, à partir de son expérience de la lutte contre le virus Ebola en Afrique. Mais soyons honnêtes, ces interventions furent rares et, jusqu’à maintenant, sans réel écho. Les épidémies semblaient circonscrites aux continents asiatiques et africains, du point de vue du monde occidental.
Cette faiblesse de la production littéraire est à mettre en relation avec une crise, qui, en quelques jours, est venue ébranler notre mode de vie et nos certitudes. Cela permet, peut-être, de mieux comprendre l’état de sidération qui est le nôtre depuis le début du confinement. D’ailleurs, lorsque les médias recommandent une bibliographie de circonstances aux confinés, le genre conseillé est le roman de science fiction ou le livre d’histoire plutôt que l’essai récent…
En cherchant bien, on trouvera Vie et mort des épidémies de Patrice Debré et Jean-Paul Gonzalez édité en 2013 ou encore en 2015 Le petit livre des épidémies de Peter Moore. La prochaine Peste de Serge Morand en 2016 est aussi à recommander. Mais enfin, la littérature sur les épidémies n’est pas abondante.
A l’inverse, le genre romanesque pullule d’ouvrages dont l’histoire se déroule dans un contexte épidémique. En résumé, l’épidémie serait plutôt vécue comme une fiction pour donner des frissons, qu’une menace réelle à anticiper. Si nous étendions nos recherches au nombre de documentaires produits pour la télévision, à comparer avec les séries ou la filmographie abondantes sur le même thème, le constat serait le même. Abondance de fictions, mais peu de documentaires sur la réalité du phénomène pandémique, qui a pourtant frappé si souvent dans l’histoire de nos sociétés !
Avant d’avoir perdu la bataille de la production de masques ou de la mise à disposition de tests, il faut reconnaître que la France a d’abord perdu la bataille culturelle, celle de la connaissance du risque et donc de la possibilité de son irruption dans le monde réel.
Cette explication est partielle. Que le grand public ne soit pas suffisamment informé et préparé à cette menace apparaît comme une évidence. Mais qu’en était-il de la communauté scientifique et d’une manière plus générale des élites politiques et administratives ?
Les hésitations stratégiques, les tâtonnements et la lenteur des réactions des pouvoirs publics aux premiers jours de la crise, laissent à penser que l’impréparation était globale.
Étant donné que nous sommes en plein cœur de la crise et que les jours les plus sombres sont devant nous, je me contenterai de formuler quelques questions sur :
- le rôle, l’utilité et la gouvernance de l’Organisation mondiale de la santé, notamment en matière de veille sanitaire ;
- l’utilité et l’efficacité du plan national de prévention et de lutte « pandémie grippale » mis à jour en 2009 puis en 2011 qui devait permettre la gestion de crise ;
- la difficulté à mettre en place une veille sanitaire puis une organisation de crise, notamment à partir des retours d’expérience de nombreux pays, dont la Chine (zone à risque d’émergence de pandémies).
Comme la recherche du patient zéro, les causes d’une amnésie collective sont rarement évidentes. Gageons qu’à la différence de la pandémie de grippe espagnole des années 1918-19, rapidement tombée dans les oubliettes de notre mémoire collective, celle du Covid-19 marquera durablement nos esprits et nos sociétés. Confronté à ce défi mondialisé, l’humanité devra faire preuve de résilience mais aussi d’une grande humilité, afin de tirer de justes leçons de cette crise majeure.
Alexis Bachelay
Entrepreneur, consultant, ancien Député des Hauts-de-Seine