« Faut des idées! » est la nouvelle rubrique d’entretien politique pour le site de la Revue Politique et Parlementaire, animée par Virginie Martin.
À la veille des élections européennes, la politiste Virginie Martin s’entretient avec l’ensemble des principales têtes de liste. Démocratie, économie, culture : toutes et tous ont répondu sans filtre et très librement à nos questions.
Quand la politique renoue avec les idées… Ce vendredi 17 mai, Nathalie Arthaud, chef de file de la liste Lutte ouvrière pour les élections européennes a bien voulu essuyer les plâtres… Un jour, un entretien.
« Le premier déni démocratique c’est celui de ne pas pouvoir maîtriser sa propre vie », Nathalie Arthaud, tête de liste Lutte ouvrière, Européennes 2019
Virginie Martin : La démocratie, ou en tout cas, l’idéal démocratique semble être fragile/fragilisé. Quelle est votre lecture de ce « supposé » déficit démocratique ?
Nathalie Arthaud : Oui, mais sans doute d’un point de vue bien différent de celui qu’on entend en permanence. Même sur le point de vue de la démocratie que je qualifierais de bourgeoise, on peut voir que la proportionnelle n’existe pas, par exemple, et ça, c’est déjà choquant. Voir que le droit de vote n’est pas encore donné à des femmes et des hommes qui vivent ici et qui travaillent ici depuis des années et des années seulement parce qu’ils n’ont pas la nationalité française, je trouve que c’est choquant.
Pour autant, notre critique est plus profonde que ça. Le constat est que ce qui est essentiel dans nos vies, ce sont: un emploi, un salaire, choisir comment nous allons travailler, comment nous organisons notre temps de travail… les gens n’ont absolument aucune prise dessus. En tout cas, quand on est salarié, quand on appartient au monde du travail, quand on est exploité, c’est très difficile. Et c’est un constat qui est fait par beaucoup de femmes et d’hommes des classes populaires. Ce constat que la vie est de plus en plus dure, que quand on appartient au monde ouvrier, qu’on va de galère en galère, la difficulté pour trouver un emploi, la difficulté des salaires souvent trop bas, le moindre souci qui se rajoute là-dessus devient vite une catastrophe. Et force est de constater qu’on ne peut pas compter sur les pouvoirs publics pour que ça change et je pense que c’est un constat qui est fait majoritairement dans la société.
Finalement on peut voter, on peut changer les majorités parlementaires mais pour nous, exploités, on n’a jamais prise sur notre vie ou notre avenir.
VM : Quand vous dites « exploités », vous en revenez à cet essentiel : Capital versus Travail ?
NA : Pour nous, c’est la frontière essentielle qui existe dans notre société. Je pense que les caissières à Paris partagent mille fois plus de choses avec les caissières d’un grand magasin de Varsovie ou de Milan qu’avec les plus hauts cadres dirigeants, les actionnaires de Carrefour ou Bernard Arnault en l’occurrence.
Pour nous, cette frontière est d’abord et avant tout sociale, c’est une frontière de classe.
Le premier déni démocratique, si je puis dire, c’est celui de ne pas pouvoir maîtriser sa propre vie. Quand on n’a que sa force de travail pour vivre et pas de capitaux, on est forcé de dépendre de celui qui les possède. Et on a ces angoisses de savoir si quelqu’un voudra bien nous proposer un boulot, si on pourra gagner notre vie dans cette société, si on va pouvoir se réaliser… mais très vite, la grande majorité comprend que non.
Je sais que cette phrase d’Emmanuel Macron en réponse au jeune horticulteur a été mille fois commentée, « je traverse la rue et je vous en trouve du travail » c’est aussi une façon de dire : tu as deux bras, tu as deux jambes, tu vas aller bosser et tu prends ce qu’on te donne, ce que tu as envie de faire, ta vocation, tes aspirations, tout ça ne compte pas et tu prends ce qu’il y a.
J’ai trouvé qu’au-delà du mépris, c’était la vérité de cette société de classe qui était là exprimée de façon crue.
Moi, j’en connais des pères et des mères de famille qui disent ça à leur enfant « ça fait des mois que tu cherches, tu as peut-être tes diplômes, mais écoute, on n’a pas le choix ». Et d’une certaine manière ces gens finissent par renoncer. Ce discours reflète la réalité des classes sociales.
Et quand on assiste à des négociations salariales dans les entreprises qui conduisent toujours à 0,2% d’augmentation, quand les actionnaires voient leurs dividendes assurés voire en augmentation conséquente, nous pensons que là, c’est la guerre de classe.
VM : Quand on évoque la « démocratie », dans votre esprit il s’agit tout de suite d’une question d’exploitation économique, c’est celle-ci qui, après, vient ensuite nier la démocratie politique ?
NA : Qui dépossède en tout cas les exploités de tous pouvoirs dans cette société, y compris celui de pouvoir gagner sa vie en travaillant. J’ai souvent eu l’occasion de débattre avec des responsables politiques, que ce soit de La République En Marche, ou d’autres, qui nous expliquent que dans cette société il faut régler les problèmes collectivement, qu’il faut de la bienveillance, mais j’observe qu’il n’y a pas eu de grands débats organisés dans les usines et dans les entreprises. Là, en revanche, c’est tout le contraire, interdiction de faire de la politique, chasse aux tracts, entrave y compris parfois pour les délégués syndicaux d’aller et venir pour discuter… donc il n’y a pas de liberté d’expression et surement pas de codécision. Parce qu’en réalité, il n’y en a qu’un qui commande, qu’un qui décide, c’est le Conseil d’Administration, donc oui effectivement, ce rapport de classes sociales, pour nous, est fondamental dans notre société.
VM : Pourquoi aujourd’hui cette dialectique entre Capital et Travail n’est plus entendue et renvoyée souvent à des caricatures, à un marxisme caricaturé / ringardisé, alors que votre discours devrait, encore plus depuis la financiarisation tous azimuts de l’économie, être au goût du jour ?
NA : Je pense que cette critique-là, cette négation des classes sociales, elle existait dès le départ.
La Révolution Française c’est Liberté, Egalité, Fraternité mais nous, on le redit : c’était une révolution bourgeoise précisément parce qu’elle permettait à une classe bourgeoise de prendre la tête d’une société et de dominer du haut de ses richesses.
A partir de là, toute l’escroquerie a été de faire croire que dans cette société on était égaux, qu’on passait seulement des contrats d’individu à individu et tous ceux qui ont mis le doigt sur cette réalité de classe sociale se sont vus opposés des cris d’orfraie, les premiers marxistes y compris.
Donc, c’est depuis toujours que la bourgeoisie, ceux qui monopolisent les capitaux, cherche à masquer sa domination dans une pseudo société égalitaire.
Une classe ouvrière qui n’existerait plus
Mais il y a eu des périodes où le mouvement ouvrier a eu quelques âges d’or, avec des luttes importantes qui ont même parfois changé la société. Donc effectivement, ces idées-là étaient clairement bien plus présentes et bien plus claires dans les têtes des salariés et des exploités à ces époques. Nous pensons que ces idées sont aussi liées aux luttes que les salariés peuvent mener.
Mais le problème c’est qu’aujourd’hui on entend même qu’il n’y a plus d’ouvriers et que la lutte ouvrière est ringarde. C’est précisément parce qu’il n’y a pas de luttes ouvrières fortes que l’idéologie ne s’impose pas. On ne parle plus d’ouvriers et encore moins d’exploitation et de plus-value parce que ce sont devenus des gros mots, on parle de classe moyenne.
Pour nous, ces idées ce n’est pas un raisonnement, elles partent de l’observation de la réalité et évidemment qu’elles doivent s’imposer y compris dans les consciences des exploités pour qu’ils réalisent la force qu’ils peuvent avoir et qu’ils s’expriment.
J’ai été frappée par les Gilets Jaunes qui, de ce point de vue-là, ont réveillé les consciences et qui ont prouvé qu’il y avait bien deux mondes dans cette société. Ceux qui peuvent mettre des centaines de millions sur la table pour reconstruire Notre Dame de Paris et ceux qui comptent euro après euro, même en ayant un boulot et en ayant travaillé toute une vie.
Cette conscience là, elle a été réveillée par ce mouvement parce qu’ils ont pris la parole, parce qu’ils ont dit qu’ils existaient, sinon effectivement la société les rend invisibles.
Les classes populaires ont intégré l’infériorité dans laquelle on les met
VM : Et que pensez du fait que ce mouvement soit souvent décrédibilisé par ses éventuelles dérives violentes, racistes, homophobes, misogynes ?
NA : La société est faite ainsi, tout est fait pour que les petites gens se sentent rabaissées et incapables de réfléchir… une société où quand on travaille c’est tu obéis sans qu’on te demande ton avis, sans qu’on te fasse participer à la réflexion ou à la décision.
Beaucoup de femmes et d’hommes des classes populaires, je pense, ont intégré l’infériorité dans laquelle on les met. Quand on discute sur les marchés, on entend souvent « je ne fais pas de politique parce que je ne comprends pas, parce que c’est trop compliqué ». Il y a cette pression qui fait qu’on en vient à penser que la politique doit être faite par ceux qui ont fait des grandes études. Les gens qui ont fait l’ENA, ceux qui parlent bien parce parler en public c’est pas évident, ceux qui savent faire des beaux discours… tout ça fait partie d’une pression subie en permanence et c’est un couvercle que l’on peut faire sauter quand, précisément, il y a des mouvements de contestation comme celui des gilets jaunes. Des mouvements où chacun découvre qu’il n’est pas isolé, responsable de ce qu’il lui arrive et que c’est un problème social qui concerne l’ensemble de la société.
Les gens ensemble peuvent se redresser physiquement et moralement
Le fait de pouvoir agir, prendre des initiatives, faire des choses ensemble, de sentir qu’on a un levier sur la société, les gens se transforment, se redressent physiquement et moralement en reprenant confiance dans ce qu’ils sont, dans leur droit, leur légitimité et c’est comme ça qu’ils arrivent à porter leurs revendications. Ce sont ces moments-là qui pour nous sont décisifs.
Le mouvement des gilets jaunes nous conforte dans nos convictions. On en tire beaucoup de leçons mais il n’a pas encore été très profond ou en tout cas pas à l’échelle des luttes ouvrières de masse qu’on a pu connaître et qui ont changé les consciences. Ce n’est pas non plus ce qu’il se jouait ici, mais en tout cas, nous notre conviction est là et la voix que l’on veut suivre c’est celle-ci : la prise de conscience collective au travers de l’action collective. On s’éloigne peut-être un peu de la question de la démocratie, mais je pense qu’il y a aussi dans ces mouvements une forme de démocratie. Je l’appellerai de la démocratie ouvrière et il y a d’ailleurs eu cette volonté assez impressionnante de vouloir décider ensemble au sein des Gilets Jaunes.
Un abstentionniste de classe
VM : Il y a un sociologue qui a beaucoup travaillé sur ce sentiment d’incompétence dans les classes populaires, notamment sur le vote et ça rejoint un autre problème qui vous concerne. On sait que ce sont les inclus, les cadres supérieurs, les insiders… qui votent le plus et que c’est dans les classes populaires qui a le plus d’abstention. Est-ce que finalement ce n’est pas un facteur qui vous pénalise énormément dans une France qui pourrait être plus à « gauche » si tout le monde votait ?
NA : Oui, à ceci près que nous mettons également les partis de gauche dans les partis du système, mais là où je vous rejoins, c’est qu’on en est arrivé à une situation où on a restauré le suffrage censitaire. Il n’est pas inscrit dans la Constitution, mais c’est le cas. C’est aussi le fruit d’un constat que beaucoup font amèrement dans les classes populaires. Celui de voir que l’on peut voter chaque année, tenter toutes les combinaisons qu’on veut, gauche, droite, mais cela ne sert à rien. Alors un certain nombre dit que le seul qu’on a pas tenté c’est l’extrême droite, donc essayons d’aller voir de ce côté-là, mais d’une certaine manière, on se rend compte qu’on ne peut pas changer cette réalité sociale fondamentale que la société est divisée entre exploités d’un côté ,c’est-à-dire les pauvres, et exploiteurs de l’autre, ceux qui possèdent les capitaux. Être riche ou pauvre, ce n’est inscrit dans aucune loi, dans aucune constitution, on ne pourra pas le modifier avec une majorité parlementaire ou une loi. Ce sont des rapports sociaux, des rapports économiques qui sont fondés sur les lois même du capitalisme.
Avec des fortunes comme celle d’Arnault, on a un poids incommensurable qui impacte la société
L’argent va à l’argent, c’est ça la réalité.
Je suis effarée d’entendre que la fortune de Bernard Arnault a augmenté de 10 milliards en un mois ! On va me répondre que ça c’est la spéculation, mais ça veut dire tout de même que son capital a augmenté de 10 milliards.
Et aujourd’hui avec cette puissance là, il est non seulement à la tête d’une fortune considérable, mais surtout il a un poids incommensurable pour prendre des décisions qui engagent l’ensemble de la société.
Et de l’autre côté, je vois mes camarades qui travaillent à Renault Flins, ma voisine qui est femme de ménage, mon voisin colombien qui a une petite entreprise de maçonnerie mais qui tire le diable par la queue. Ce sont des gens qui vont bosser dur et à la fin de leur vie ils ne sont même pas sûrs de pouvoir conserver leur petit appartement au moindre problème de santé ou je ne sais quoi d’autre.
Les élans communistes et socialistes des premières heures sont en ruine aujourd’hui
Le rejet des élections, c’est l’expression de cette réalité. Maintenant nous, nous disons qu’il ne suffit pas de rejeter un système électoral, il faut aussi voir de quoi nous sommes porteurs pour changer la société.
Nous nous battons contre l’abstention, mais sûrement pas dans une logique électoraliste en expliquant qu’il faut voter pour nous pour que demain plus rien ne soit comme avant. Non, mais cependant dire qu’il ne suffit pas de rejeter les partis bourgeois, il faut également combattre pour former le parti des travailleurs. C’était le cas aux premiers moments du Parti Socialiste en France ou pendant les premières années du Parti Communiste. Des partis qui avaient la perspective, non seulement de se battre pour les intérêts matériels des travailleurs, mais aussi pour cet objectif d’émancipation totale, de suppression de cette exploitation, de renversement et d’expropriation de la classe capitaliste, de la propriété collective avec de vraies perspectives communistes.
Mais tout ça est en ruine aujourd’hui, a été démoli par le fait que ces partis ont été aspirés et intégrés finalement à cet ordre. Notre perspective c’est de reconstruire ça et on peut le faire au travers des combats sociaux qui sont pour nous décisifs. Mais beaucoup de combats politiques sont aussi à mener, ne serait-ce que pour mettre des mots sur la réalité de la lutte de classe.
On se souvient de cette histoire de la chemise déchirée à Air France. Je peux vous dire que dans les entreprises, il y avait des vagues d’applaudissement parce que les gens se sentaient vengés. Ils en ont marre de poser des questions et d’être baladés par leur direction, d’être appelés au dialogue social alors qu’ils n’ont prise sur rien.
Notre problème, c’est effectivement que cet instinct de classe, ce ressenti, se transforme en conscience politique susceptible de regrouper les travailleurs dans un parti.
C’est indispensable pour porter des perspectives dans une société qui est dominée socialement, idéologiquement et économiquement par le camp d’en face.
VM : J’ai l’impression qu’il y a aussi cette forme d’intégration de la domination dans le discours ambiant dont vous parliez à l’instant qui permet finalement de faire taire cette classe-là.
NA : Oui, c’est en permanence ce discours de dire qu’il y a toujours eu des inégalités, des pauvres d’un côté et des riches de l’autre, c’est même la nature humaine. Ceux qui sont riches l’ont mérité, ils ont fait des études, toi tu es ouvrier, tu gagnes 1200€ c’est que tu l’as mérité aussi, il fallait davantage travailler à l’école. C’est en permanence bien sûr. Et de manière générale, il y a toujours ce regard porté sur les plus pauvres jugés en permanence. Les chômeurs on les contrôle car ils sont en permanence suspects de vivre au crochet de l’Etat alors que la plupart ne sont pas indemnisés. C’est pareil pour tout. Je suis frappée par la violence des contrôles sociaux pour ceux qui ont le malheur de toucher le RSA mais quand on se permet de dire « pourquoi on ne fait pas de vrai contrôle sur ceux qui brassent et qui recueillent de la part de l’Etat des millions », là c’est un crime de lèse-majesté absolue.
Y compris l’origine de la fortune de Bernard Arnault. Moi je ne comprends pas, je suis entourée de gens qui bossent, il n’y a pas un seul milliardaire, millionnaire ! Eux, ils ont dépassé ce stade-là, Bernard Arnault il en est à 70 milliards. Ils sont peut-être spécialement doués ou je ne sais quoi mais enfin quand on regarde leur histoire on voit que tous ces empires ont quand même étaient battis sur des aides publiques, sur de l’évasion ou de « l’optimisation » fiscale à tel point qu’ils passent leur vie en procès.
Que se passe-t-il avec l’Afrique ? On fait la morale aux deux touristes mais que l’Afrique soit déstabilisée, que ce soit le chaos qui se généralise dans plusieurs régions, là on ne se pose pas la question de savoir pourquoi. Pourtant il y a l’armée française et il semblerait qu’elle était là pour instaurer la démocratie, pour développer le continent. On préfère parler de ces deux touristes mais les populations qui vivent là, on en fait quoi ? Excusez-moi je dévie un peu de la discussion mais c’est un peu la même logique.
VM : Et quel sont, pour vous, les débuts de solutions que l’on peut imaginer dans ce système très verrouillé et très en place ?
NA : C’est précisément ne pas compter sur le système, compter sur ceux dont on a dit tout à l’heure qu’ils étaient les principales victimes : les exploités qui aujourd’hui subissent, encaissent les coups sans trouver le moyen réellement de réagir ou de s’opposer. Nous pensons que les travailleurs – et plus globalement le monde du travail dans les entreprises – sont capables de remettre en cause ces profits, de remettre en cause cette politique de la classe capitaliste.
Les travailleurs portent toute la société, il ne faut pas l’oublier : soins, nourriture, transports, production
Parce qu’encore une fois, nous, notre problème ce n’est pas seulement un meilleur partage des richesses. Nous pensons que la perspective c’est de les gérer collectivement, ces immenses moyens de production. Nous voulons reconstruire un parti qui redonne la fierté de ce que les travailleurs sont, de ce qu’ils font. Il ne faut pas l’oublier, mais ce sont eux qui portent toute la société et résolvent tous les problèmes : les problèmes techniques, les problèmes liés à la production, ce sont eux qui font fonctionner les chemins de fers, qui soignent…
Donc oui, les travailleurs face à la nécessité d’avoir à se battre pour leurs intérêts, pourront engager ce combat contre cette classe capitaliste : lui demander des comptes et accéder à cette conscience qu’ils peuvent mettre leur nez et contrôler les décisions prises. Et nous espérons que, dans une telle situation, avec des pressions collectives, sans doute au travers de grèves, d’occupation d’usines, d’entreprises, de banques et de grandes distributions… les travailleurs seront capables de réaliser qu’en réalité ils peuvent prendre les manettes et gérer les choses collectivement.
Faire les choix fondamentaux de ce que l’on produit, comment, en quelle quantité, pour qui et où ? Avec les usagers, les consommateurs, avec l’aide de la population, les travailleurs peuvent trancher et prendre ces décisions fondamentales.
Notre perspective de communiste est claire depuis toujours, c’est d’exproprier la bourgeoisie de ses grands moyens de production. Nous pensons que ces grands moyens de production ont été édifiés sur le travail de plusieurs générations et devraient être propriété collective depuis fort longtemps. Ces grandes multinationales devraient être gérées collectivement et à l’échelle du monde.
On n’est absolument pas pour le repli national.
Les travailleurs en sont capables et oui c’est vrai pour cela, la bourgeoisie actuelle serait ravalée au rang de tout un chacun.
VM : Finalement est-ce que dans votre discours, toujours dans cette perspective Travail / Capital, vous incluez tous ceux qui n’ont pas le Capital, je veux dire les cadres, les cadres supérieurs qui s’en sortent plutôt bien mais qui n’ont pas de capital ; vous les mettez aussi dans le camp des travailleurs ?
NA : Oui c’est vrai que beaucoup ne s’incluent pas et la question n’est pas vraiment celle de savoir si nous, nous les incluons. La question est de savoir s’ils s’incluront dans un mouvement, une lame de fond populaire. Est-ce qu’ils s’incluront quand ils verront les travailleurs se battre becs et ongles pour prendre le contrôle de leur vie et de leur avenir ?
Moi je l’espère, je le souhaite et je pense que c’est d’ailleurs la force du mouvement.
Echapper à la loi du grand Capital et à l’irresponsabilité de notre société est une illusion
Quand les travailleurs luttent, à la vue des perspectives qu’ils offrent à la société, ils attirent tout le monde, y compris ceux qui pouvaient croire qu’ils arrivaient encore à tirer leur épingle du jeu dans cette société. Mais moi, je ne vais pas m’épuiser à les convaincre que cette société les condamne eux aussi. Si ce n’est pas en les envoyant au chômage ou en les plongeant dans la misère, elle les condamne parce que cette société est porteuse de guerres et de cette catastrophe écologique qui empoisonnera tout le monde qu’on le veuille ou non. Ils croient pouvoir échapper à la loi du grand Capital et à l’irresponsabilité de notre société mais c’est une illusion. Alors bien sûr qu’ils vivent mieux. Ils ne vivent pas la peur au ventre de savoir si leurs enfants pourront faire des études, si demain ils auront de quoi payer leurs factures donc ils n’abordent pas la vie de la même façon.
Mais un certain nombre peut aussi avoir la distance et la hauteur de vue pour réaliser que l’impasse à laquelle nous mène le capitalisme c’est une impasse pour toute la société.
Il n’y a pas un bon capitalisme et un mauvais capitalisme.
VM : Mais vous n’avez pas l’impression que cette critique du capital, de l’ultra-financiarisation du capitalisme aujourd’hui est rentrée dans la tête de quelques-uns ?
NA : Oui c’est vrai, mais le problème c’est que ce n’est qu’une demi-critique. On est en train de nous faire croire qu’il y aurait deux capitalismes : le capitalisme financiarisé et le capitalisme à papa qui était quand même si beau.
Parce que ce vieux capitalisme, il était aussi porteur de colonisation, d’exploitation et l’un a engendré l’autre. Moi je suis assez frappée d’entendre, par exemple, ces débats sur la concurrence déloyale. Parce qu’il y aurait une concurrence loyale ? Franchement les bras m’en tombent, la concurrence c’est la concurrence. Celui qui la subit et qui en est la victime considérera toujours qu’elle est déloyale. Il n’y a pas un bon capitalisme et un mauvais capitalisme. C’est effectivement un discours qui a le mérite de poser le problème du capitalisme, mais en s’arrêtant à mi-chemin.
La dernière fois encore j’écoutais Nicolas Hulot, ce que je fais toujours avec beaucoup d’attention parce qu’il choisit bien ses mots, il disait « il faut revoir tout le système dominant ». Encore une fois, je suis frappée que sur cette question de l’écologie, il n’y en ait pas un seul qui pose la vraie question : est-ce qu’on va laisser cette société dans les mains de cette classe capitaliste qui ne jure que par son profit ? La question me semble assez simple pourtant.
VM : Et il ne peut pas dans ce système y avoir évidement d’écologie dite de droite ? Ce serait totalement impossible pour vous ? C’est un contre-sens ?
NA : Alors de droite, d’écologie capitaliste j’imagine ? Je sais bien que maintenant ils peuvent faire du business en faisant de l’écologie, mais le business c’est le profit et pour le profit, ils iront jusqu’au bout et feront tout et n’importe quoi.
Vous savez je pensais à ce qu’il s’était passé pendant la seconde guerre mondiale. Un certain nombre de familles bourgeoises, qui ne vivaient pas forcément le plus mal, ont subi les conséquences de la guerre de plein fouet. Quand c’est la guerre, quand la société prend ce genre de voie, tout le monde y passe. En Syrie, par exemple, je pense qu’il y avait toute une classe favorisée, privilégiée, qui ne pensait pas être prise dans cette guerre, ces bombardements et avoir à se transformer en réfugiés. Il n’empêche que les calculs sordides entre puissants les a conduits à se retrouver à mettre toute leur vie par terre.
Nous pensons qu’une société ne se reconstruira que sur des bases collectives, en se basant sur cette classe qui est fondamentalement collective justement et qui travaille ensemble. Cette classe sociale là, elle est capable de porter autre chose. Si elle se bat et va loin dans son combat y compris, par exemple, contrôler les conditions que des banques peuvent faire aux petits patrons, aux petits entrepreneurs ou aux commerçants, elle peut en entrainer un certain nombre y compris ces agriculteurs qui aujourd’hui désespèrent. C’est que dans un tas d’évènements puissants, en 36 par exemple, il y avait eu une mobilisation du travail et pas seulement des salariés, mais des producteurs. Parce que c’étaient des perspectives qui étaient ouvertes pour tout le monde et pour transformer la société en profondeur. C’est de ça dont nous sommes convaincus.
Cette classe bourgeoise ne peut même pas manger sans l’aide des travailleurs.
Cette classe bourgeoise, en réalité, elle ne peut même pas manger sans l’aide des travailleurs. Ils ont d’ailleurs souvent besoin de gens de maison pour garder leurs enfants, pour manger, pour se déplacer…
Les travailleurs sont partout, ils ont cette force là de faire tourner l’ensemble de la société et quand ils actionnent cette force collectivement, ils ont le pouvoir d’un tas de choses.
Prenons l’exemple d’un problème insoluble depuis des années et des années : un logement pour tous. C’est quelque chose que les travailleurs sauraient résoudre en quelques semaines. Ne serait-ce qu’en organisant des collectifs qui iraient visiter tous les logements vides, les bureaux vides et puis qui imposeraient la mise à disposition de ces endroits aux populations qui en ont besoin.
Communistes, révolutionnaires et trotskistes
Ils pourraient faire un tas de choses et on est convaincu qu’à partir du moment où ils sont indispensables à la société, ils peuvent effectivement l’orienter dans une autre direction. C’est seulement une question de mobilisation et cette conscience-là, de la capacité d’agir ensemble, peut arriver très vite.
Nous, nous somme communistes, nous sommes révolutionnaires, nous sommes trotskistes. C’est-à-dire que la Commune de Paris est évidement une de nos références mais la Révolution Russe aussi. On pense que cette révolution, elle a fait la preuve que les travailleurs, les paysans, des gens considérés comme incultes et opprimés, ont été capables de prendre les décisions élémentaires pour que les petites gens aient le droit de citer, aient le droit de vivre.
Alors bien sûr que cette révolution elle a été dévoyée par une bureaucratie, mais précisément parce que tous les autres pays n’avaient qu’une idée : d’abattre ce mouvement ouvrier. Mais le peu de mois où il y a eu cette démocratie collective qui agissait d’elle-même, les gens prenaient des initiatives. On pense que ce sont des moments très importants sur lesquels il faut revenir, sur lesquels on a beaucoup de chose à apprendre et là en l’occurrence, ce que ça nous apprend, c’est que les travailleurs ont été capables de faire des choses fantastiques sur le logement, sur la condition des femmes, sur comment on pouvait impulser des cantines collectives, des crèches… tout ça à hauteur des besoins des petites gens. Ils ont réussi à éduquer toute une société mais précisément parce que c’étaient des petites gens qui décidaient et qui le faisaient à hauteur de leurs priorités, les vraies priorités, celles qui comptent pour l’ensemble d’une société.
Mais tout ça a été dévoyé, détourné par la bureaucratie stalinienne que notre mouvement n’a eu de cesse de combattre. Notre mouvement existe du fait de ce combat et c’est la raison pour laquelle on a toujours combattu le Parti Communiste Français. Pour nous ce moment-là est une véritable leçon de ce que les travailleurs sont capables de faire.
Il faut le rappeler la Révolution Russe a arrêté la première Guerre Mondiale, ce que je pense bien des soldats en France dans les tranchées n’auraient même pas osé rêver. Ils l’ont fait, ils ont dit « ça suffit, on ne servira plus de chair à canon » et pour nous, c’est quelque chose de fantastique. Mais le combat est dur, bien sûr.
VM : Que pensez-vous de l’équivalent de passé politique dit « honteux » entre avoir été trotskiste (rappelons-nous de Jospin) et avoir fréquenté l’extrême droite ?
NA : Mais parce que tout le petit jeu a été de faire croire que les extrêmes se ressemblent ! D’ailleurs Hitler, Staline, le communisme, le fascisme, c’est la même chose. C’est le régime autoritaire contre les belles démocraties que nous sommes.
Y compris dans les programmes d’histoire, c’est ainsi qu’elle est apprise.
On mélange allègrement les dictatures du 20ème siècle. Tout ça ce sont des raisonnements mensongers, la réalité de l’Union Soviétique, son origine et celle du fascisme n’ont rien à voir.
Le fascisme s’est développé sur la crise pour sauver l’Etat Bourgeois. La bourgeoisie industrielle allemande s’est appuyée, a parié sur cette dernière possibilité pour sauver son ordre face à une période de révolution ouvrière qui n’en finissait pas. Ça a été le rôle historique du fascisme et du nazisme : de préserver un ordre social ô combien bousculé par cette crise de 1929 qui a complètement fait disparaître l’illusion qu’une petite partie de la bourgeoisie avait celle de croire qu’elle était protégée parce qu’elle avait de l’argent de côté. Mais tout ça s’est effondré. Et sur la base de cet effondrement, la bourgeoisie s’est retournée. Elle pouvait effectivement devenir fachiste et se retourner contre la classe ouvrière mais pouvait également s’allier avec la crise ouvrière.
Ça a été ça l’enjeu finalement de ces années 30 en Allemagne. On n’en n’est pas tout à fait là aujourd’hui et c’est pourquoi, pour nous, Le Pen et le fascisme ce ne sont pas du tout les mêmes réalités. Le fascisme a sauvé le règne de la bourgeoisie au 20èmesiècle.
Quant au stalinisme lui, il s’est installé sur la base d’une révolution ouvrière qui a été épuisé par une guerre civile qui n’en finissait pas, ça n’a rien à voir même si les mécanismes de domination de ces régimes autoritaires avaient des ressemblances, au niveau de l’embrigadement des populations. C’est d’ailleurs à partir de ces ressemblances superficielles qu’on fait l’analogie et au bout du compte on fait croire que les deux étaient porteurs des mêmes projets.
La première escroquerie du capitalisme c’est de faire passer le communisme – qui est un projet de réorganisation économique et sociale de toute la société – pour un régime juridique dictatorial. On ne réduit jamais le capitalisme au fascisme ou à la dictature, pourtant on réduit toujours le communisme au stalinisme et à la dictature. Alors que dans le monde actuel, il y a plus de régimes dictatoriaux que de régimes démocratiques et ils sont tous capitalistes, tous.
VM : Sans transition… on parle peu d’arts et de culture (« cultivée » ou populaire) dans les débats politiques en général. Quel est votre ressenti sur ces questions ? De votre côté, qui vous accompagnent sur vos chemins culturels ?
Dans une élection, il faut quand même essayer de toucher les gens. Ils sont bien obligés, d’une façon ou d’une autre, de parler aux électorats populaires. Le gros des électeurs, c’est quand même l’électorat populaire, donc ils sont tous plus ou moins obligés d’aller sur le terrain des besoins essentiels qui s’expriment.
Je ne dis pas que la culture n’est pas un sujet essentiel, mais le fléau du chômage, la précarité sont des thèmes qui forcément s’imposent en priorité parce qu’ils sont vitaux au premier sens du terme.
Bien sûr, la culture c’est vital aussi d’une certaine manière, mais ça passe à un autre niveau.
Donc oui, toutes les campagnes se passent autour du chômage, du pouvoir d’achat, des entreprises, mais parce que la vie d’une grande majorité tourne autour de ça. Maintenant l’éducation, bien sûr que c’est quelque chose qui préoccupe beaucoup, mais c’est vrai qu’en plus sur les européennes, c’est complètement écrasé par les thématiques d’immigration, d’ouverture ou de fermeture des frontières et la réalité c’est que la culture, même dans les budgets, reste le parent pauvre.
Moi, j’ai découvert à l’occasion de l’incendie de Notre Dame de Paris que le budget du patrimoine était 320 millions quand d’autres réussissent à sortir 300 millions en une journée.
Je suis allée voir la Fondation Louis Vuitton, personnellement je trouve ces constructions fantastiques, ça me fait toujours rêver, je me dis qu’il y a quand même du génie humain, ça me plaît. Après quand on demande combien ça a couté, comment ça s’est fait, c’est black-out total. On ne sait pas mais pour une construction comme ça, on a peut-être dépassé le milliard, avec une défiscalisation délirante.
Ça me captive, je trouve ce bâtiment extrêmement beau quand on analyse l’architecture avec ces voiles qui bougent en fonction de l’orientation du vent, mais tout ça est réservé à une minorité, c’est la réalité aujourd’hui. Moi, ce qui me rend révolutionnaire, c’est de voir que les possibilités de notre société sont gâchées, qu’on pourrait en faire tant de choses et qu’on n’est même pas capable de résoudre des problèmes élémentaires qui pourrissent la vie des gens.
Nathalie Arthaud face caméra