Au douzième jour de l’offensive russe en Ukraine, une troisième session de pourparlers est prévue ce Lundi entre Kiev et Moscou. Dans cet entretien pour la Revue Politique et Parlementaire, Gaël-Georges Moullec, Docteur en histoire contemporaine et chercheur associé à la chaire de géopolitique de la Rennes School of Business, dresse un bilan de la situation entre blocus, négociations, désinformation et campagne présidentielle.
Revue Politique et Parlementaire – Alors que Moscou avait annoncé l’instauration de couloirs humanitaires et de cessez-le-feu afin d’évacuer les civils, Marioupol est actuellement sous blocus : il n’y a pas de corridor humanitaire car le couvre-feu n’est pas respecté. Quelle est l’importance de la ville portuaire pour la Russie ?
Gaël-Georges Moullec – Les troupes ukrainiennes présentes dans la ville de Marioupol sont principalement constituées par les hommes de la force paramilitaire nationaliste « Azov ». Les troupes russes, à la demande des autorités officielles ukrainiennes, ont annoncé un couvre-feu hier matin pour permettre le départ des civils de la ville. Toutefois les troupes paramilitaires, pour qui le gouvernement ukrainien n’est pas une autorité, n’ont pas autorisé les civils à sortir de la ville et ont utilisé cette période de calme pour opérer une réorganisation de leurs forces. Face à cet état de fait, les troupes russes ont repris le combat hier en fin de journée.
Marioupol est un port d’une importance stratégique pour la Russie, car sa prise permettrait à la Russie de fermer l’accès de l’Ukraine à la Mer d’Azov.
Toutefois, l’intérêt des Russes n’est pas de multiplier les pertes civiles, en premier lieu, face à l’opinion publique internationale. En second lieu, ils pourraient avoir rapidement à administrer ces territoires et ne peuvent se permettre d’avoir totalement à dos la population civile, principalement d’origine russe. Cette même population avait pris fait et cause en 2014 pour les indépendantistes du Donbass, mais – du fait de l’arrêt de leur offensive – avait été confrontée aux violences commises par les bataillons paramilitaires ukrainiens qui ont épuré la ville à leur retour.
RPP – Les combats autour de Kiev s’intensifient, combien de temps la capitale peut-elle tenir ?
Gaël-Georges Moullec – L’important est de savoir quelles sont les troupes présentes dans Kiev. Si ce sont les troupes régulières du ministère ukrainien de la Défense, les choses pourront aller vite et la réédition se déroulera selon les règles de la guerre. Tout le monde y trouverait son intérêt. Par contre, si la ville est en partie ou en totalité tenue par les milices et les unités paramilitaires nationalistes, les choses risquent de prendre un tour catastrophique avec d’importantes pertes civiles. Ce sont des jusqu’au-boutistes qui ne ménageront jamais la vie des civils.
RPP – Une troisième session de négociations est prévue ce Lundi : sur quoi portent-elles ? Qui parle avec qui ? Que peuvent-ils obtenir ? La voie diplomatique est-elle possible ?
Gaël-Georges Moullec – Les négociateurs russes sont dirigées par Vladimir Medinsky, historien, ancien ministre de la Culture, né en Ukraine au temps de l’Union soviétique. Il est accompagné par des représentants de haut niveau du ministère de la Défense et des Affaires étrangères. Pour la partie ukrainienne, les choses sont plus complexes et la délégation change régulièrement de composition. Notons que l’un des participants à la première rencontre, Denis Kireev a été simplement abattu hier par les hommes du Service de sécurité ukrainien (SBU) qui le soupçonnaient de travailler pour la Russie. Le but annoncé de ces négociations est de parvenir à un accord de cessez-le-feu.
Cependant, il me semble que malheureusement aucune des parties n’a intérêt aujourd’hui à une telle solution. Le gouvernement ukrainien tout d’abord, car plus la guerre fera de victimes et plus l’image internationale de la Russie sera ternie, peut-être même au point de déclencher une réaction encore plus forte des Occidentaux.
Les Russes aussi n’y ont pas non plus intérêt. Pourquoi couper les jarrets de ses propres troupes quand la solution militaire tant espérée est sur le point de se réaliser ? La leçon de 2014 – quand l’élan des troupes du Donbass a été coupé par un cessez-le-feu inopiné – a certainement été retenue. Toutefois, ces négociations ne sont pas inutiles, elles constituent un galop d’essai qui permettra de gagner du temps dès que les deux parties seront mûres pour un accord, si accord il doit y avoir.
RPP – Peut-on contrer la désinformation russe alors que Vladimir Poutine verrouille le pays ?
Gaël-Georges Moullec – Là encore, les impressions sont trompeuses. En fait, s’il est vrai que le pouvoir russe ferme les canaux officiels de contestation, comme par exemple la radio Echos de Moscou ou la chaine télévisée Dozhd’, tout comme certains médias électroniques comme Facebook, il n’en reste pas moins qu’une importante partie de l’intelligentsia et du monde du spectacle fait connaître sa position anti-guerre et quitte massivement le pays en toute liberté, sous prétexte de vacances scolaires.
Etonnement, on doit constater que de notre côté, ce sont non seulement des médias russes tels Zvezda, RT, Spoutnik et Lenta.Ru dont l’accès est impossible, mais aussi les sites gouvernementaux. Ainsi, le site du Kremlin (kremlin.ru) ou celui du ministère russe de la Défense (mil.ru) – des sources clairement référencées et dont la critique pouvait être faite – sont désormais inaccessibles. A l’inverse, cela n’est pas le cas des informations parvenant de n’importe où et que nombre de nos confrères prennent pour argent comptant.
Il y a une guerre et le bourrage de crâne n’est pas la prérogative d’une seule des deux parties.
RPP – Dans ce contexte, le Président de la République peut-il mener sa campagne et gérer la guerre en Ukraine en même temps ?
Gaël-Georges Moullec – Pensez-vous réellement que le Président « gère » la guerre en Ukraine !? Nous dirons plutôt qu’il tente de répondre tant bien que mal à une situation mouvante sur laquelle il n’a aucune prise réelle. S’il avait voulu influer sur le cours de l’Histoire, il aurait pu le faire depuis 2017, avec les Allemands, en réglant la question du Donbass dans le cadre des accords de Minsk et du format Normandie. Il aurait pu aussi influer, avec les Européens, pour lancer l’exploitation du gazoduc Nord-Stream 2 et ainsi garantir l’approvisionnement de l’Europe en gaz à des prix raisonnables et en dehors des aléas de la position ukrainienne quant au transit par son territoire. Certes, il est vrai que la situation actuelle lui prend du temps, mais cela a aussi l’avantage de lui permettre de ne pas avoir à répondre aux questions des électeurs et de ne pas avoir à conduire une réelle campagne électorale en affrontant les autres compétiteurs. Aujourd’hui, il tente d’obtenir une reconduction tacite de son contrat en utilisant la situation internationale, et cela après avoir pris prétexte de la crise du Covid, dont d’ailleurs on n’entend plus parler.
Gaël-Georges Moullec, Docteur en histoire contemporaine, chercheur associé à la chaire de géopolitique de la Rennes School of Business
Propos recueillis par Arnaud Benedetti