La loi contre la promotion de l’homosexualité votée au Parlement hongrois a engendré de vives réactions en Europe. Après l’Euro et des manifestations de soutien à la communauté LGBT, c’est au tour de l’Union Européenne de marquer son opposition à cette loi.
« La pornographie et les contenus qui représentent la sexualité ou promeuvent la déviation de l’identité de genre, le changement de sexe et l’homosexualité ne doivent pas être accessibles aux moins de 18 ans ».
Voici le texte de l’amendement proposé par les députés du parti Fidesz, dirigé par Victor Orban, et approuvé par le Parlement hongrois. Il vient compléter une loi visant à protéger les mineurs de la pédocriminalité. Ce changement de ton a occasionné depuis la semaine dernière une levée de boucliers des associations LGBT et de larges protestations à travers l’Europe de l’Ouest.
Ainsi, le maire de Munich, Dieter Reiter (SPD), a demandé à l’UEFA l’autorisation d’illuminer aux couleurs de l’arc-en-ciel le stade Allianz Arena à l’occasion du match Allemagne-Hongrie de l’Euro 2020 mercredi dernier. L’association a refusé, arguant que l’Euro, en tant que compétition sportive, se devait de garder une « neutralité politique ». Pour autant, l’ensemble de la classe politique allemande a dénoncé cette loi, et l’on a même vu les supporters de l’Allemagne arborer fièrement des fanions arc-en-ciel lors du match.
La réplique européenne
Dix-sept nations d’Europe occidentale et du Nord (France, Espagne, Italie, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg, Autriche, Danemark, Suède…) ont emboîté le pas à l’Allemagne, et ont demandé à la Commission Européenne d’engager des procédures à l’encontre de la Hongrie. Lors du Sommet de l’UE à Bruxelles les 24 et 25 juin, le Premier Ministre hongrois a été pris à parti par ses homologues européens. Angela Merkel a parlé d’une « discussion […] très, très franche ».
Derrière cet euphémisme, l’on devine l’ampleur du combat culturel en train de se jouer entre Bruxelles et Budapest.
La première se conçoit comme une communauté de valeurs libérales, tandis que la seconde entend affirmer sa souveraineté, sans pour autant totalement rejeter cette communauté de valeurs. En effet, Victor Orban a fait valoir que cette loi ne visait en aucun cas les homosexuels mais à protéger les enfants. Cette posture a d’ailleurs de quoi étonner : l’on a connu le Premier Ministre plus virulent à l’égard de ce qu’il considérait comme des ingérences bruxelloises.
En face de lui, son homologue néerlandais, Mark Rutte, excédé, estime que la Hongrie « n’[a] plus rien à faire dans l’UE », et a enjoint Victor Orban à activer l’article 50 du traité pour sortir de l’Union. De même, Alexander De Croo, le Premier Ministre belge, aurait asséné lors du Sommet : « Être homosexuel n’est pas un choix, mais être homophobe l’est ». L’on peut citer le chef du gouvernement suédois Stefan Löfven à propos de la dépendance financière de la Hongrie à l’UE : « Mes citoyens n’ont pas envie d’envoyer de l’argent à un pays » qui fait passer de telles lois. Notre président Emmanuel Macron a quant à lui rappelé que « l’Europe est un projet d’abord politique ». Enfin, le premier ministre luxembourgeois Xavier Bettel -lui-même homosexuel- de déclarer : « être intolérant est un choix, et je resterai intolérant face à l’intolérance ».
De possibles sanctions
Les vents semblent donc contraires pour la Hongrie, qui doit faire face à une opposition ferme et quasi-unanime des Européens à cette loi. Toutefois, des sanctions à l’échelle de l’UE semblent difficiles à envisager, le soutien de la Pologne à la Hongrie bloquant les principales voies judiciaires et politiques. En revanche, en plus de sanctions unilatérales des pays européens à l’égard de la Hongrie, un règlement en date du 16 décembre 2020 pourrait permettre que des sanctions soient prises avec une simple majorité qualifiée. Ainsi, la Hongrie verrait sa part dans le budget européen réduite.
La particularité de ce texte est qu’il donne à Bruxelles des moyens effectifs de sanctionner ses Etats-membres, et donc lui confère un pouvoir important.
Se pose donc la question du fragile équilibre entre souveraineté des Etats et « souveraineté européenne » ainsi que la nomme Emmanuel Macron. Au-delà du cas hongrois, on peut s’interroger sur les risques d’uniformisation des Etats européens. L’article 2 du Traité fait en effet valoir le « pluralisme » comme un des principes fondateurs de l’Union : cependant, le règlement de 2020 risque à l’avenir de forcer le consensus au sein de l’Union, et probablement au grand dam des pays d’Europe Centrale, dont la culture post-soviétique souvent qualifiée d’« illibérale » tranche avec leurs voisins occidentaux.
Libéralisme contre illibéralisme
Les multiples coups de semonce de ces-derniers à l’encontre de la loi portée par Fidesz mettent un fait en lumière : l’Europe prend aujourd’hui un tour assurément libéral, et même libéralisant. Le libéralisme en deviendrait presque une religion prosélyte dont l’Union Européenne est la principale ambassadrice. L’Union Européenne est un espace normatif, ce n’est pas un fait nouveau. Mais jusqu’à présent, les normes étaient essentiellement économiques, et visaient à l’instauration d’un marché commun.
Cependant, ainsi que l’écrit Jean-Claude Michéa, le libéralisme repose sur deux piliers : le Marché et la Culture. Retirez l’un ou l’autre, et vous perdez le libéralisme. Il est donc parfaitement naturel que les chefs de gouvernement s’insurgent contre ce qu’ils perçoivent comme une entrave à la liberté, et Alexander De Croo a raison d’affirmer que « percevoir l’Europe comme une manne financière, mais en refuser les valeurs n’est pas acceptable ». L’UE, en tant qu’espace investi par les libéraux, ne peut souffrir en son sein la contradiction venue de Pologne et de Hongrie.
Ce conflit politique interne à l’Union est en gestation depuis l’élargissement de 2004, mais s’est amplifié avec l’arrivée d’Orban au pouvoir en 2010. Ce-dernier met en place une diplomatie distincte de l’UE, et parfois même contradictoire, notamment dans son rapprochement avec la Russie. Il met en avant des valeurs chrétiennes qui détonnent avec le reste de l’Union. Il joue avec les institutions de son pays pour se maintenir au pouvoir. De là cette opposition -qui prend la forme d’un combat de David contre Goliath- avec l’Union Européenne.
La question de cette loi contre la promotion de l’homosexualité révèle donc cette animosité jusqu’à présent contenue entre les démocraties « illibérales » et les libérales. Bien plus, cette actualité semble être un premier signal dans ce conflit larvé, qui pourrait basculer en guerre culturelle ouverte.
Nathan Le Guay