« Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! » – Denis Kessler, vice-président du MEDEF, dans la revue Challenge le 4 octobre 2007, dans l’enthousiasme de l’élection de Nicolas Sarkozy…
Le régime républicain a été défini d’une manière limpide et lapidaire par la première phrase de l’article premier de la Constitution de 1946, reprise à l’identique et à la même place séminale dans la Constitution de 1958 sous laquelle nous vivons – peut-être devrions-nous dire sous laquelle nous vivions : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ».
La page blanche qui s’offrait à nos prédécesseurs après le naufrage de 1940, les années collaborationnistes et la victoire de 1945, leur a permis de reconstruire le pays et de mettre en adéquation le réel avec ce qui n’aurait pu être qu’un vœu pieux.
C’est ainsi qu’ayant défini ce qu’étaient la France et la République, ils se sont attachés à la faire vivre. Les actes accomplis entre 1944 et 1973 le démontrent.
Pourquoi ces deux dates ? Le 15 mars 1944 est la date de la publication du programme humaniste et profondément républicain du Conseil national de la Résistance, connu sous son titre Les jours heureux. 1973 est celle du premier choc pétrolier et de l’émergence sans fard de la pensée néolibérale et conservatrice qui va conquérir le monde et s’acharner à démanteler tous les acquis économiques, sociaux et culturels de l’après-guerre au profit d’un capitalisme financier et, en Europe, d’un gouvernement des experts acquis au néolibéralisme, dont la domination idéologique est aujourd’hui telle que la remettre en cause vous fait passer au mieux pour un doux rêveur, au pire pour un fou dangereux bon à enfermer.
Les progrès humains réalisés par « les jours heureux » ont fait de la France un pays admiré du monde entier pour la revendication d’égalité et d’indifférenciation de ses citoyens, la qualité de son enseignement primaire et secondaire, l’excellence de son université et de ses grandes écoles, le niveau exceptionnel de sa médecine de ville et de sa médecine hospitalière, l’efficacité de ses services publics, l’extraordinaire développement de ses industries de pointe et de haute technologie et la solidité de son agriculture, capable de nourrir toute sa population et d’exporter des millions de tonnes de blé et d’autres produits, dans le cadre d’un capitalisme planifié et régulé par un État puissant et respecté.
Certes dès l’après-guerre, et même dès 1938, les tenants d’un capitalisme magique ou la main invisible du marché et le ruissellement étaient les deux mamelles de la richesse des nations, de Maurice Allais aux démocrates chrétiens qui fondèrent l’Europe, se désespéraient du malheur des actionnaires et des insupportables prélèvements sociaux qui venaient priver ces bienfaiteurs de l’argent durement gagné à la sueur du front des autres, reprochant au modèle français de contribuer au bonheur commun malgré son hétérodoxie capitaliste. Mais ce modèle était bénéfique à l’immense majorité de la population, aux cadres comme aux ouvriers, aux commerçants comme aux salariés.
La République laïque et universaliste reconstruite à partir de 1945, sur le brouillon inachevé de la Troisième République et du Front populaire, n’était pas qu’une idée ou qu’un idéal, elle s’était inscrite dans la vie du peuple français souvent pour le meilleur et en tout cas dans une dynamique d’amélioration de la situation de tous et donc de l’émancipation de chacun.
La République, ce n’était pas qu’une phrase de la Constitution, c’était du réel.
L’une des meilleures écoles du monde, assurant à ceux qui étaient prêts à relever le défi une ascension sociale en quelques générations ; un système de soins qui jusqu’à aujourd’hui a permis aux Français d’être parmi les peuples dont les citoyens ont la plus longue durée de vie et d’être globalement en bonne santé ; une planification efficace qui animait une recherche fondamentale de très haut niveau et une industrie de premier plan (aéronautique, spatiale, nucléaire, pharmaceutique, etc.) ; une agriculture puissante et diversifiée assurant l’indépendance alimentaire du pays ; une modération des salaires patronaux, une fiscalité de l’héritage et un prélèvement sur les dividendes qui empêchaient la constitution d’une caste d’ultra-riches dominant une société dans laquelle les pauvres le resteraient pour des siècles, et dans lesquelles les classes moyennes connaîtraient une baisse tendancielle inéluctable de leurs conditions de vie ; des services publics assurant l’égalité de tous les citoyens sans distinction ethno-religieuse sur un territoire très maillé par l’organisation départementale.
La République indivisible, laïque, démocratique et sociale, c’était cela et pas seulement les envolées lyriques de responsables politiques et d’élus qui, la main sur le cœur, sont capables de faire rédiger par leurs plumes de magnifiques discours, en particulier lorsque des épisodes sanglants viennent traumatiser le peuple français, mais qui, le reste du temps, sont très attentifs à cacher à leur main gauche – celle du cœur et de la République – ce que leur main droite – celle du capitalisme financier ultra et de la norme consumériste – fait à leur modèle politique, économique, social et culturel.
Aujourd’hui les preuves de République que sont l’égalité des citoyens, la laïcité, les services publics, l’instruction publique, l’Université, la santé publique, l’agriculture et l’industrie françaises, sont à la renverse, tout comme la fonction publique, qui en est le garant et le moteur, dans un pays qui s’est fait par l’État. Point n’est besoin d’égrener la litanie de toutes les régressions qui touchent notre pays dans ces domaines, tout le monde les connaît.
Certes, depuis 1973, depuis que l’entreprise reagano-thatchérienne appuyée sur les illuminés de l’école économique de Chicago, a emporté dans sa contre-révolution les new deals favorables aux peuples qui s’étaient mis en place depuis les années 1930 jusqu’à l’après-guerre, le monde a changé. Il nous serait impossible – et ce ne serait d’ailleurs pas souhaitable, car la nostalgie et le passéisme n’ont jamais produit autre chose que des politiques réactionnaires – de revenir à cet équilibre instable qui s’est instauré pendant trente ans, ces fameuses « Trente glorieuses ». Il est d’ailleurs amusant de noter que tous les bons élèves de la doxa néo-libérale s’acharnent à démontrer, sans grand succès d’ailleurs, que ces années n’étaient pas si heureuses que cela – il ne faudrait pas, n’est-ce pas, donner de mauvaises idées au peuple…
Mais si l’on mesure le succès de la politique à l’aune du progrès humain et de l’amélioration des conditions de vie matérielles, morales, intellectuelles et sociales d’un peuple, alors on ne peut que constater l’échec des politiques mises en œuvre depuis le septennat de Valéry Giscard d’Estaing. Il n’est d’ailleurs pas indifférent que cette borne dans l’histoire de notre pays soit marquée de l’empreinte de l’orléanisme, cette éthique économiciste de la trahison qui marque depuis, sans discontinuer, les politiques françaises, qu’elles se proclament de gauche ou de droite. Cet échec patent, indiscutable, cet effondrement que nous sommes en train de vivre, incrédules, n’est pourtant pas inéluctable. Mais le combattre avec les armes du 21ème siècle pour imaginer et mettre en œuvre de nouveaux « jours heureux » exige que nos dirigeants se relèvent de leur capitulation en rase campagne devant les exigences du capitalisme ultra, de son corollaire, le communautarisme ethno-religieux et de la forme spécifique qu’ont pris ces idéologies dans l’Union européenne, le gouvernement par la norme et la confiscation progressive des processus démocratiques.
On ne peut sortir de la double impasse des fondamentalismes religieux et marchands que si l’on croit possible et souhaitable un autre destin pour le peuple français.
Ce n’est pas le douteux emprunt des initiales du CNR par un président bernard-l’hermite – qui a même nommé son mouvement de ses propres initiales – pour baptiser un incertain Conseil national de la Refondation destiné à faire valider par une assemblée non démocratiquement élue, en contradiction frontale avec l’article 3 de la DDHC, les mesures systématiques de démantèlement du programme du Conseil national de Résistance, qui va nous égarer.
Les Français ont su plus souvent qu’à leur tour faire preuve de l’imagination politique et culturelle qui a aidé le monde à se fixer de nouveaux horizons. Il est temps que nous réfléchissions de nouveau ensemble, en nous appuyant sur la seule instance véritablement démocratique de ce pays, le Parlement, pour construire le programme d’un Conseil national de la Résistance pour le 21ème siècle, fondé sur un idéal qui reste le seul salut pour l’humanité, la fraternité universelle. Commençons ici en France parce que nous avons déjà su comment faire et que nous saurons le refaire, et maintenant en 2022 parce qu’il sera bientôt trop tard. Il n’y a pas de République rêvée, il y a des preuves de République. A nous de nous les apporter, de nous les administrer.
Jean-Pierre Sakoun
Président,
Unité Laïque
P.U.R.I.L.D.E.S. 1
- Pour une République indivisible, laïque, démocratique et sociale, Les nouveaux jours heureux. ↩