Dans son article, Hugues Clepkens met en lumière la défaillance de l’État français à honorer ses obligations financières vis-à-vis des collectivités, notamment en ce qui concerne les loyers impayés à la Gendarmerie. L’auteur tire un parallèle inquiétant avec la situation de certains pays d’Afrique et appelle à une réforme institutionnelle urgente pour éviter un effondrement des institutions publiques.
Des communes viennent d’être informées par la Gendarmerie nationale, qu’elle n’est pas en mesure de payer tous les loyers qu’elle leur doit. Selon le courrier qu’elles ont reçu récemment, « l’engagement opérationnel, notamment pour assurer la sécurité des jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 et pour rétablir l’ordre en Nouvelle-Calédonie, [qui] a fortement impacté la programmation budgétaire de la gendarmerie ». Résultat, « une ardoise d’environ 200 millions d’euros », selon le ministère de l’Intérieur, car la défaillance de l’État ne date pas de cette année. Ainsi, à Cabestany (Pyrénées-Orientales), « le montant impayé s’élève à 48.812 euros pour ce trimestre, mais il se cumule avec un arriéré de l’an dernier qui s’élève à 263.388 euros.1»
Pour ceux qui doutaient que le quoiqu’il en coûte permettrait aussi, de faire face aux dépenses dispendieuses dues aux JO, voilà un début de confirmation des plus symboliques. Que l’État soit défaillant, comme un vulgaire locataire impécunieux, au titre de l’une de ses plus importantes et nécessaires fonctions – la sûreté publique – devrait tous nous alerter sur l’imminence du danger qui menace les institutions du pays. Une telle attitude à l’encontre des collectivités était jusqu’à maintenant, le propre de certains pays d’Afrique noire dont les gouvernements confondaient allègrement la caisse de l’État et celles des communes.
Que la France en soit arrivée à ce point-là de dégradation de ses finances prouve qu’il est temps de s’engager dans la voie d’une réforme institutionnelle majeure.
Hélas, la faiblesse de la réflexion politique actuelle, du fait notamment d’une perte de sens due à la méconnaissance des fondamentaux de la part, tant des acteurs politiques que des médias qui s’en font l’écho, laisse penser que les conditions ne sont pas réunies pour permettre de s’atteler à cette tâche d’intérêt national. Il n’est qu’à voir comment des journalistes peu soucieux de vérifier les informations qu’ils transmettent, rapportent au public la situation des finances locales. Pour certains, il est temps que l’État réduise ses « aides » aux collectivités, grâce à une réforme de la Dotation globale de fonctionnement (DGF) et du Fonds de compensation de la TVA (FCTVA) ; ceux-là ne faisant d’ailleurs que prendre pour argent comptant (sic) les assertions parsemées dans les rapports publics sur ces questions. Ils omettent pourtant l’essentiel, à savoir que la DGF, depuis le début des années ‘70, est constituée d’une multitude de rubriques lesquelles, pour la plupart, compensent des recettes locales supprimées ou sont des charges liées aux services publics rendus par les collectivités, pour le compte de l’État ; pour ce qui concerne le FCTVA, c’est simplement le remboursement de l’impôt national payé par ces mêmes collectivités lorsqu’elles réalisent des dépenses d’investissement. Au demeurant, si les entreprises peuvent compter sur la récupération de la TVA sur la plupart de leurs dépenses, il n’en va pas de même pour les collectivités qui ne perçoivent pas celle payée au titre de leur fonctionnement. Considérer que la compensation de la TVA déboursée pour les investissements locaux est une « aide » de l’État, revient à penser qu’il serait justifié que celui-ci perçoive un impôt sur la construction des écoles, des stades et des routes communales et départementales, etc !
Une telle confusion des esprits, entretenue plus ou moins volontairement au plan national, ne fait qu’aggraver la perception des enjeux politiques fondamentaux, alors que l’Assemblée nationale offre quotidiennement, le spectacle d’une lutte pour le pouvoir, aveugle et stérile, sans vision d’ensemble à long terme. La prégnance de la crise des finances publiques en général et des locales, en particulier, a atteint un degré tel qu’il est certes impératif d’y remédier, à condition de poser correctement le problème. Il ne s’agit pas d’une banale affaire de répartition de charges et de ressources, car ce serait alors continuer à confondre « l’architecture et l’épicerie 2», comme on l’a fait depuis des décennies à propos de l’organisation territoriale du pays. Certes, on erre dans le brouillard depuis si longtemps qu’on ne sait plus où l’on est ni où l’on va. On confond la cause et la conséquence parce qu’on fait fi des principes les plus élémentaires selon lesquels, si nous prétendons encore vivre en liberté au sein d’une Europe souveraine face aux forces économiques apatrides et aux puissances menaçantes, il faut que les institutions publiques nationales et locales soient légitimées par une adhésion forte du peuple, c’est-à-dire de toute la population et non pas d’une fraction plus ou moins bien informée et intentionnée. Or, à l’évidence, ce n’est plus le cas et toutes les arguties développées par les partisans de l’immobilisme mortifère n’y changeront rien. La gravité de la situation au plan politique, financier et surtout, sociétal, est telle qu’on a le choix entre deux attitudes, comme face à un immeuble menaçant ruine : soit on attend que l’édifice s’effondre de manière aléatoire sans en contrôler les effets collatéraux, soit on agit vite et fort, pour finir par reconstruire le bâtiment sur des bases saines ; et dans ce cas-là seulement, on évitera les dégâts involontaires les plus dangereux pour le voisinage. Dans de telles circonstances, le temps n’est plus un allié, mais le plus redoutable des adversaires et le vrai courage politique ne consiste pas à plonger sa tête dans le sable, mais à faire face aux difficultés sans espérer ni même chercher à en tirer un avantage pour soi-même.
Prétendre que la complexité de la société contemporaine empêche de concevoir une organisation territoriale rénovée revient à déployer un rideau de fumée pour dissimuler sa lâcheté face aux enjeux en cause. Car c’est au contraire quand la solution semble la moins réalisable, qu’il faut la concevoir avec détermination selon de simples principes clairs. Cela requiert une lucidité, un courage et un désintéressement qui ne sont certes pas l’apanage d’un grand nombre de ceux qui ont à prendre ces décisions-là. Pourtant, s’ils consentaient à oublier leurs ambitions personnelles et leurs querelles de cour d’école ; s’ils ne s’attachaient plus qu’à servir l’intérêt général, sans l’utiliser comme faire valoir de leurs combinaisons de couloir ; alors, ils pourraient s’engager résolument dans l’élaboration de cette indispensable réforme territoriale et les aspects financiers en redeviendraient ce qu’ils n’auraient pas dû cesser d’être : des conséquences et non des causes.
Hugues CLEPKENS
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- Le Figaro, 8 octobre 2024 ↩