Suite aux propos d’Emmanuel Macron sur l’immigration qui, d’ores et déjà, divisent au sein de la majorité, Laurence Taillade, Présidente de Forces Laïques, analyse la situation pour la Revue Politique et Parlementaire.
Emmanuel Macron semble sortir d’un très long coma et vouloir s’engager en direction de la préoccupation première des Français, l’immigration. Poser les termes du débat ne suffira pas. Il va lui falloir affronter l’aile gauche de son parti, qui hystérise le dossier, comme à chaque fois qu’il se retrouve sur la table.
Avec 10 % de sa population immigrée (6,17 millions, selon les chiffres officiels), comprenant Français par acquisition nés hors de France (2,41 millions) et étrangers nés hors de France (3,76 millions), il est compréhensible que l’immigration inquiète les Français qui sont 63 % à penser qu’il y a « trop d’étrangers » en France1. Ils estiment, par ailleurs, que ces immigrés « ne font pas d’effort pour s’intégrer ».
Le Président, à quelques mois des élections municipales, ne peut faire l’économie d’un échange, même à pas feutrés, sur la question qui mérite une réflexion de fond, en deux temps.
L’immigration légale est en hausse, par le biais de l’augmentation massive (+22,7 %) des demandes d’asile (123.625 l’an dernier, avec une très faible proportion d’attributions : 33.330), des entrées d’étudiants (+3,4 %, ce qui représente en nombre 83 082 personnes) et le maintien d’un rythme important d’attribution de titres de séjour concernent le regroupement familial (90.074 en 2018).
Au total, en 2018, ce sont 255.956 primo titres de séjour, les premiers pays d’origine étant le Maroc, l’Algérie, la Tunisie, le Sénégal2.
Cette immigration ne devrait pas poser de problème, dès lors que l’objectif d’être en commun est compris et respecté, ce qui inclut des droits et des devoirs identiques pour tous. Un devoir fondamental étant le respect de nos valeurs et de nos lois ainsi que l’adhésion au projet commun de civilisation qui définit notre Nation et dont les maîtres mots sont gravés aux frontons de nos mairies : Liberté, Egalité, Fraternité, dont on ne peut dissocier la Laïcité, principe inscrit dans la Constitution Française.
On comprend bien que l’équilibre est fragile et, donc, précieux. Il ne peut se maintenir sans véritable fermeté concernant l’immigration irrégulière.
Or, en juillet 2018, les députés François Cornut-Gentille (LR) et Rodrigue Kokouendo (LaREM), présentaient un rapport parlementaire dans lequel ils estimaient que, pour le seul département de la Seine-Saint-Denis, les « personnes en situation irrégulière seraient entre 150.000, 250.000 voire 400.000 », soit entre 8 et 20 % de la population. Des chiffres équivalents, selon les élus, à la population d’un département comme l’Ariège (152.000 habitants), le Jura (259.000 habitants), voire les Landes (411.000).
Selon les évaluations, il serait probable que nous ayons entre 300.000 et 400.000 clandestins sur le territoire national.
En 2018, seulement 30.276 sorties du territoire de ces illégaux ont eu lieu, dont 15.677 éloignements forcés, 7.754 éloignements et départs spontanés et 6.845 éloignements et départs aidés. Proportionnellement aux chiffres totaux de personnes entrées illégalement en France, c’est bien peu.
D’autant que, chaque année, il y en a entre 75.000 et 90.000 OQTF3 prononcées dont une faible part fait l’objet de mesures effectives (26.000 reconduites forcées en 2018, ce qui représente 20 à 30 % des clandestins repérés). Il faut dire que le budget qui y était consacré avait baissé de 7 %, ce qui donne une idée des priorités de ce même gouvernement, l’an dernier.
Pourtant, c’est bien cette branche-là de l’immigration qui devrait être la cible de nos préoccupations les plus urgentes, car source de traite humaine.
En effet, le marché juteux de l’exploitation de la misère est monstrueux. Ce marché, estimé à 5 à 6 milliards de dollars en 2015, fait le bonheur des passeurs, des employeurs peu scrupuleux, des marchands de sommeil et du trafic d’êtres humains.
En 2018, selon les chiffres de la police aux frontières, ce sont 321 filières qui ont été démantelées. Le problème étant leur grande capacité à la réadaptation et leur grande connexité avec les réseaux du banditisme, prostitution, petite et grande délinquance. Ainsi, l’hydre semble ne jamais devoir mourir.
Les personnes qui entrent dans ce système, souvent désespérées dans leurs pays d’origine, sont prises au piège par des esclavagistes modernes. Obligées d’entrer dans le cercle vicieux de la dépendance à leurs bourreaux qui les rendent auteures d’actes délictueux.
Ces migrants, qui viennent chercher les moyens de vivre dignement, se trouvent dans des situations dangereuses, dégradantes, humiliantes.
La France, pays des Droits de l’Homme ne peut tolérer que, sur son sol, se déroulent des scènes dignes des Misérables.
Le système doit, effectivement, changer radicalement.
Il nous faut penser au bien de ceux qui quittent leur pays. On ne se déracine pas avec bonheur. L’urgence est de trouver des solutions de maintien dans les pays d’origine en s’assurant que l’aide au développement ne soit pas détournée par la corruption des mafias locales.
Les conditions de vie doivent être acceptables. Il n’est pas normal que nous ne renvoyions pas chez eux les jeunes diplômés que nous avons formés. Ces pays ont besoin de médecins, d’ingénieurs. Les visas étudiants doivent servir à notre rayonnement par le retour de ces jeunes au service de leur pays.
La coopération internationale doit mener au développement de l’accès aux énergies, à l’électricité, aux ressources naturelles, dans les territoires les plus reculés. Ce qui inclut la fin de la spoliation dont nos entreprises sont actrices.
Le traitement des demandes d’asile ne peut continuer sur le mode actuel. Il est urgent de refuser toute étude sur notre territoire. Elles doivent se faire par le biais des ambassades et consulats français, toute demande refusée pouvant être renouvelée une seule fois. Les titres accordés devraient donner droit à une prise en charge du transport vers notre pays pour que les personnes voyagent dignement et qu’elles ne subissent plus les situations de précarité actuelles.
Il ne peut pas y avoir de systématisme d’attribution de droits de séjour sans conditions. Nous devons mettre en place un certain nombre de normes et d’exigences à l’entrée sur notre territoire incluant des passages obligés. L’Australie, par exemple, impose trois mois de travail dans le domaine agricole, avant toute remise de visa définitif.
Enfin, il faut entamer une discussion lucide, au sein de l’Union européenne (UE), donnant les moyens à Frontex de lutter contre ces entrées non voulues, incluant la négociation d’accords d’extradition hors de l’UE, avec les pays de provenance.
Ce sont les conditions de la stabilité de notre culture et du maintien de la paix dont notre pays souffre de tant d’années d’aveuglement et de manque de courage. Le débat n’a que trop attendu ; il est temps de s’en emparer sérieusement et de faire succéder les actes aux paroles.
Laurence Taillade
Présidente de Forces Laïques