Les élections israéliennes du 1er novembre 2022 conduisent au retour de Binyamin Netanyahou au pouvoir et à la formation du gouvernement le plus à droite de l’histoire du pays avec une majorité confortable de 64 sièges sur 120. Cette revanche sur la « coalition du changement » qui dirigeait le pays depuis un an n’est pas une alternance comme les autres. La tactique électorale, l’unité du camp vainqueur, la mobilisation de ses électeurs n’expliquent pas tout. La quasi-disparition de la gauche et la montée de l’extrême droite interviennent dans un pays de plus en plus réceptif aux thèses populistes.
Un camp uni, l’autre pas
Binyamin Netanyahou mena une campagne ménageant ses alliés, préférant viser un score simplement honorable pour son parti – il termina avec 32 sièges, soit 2 de plus que dans le parlement sortant – afin de consacrer tous ses efforts à l’unité de son camp. D’abord au niveau de la formation des listes, décourageant les divisions dans les partis ultraorthodoxes, et faisant pression pour une liste unique à l’extrême droite. Il put ainsi se présenter devant les électeurs à la tête d’un « bloc » uni formé de quatre partis.
Le bloc issu du « gouvernement du changement » ne réussit pas à réaliser son unité.
Le Premier ministre par intérim, Yaïr Lapid, échoua à convaincre les partis de gauche de se rassembler sur une liste unique, la présidente du Parti travailliste, Merav Michaeli, refusant de s’associer au parti Meretz. Ce dernier fut éliminé de la Knesset ne parvenant pas à passer le seuil d’éligibilité (3,25 %) que le Parti travailliste franchit de justesse, formant avec 4 députés le plus petit groupe parlementaire. Les partis arabes, dont l’un appartenait à la coalition sortante, se présentèrent aussi divisés. Le parti Balad, formation ultranationaliste, décida au dernier moment de se présenter seul. Il ne réussit pas à passer le seuil d’éligibilité et minora la représentation arabe à la Knesset qui resta à 10 sièges. Le Parti du Premier ministre, Yesh Atid (Il y a un avenir, centre gauche) termina la compétition avec 24 sièges, son record historique, mais fut vivement concurrencé par le « Camp de l’Etat » (centre droit, 12 sièges) dont le leader, Benny Gantz, se portait aussi candidat au poste de Premier ministre. C’est donc à la tête d’un bloc très divisé de six partis et avec un concurrent dans son propre camp que Yaïr Lapid se présenta devant les électeurs.
Cette unité du camp Netanyahou et ces divisions du camp Lapid ne doivent rien au hasard. La tactique électorale a réussi là où il y avait une véritable convergence idéologique et échoué lorsqu’elle était absente.
Dans le camp de la coalition sortante, des divergences importantes s’étaient exprimées, notamment sur le conflit israélo-palestinien. Lorsque Yaïr Lapid s’était prononcé à la tribune de l’ONU en faveur de la solution à deux États, il fut contesté par les éléments les plus droitiers du « Camp de l’État ». Sur le système judiciaire aussi, des divergences s’exprimèrent. Le parti du Premier ministre et la gauche entendaient préserver l’existant alors que le ministre de la Justice, Gideon Saar, aurait voulu réduire les pouvoirs du conseiller juridique du gouvernement (établis sur le modèle de l’Attorney général) et ceux de la Cour suprême (en matière de contrôle de constitutionnalité des lois). En conséquence, aucune réforme ne fut entreprise sur ces points.
Dans le camp Netanyahou, les partis étaient d’accord sur l’essentiel : pour le « Grand Israël » (c’est-à-dire pour l’annexion des territoires palestiniens) ; pour une réforme drastique du système judiciaire donnant le dernier mot aux deux autres pouvoirs pour le choix des juges et le contrôle de constitutionnalité des lois ; pour une économie libérale et la réduction du pouvoir des syndicats… Cette unité du camp Netanyahou fut renforcée par la contestation de certaines réformes du « gouvernement du changement ».
Pour la première fois depuis 2013, le gouvernement ne comportait pas les partis ultraorthodoxes, ce qui permit de procéder à des réformes importantes.
En réservant certaines allocations aux familles dont les deux parents travaillent, le gouvernement désavantageait les communautés ultraorthodoxes où souvent le mari se consacre exclusivement à l’étude de la Thora. Plus encore, le projet de ne subventionner que les écoles où sont dispensés les enseignements fondamentaux (anglais, mathématiques …) heurtait les intérêts des partis ultraorthodoxes qui ont mis en place des réseaux scolaires ignorant ces matières. De façon plus surprenante, les hausses de la fiscalité sur la vaisselle jetable et sur les boissons sucrées furent interprétées comme hostiles à ces familles nombreuses qui en font une grande consommation alors qu’il s’agissait d’une mesure environnementale pour la première et d’une mesure de santé publique pour la seconde. Binyamin Netanyahou prit grand soin dans sa campagne de souligner qu’il reviendrait sur toutes ces réformes.
D’autres projets comme celui de faire fonctionner les transports publics le shabbat par la ministre chargée de ce secteur finirent par convaincre les ultraorthodoxes que ce gouvernement leur était hostile.
La bataille de la participation
Tous les sondages montraient qu’en l’absence de transfert de voix d’un camp à l’autre, c’est le taux de participation à l’intérieur de chacun d’entre eux qui devait décider du sort de l’élection. Les partis se concentrèrent donc sur cet objectif dans les derniers jours de la campagne, principalement sur les réseaux sociaux, parvenant à faire passer le taux de participation de 67,44% en 2021 à 70,63% cette fois-ci. Le Parti ultraorthodoxe ashkénaze (Yaadout ha Thora) qui craignait une forte abstention dans son électorat réussit à maintenir sa représentation parlementaire à 7 sièges en utilisant l’argument selon lequel le gouvernement sortant voulait changer le mode de vie de ses fidèles.
Toutes les études d’opinion montraient que le problème du pouvoir d’achat constituait la première préoccupation des Israéliens.
Mais ce thème n’occupa qu’une place secondaire dans la campagne. Seul le parti Shas (ultraorthodoxe séfarade) s’en saisit pour demander la création de bons alimentaires (« comme aux Etats-Unis »). Se présentant comme « le seul parti social », il réussit à mobiliser son public et d’autres familles pauvres, et fut récompensé de ses efforts avec le gain de deux sièges portant sa représentation à 11 députés.
Tirant les leçons de son échec en 2021 dû à l’abstention dans les villes populaires, Binyamin Netanyahou visa à augmenter la participation dans ces localités et y réussit. Avec 7 % de participation en plus, la ville d’Ofakim accorda 85 % de ses voix au camp Netanyahou ; comme celle de Dimona qui vota en sa faveur à 81 % avec 10 % d’électeurs en plus…
Les résultats furent également au rendez-vous dans l’électorat arabe traditionnellement plus abstentionniste que la moyenne nationale.
Les premiers sondages montraient qu’un taux de participation inférieur à celui de 2021 (42,5% dans cette population) pouvait conduire à la disparition de représentants arabes à la Knesset. Un gros effort des trois partis arabes conduisit à une mobilisation de dernière minute faisant progresser le taux de participation de 5 points à Oum el Farm, 9 à Nazareth, 14 à Rahat…
Les autres partis du « bloc du changement » ne connurent pas le même sort. Dans toutes les villes du centre du pays qui leur étaient favorables, le taux de participation resta égal à celui de 2021, soit sensiblement en dessous de la moyenne nationale (moins de 60% à Tel-Aviv par exemple). Cette démobilisation de l’électorat de la gauche et du centre ne tient pas seulement à une tactique électorale défaillante. L’évolution du pays explique largement les résultats du 1ernovembre 2022.
Les sirènes du populisme
Le populisme israélien emprunte à plusieurs registres que l’on retrouve dans tous les pays marqués par cette idéologie : la dénonciation des élites, de la presse, des juges, et une hostilité envers les Arabes.
La presse n’a guère fait l’objet de critiques pendant la campagne. Il est vrai que l’essentiel du travail de dénigrement avait été entrepris depuis des années[1]. Les partis du bloc Netanyahou ont en revanche présenté la réforme du système judiciaire comme une priorité.
Le thème du danger présenté par les Arabes a été le plus exploité. Les élections sont intervenues dans un contexte marqué par des attentats en Cisjordanie et à Jérusalem suscitant une réplique forte de l’armée. Cette fermeté ne laissait guère de prise aux critiques de l’opposition mais renforçait le sentiment selon lequel « on ne peut pas faire confiance aux Palestiniens ». Cette défiance s’exprimait aussi vis-à-vis des Arabes israéliens (qui représentent 21 % de la population totale). La coalition sortante comprenant un parti arabe (Raam, islamo-conservateur), elle fut dénoncée par le bloc Netanyahou comme dépendant des « Frères musulmans » et de « soutiens du terrorisme ». Les émeutes anti-juives du mois de mai 2021 dans les villes mixtes ont largement contribué à exacerber cette opinion. D’autant qu’une délinquance importante dans les localités arabes et des pratiques mafieuses dans le Néguev et en Galilée renforçaient le sentiment d’insécurité. Ce qui permit à Itamar Ben Gvir, suprémaciste juif et véritable vedette de cette campagne, de s’imposer.
Promettant l’immunité aux soldats et aux policiers faisant usage de leurs armes en toutes circonstances, il s’engageait, en sus de lutter contre les groupes terroristes, à restaurer la « sécurité personnelle » des habitants.
Présent sur les lieux lors de chaque attentat, il obtint 14 sièges (contre 6 précédemment) pour son parti, Sionisme religieux, devenu la troisième formation politique du pays.
Les enquêtes d’opinion montrent une radicalisation du public en la matière. Ainsi, le pourcentage d’Israéliens (juifs) qui pensent que les Juifs devraient bénéficier de davantage de droits que les non-Juifs est passé de 25 % en 2015 à 42 % en 2021 selon les données de l’Institut israélien pour la démocratie[2]. Ce sentiment serait particulièrement vivace chez les jeunes sionistes religieux et les jeunes ultra-orthodoxes. Compte-tenu de la démographie galopante dans leurs familles (6,45 enfants par femme ultraorthodoxe et 3,88 par femme sioniste-religieuse), le populisme israélien a de beaux jours devant lui.
Philippe VELILLA
Docteur en droit
Essayiste et analyste politique
[1] Voir notre article « Menaces contre la démocratie israélienne » (Diplomatie, n° 81, juillet/août 2016).
[2] Cité par Jeremy Sharon, « Clés pour comprendre la montée inquiétante de Ben Gvir, l’ultra-nationaliste d’Israël »,fr.timesofisrael.com, 18 août 2022