Ecrivain, professeure de géographie à Sorbonne Université, Sylvie Brunel interviendra lors de “La Cité des Débats à Saint-Raphaël – L’événement de la Revue Politique et Parlementaire”. L’ancienne présidente de l’ONG Action contre la faim a récemment fait paraître Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre (Bouchet-Chastel), Grand prix du livre éco de l’année. Entretien.
Revue Politique et Parlementaire – La troisième édition de La Cité des débats a pour thème « Savoir, pouvoir et démocratie », comment concilier ces ces 3 notions ? Dans une crise, à quoi se raccrochons-nous ? Comment arriver à avoir suffisamment de distance pour sortir du « on dit ? »
Sylvie Brunel – Permettez-moi de répondre globalement à vos questions, qui pourraient être regroupées sous le titre suivant : une nécessaire sérénité !
Avoir créé tant d’angoisse au sein de la jeunesse quant à l’avenir du monde est une faute. Tous ces discours apocalyptiques sur le climat, la détérioration des milieux de vie, toutes ces sombres prédictions sur l’effondrement à venir ne sont que des poisons.
Pourquoi avoir instillé tant de nihilisme au sein d’une jeunesse qui doit au contraire considérer son futur comme une promesse ?
Il faut recréer l’espoir et la confiance en l’avenir.
Mettre fin à la terrible solastalgie qui coupe toute envie.
La crise n’est que celle de nos doutes. Dire que tout va de mal en pis, c’est méconnaître les capacités de l’humanité à trouver des solutions.
Aujourd’hui, nous faisons peser sur les générations à venir la menace du climat et d’une prétendue revanche de la Nature, comme si le déterminisme physique s’était à nouveau emparé de la terre. Et pourtant que de réponses positives peuvent être apportées aux grands défis d’un développement humaniste et respectueux des cadres de vie !
Ce que la géographie, qui est la science des possibilités, nous enseigne, c’est que de tous temps, l’humanité a su vaincre les contraintes du froid, du chaud, de la sécheresse, de la pente, de l’aridité, de l’inondation. Il n’est nul espace qu’elle n’a su habiter. Améliorer. Certes, elle peut détruire, mais elle sait aussi réparer. Le pire des poisons, c’est la pauvreté, qui empêche de trouver des réponses.
Il faut puiser dans les enseignements du passé pour bâtir l’avenir. Comparer dans le temps et dans l’espace pour comprendre que nul défi ne peut être relevé. Mettre en avant toutes les solutions, pour rebâtir l’espoir et la confiance.
Dans la crise climatique, qui est avant tout la crise d’une humanité de plus en plus nombreuse et exigeante sur des territoires de plus en plus sollicités, donc de plus en plus fragiles, l’atténuation et l’adaptation peuvent être conciliés pour édifier un monde meilleur, plus résistant, plus résilient, face à tous les chocs qui ont toujours marqué l’histoire de l’humanité. Et ne semblent s’accélérer que parce que nous vivons dans un village planétaire où tous les évènements, hier isolés, sont désormais connus et reliés.
L’histoire de l’humanité n’est pas celle de la régression, mais au contraire de l’amélioration : la pauvreté a reculé, l’espérance de vie a progressé, et particulièrement la lutte contre la mortalité maternelle et infantile, nous vivons globalement mieux que ceux qui nous ont précédés, tenaillés par la faim et la maladie, dans une insécurité permanente quant aux éléments et à la violence de la nature. Partout où la démocratie et le libre choix règnent, les femmes accèdent à la liberté de maîtriser leur vie et leur descendance. Les enfants peuvent grandir en sécurité, avoir accès à l’éducation, qui est la clé de la liberté. Les êtres humains disposent alors d’une capacité de choix éclairé, mais ils apprennent aussi la tolérance et l’acceptation face aux différences.
C’est ce futur là qu’il faut construire. Pas celui de la peur, de la discrimination, du pilori, d’un totalitarisme justifié par des causes suprêmes (comme l’avenir de la « Planète »), alibis qui ne cachent en réalité qu’une volonté de pouvoir.
L’éducation éclairée, un service civique de la jeunesse dans tous les domaines où des solutions concrètes sont apportées aux maux du monde, une véritable démocratie qui donne toute sa place à une information impartiale et à une science qui ne soit pas conditionnée, contaminée, par l’idéologie et le dogme, voilà comment donner suffisamment de distance face aux « on dit », aux calomnies, aux discours apocalyptiques.
Dès que quelqu’un vous parle d’apocalypse, demandez-vous quel but il poursuit en réalité.
Sylvie Brunel
Ecrivain
Professeure de géographie à Sorbonne Université
Ancienne présidente de l’ONG Action contre la faim
Dernier ouvrage paru : Nourrir, cessons de maltraiter ceux qui nous font vivre, Buchet-Chastel, 223. Grand prix du livre éco de l’année
Propos recueillis par Mathilde Aubinaud
Photo Astrid di Crollalanza