La Conférence sociale qui s’annonce illustre, jusqu’à la caricature, la compréhension qu’ont l’exécutif et les partenaires sociaux de la question sociale.
Avec cette Conférence sociale l’État conforte son rôle de maître du jeu : en invitant les partenaires sociaux l’exécutif sape encore le paritarisme. Maître du jeu, maître d’école, le gouvernement donne des devoirs sur table aux représentants des salariés et des employeurs. Le cadrage des négociations telles que celle de l’indemnisation du chômage ne suffit plus. La captation des ressources de l’Unédic, aujourd’hui, celle de l’Agirc-Arrco, demain, ne suffisent plus. Le déremboursement par la « Sécu » contre la prise en charge par les mutuelles ne suffit pas non plus…
Les partenaires sociaux sont convoqués en étude surveillée.
Chacune des organisations, de salariés comme d’employeurs, arc boutée sur le pré-carré de ses revendications semble ne pas voir là que, discutant ainsi avec l’exécutif elles participent à enterrer la négociation interprofessionnelle au bénéfice de la Loi.
Ont-elles oublié que se sont elles, acteurs économiques et sociaux, qui doivent, dans le cadre des lois de la République, s’emparer de la question sociale ? N’en ont-elles pas assez d’aller ainsi comme à Canossa ?
Tout remonte à l’État, qui s’en repait, parce que trop souvent « on » laisse tout remonter à l’État. Parce que trop souvent « on » demande tout à l’État, ainsi de l’indexation des salaires sur l’inflation, ainsi des exonérations de charges sociales qui doivent sauver la compétitivité de l’économie nationale. C’est là de la politique, ce n’est pas du social !
La Conférence, donc, va s’installer. Il faut craindre d’en attendre un pitoyable retour de la conférence[1] avec non plus les curés de Courbet mais les partenaires sociaux.
Une conférence sociale ainsi bâtie est, avant tout, une conférence politique et ce serait miracle si le politique arrivait à concilier, cette fois, l’économique et le social qui font prospérer la question sociale. Les bas salaires vont-ils disparaître par le fait de cette Conférence ? Ne sont-ils pas la conséquence d’une économie de services, de la bipolarisation en marche entre de peu nombreux emplois qualifiés bien rémunérés et de nombreux emplois peu qualifiés mal rémunérés (sans parler du « marais » des trop nombreux emplois de la fonction publique).
Le politique doit créer les conditions du développement économique qui permet le progrès social. Les conditions et non pas les modalités pratiques !
L’ambition de réindustrialisation, la nécessité de la transition énergique : voilà les conditions dans lesquelles il doit revenir, ensuite, aux partenaires sociaux de négocier et de convenir, entre eux, des modalités du progrès social. Ils n’ont pas à attendre de l’État, comme s’ils se défaussaient, qu’il s’impose. L’exemple illustratif est celui des allègements de cotisations sociales qui n’ont pas dopé la compétitivité, qui ont créé ces trappes à bas salaires, asséché le financement de la protection sociale et fait naître la question du coin fiscalo-social (question qui vaut bien celle des dépenses fiscales : il faut inventer des mots et des concepts pour rendre sérieux et de haute technicité bien des errements de notre Administration… économique).
Faut-il que les partenaires sociaux aient à revendiquer, à front renversé, des contreparties aux aides publiques ? N’est-ce pas là un sujet que le politique aurait dû éviter en conditionnant effectivement les aides à la réalisation des objectifs qu’elles sont censées aider à atteindre ? Le pognon de dingue est là aussi parce qu’il est partout dans une économie socialisée qui fait passer l’aide publique tous azimuts pour une morale républicaine.
Les employeurs, les entrepreneurs ont été séduits par l’administration économique, par ce socialisme et, biberonnés aux aides de l’État, acceptent, tout en rechignant, qu’il les finance par un exorbitant taux de prélèvements dits obligatoires. Notre fabuleux système fiscalo-social doit être un héritage des Shadocks, une machine qui a échappé à ses inventeurs, une sorte de proto IA-GPT qui apprend seule et fonctionne seule jusqu’à s’emballer.
Á ce moment de coupe de Monde de rugby il faut que les partenaires sociaux s’inspirent de la technique du cadrage-débordement, qu’ils prennent à contre-pied l’exécutif pour sortir du cadre qui leur est imposé.
Il faut qu’ils fassent preuve d’initiative pour cadrer l’exécutif sur ses obligations en matière de politique économique et qu’ils le débordent sur le social.
Il faut que l’exécutif joue la même tactique : faciliter le libre jeu du social en cadrant les partenaires sociaux par une seule règle, celle de créer des droits nouveaux en respectant un « article 40 social » : des droits nouveaux gagés par la suppression de droits devenus sans objets, peu efficaces mais toujours coûteux. Chacun, partenaires sociaux et État doivent retrouver leur domaine de responsabilité !
Sans ce cadrage-débordement la politisation de la question sociale fera, avec cette Conférence, un nouveau pas vers l’enterrement du paritarisme, un nouveau pas vers le toujours plus d’État. Attendons le Courbet de 2023 pour nous donner à voir, non seulement un pitoyable retour de la conférence mais aussi un nouvel enterrement[2].
Michel Monier
Membre du Cercle de recherche et d’analyse de la Protection sociale – Think tank CRAPS
Ancien DGA de l’Unédic
[1] Gustave Courbet, Le retour de la conférence, 1863.
[2] Gustave Courbet, Un enterrement à Ornans, 1850.