Depuis une dizaine d’années, de remarquables progrès ont été réalisés en matière fiscale avec la mise en œuvre d’accords multilatéraux et de conventions. Des obstacles, auparavant jugés insurmontables, ont été amoindris, même s’ils n’ont pas disparu.
Le premier obstacle surmonté concernait la difficulté, pour ne pas dire l’impossibilité d’échanges d’informations entre les Etats. L’accord multilatéral, intitulé Base Erosion and Profit Shifting, signé sous l’égide de l’OCDE, à Berlin le 29 octobre 2014 lorsque l’Allemagne était à la tête de la présidence du G20, a permis un échange automatique d’informations de qualité entre les administrations fiscales. Autrefois point d’achoppement, l’échange d’informations avec les administrations fiscales hollandaises, luxembourgeoises et suisses intervient sans les contraintes antérieures.
C’est un énorme progrès même s’ils existent toujours des réticences ou des lourdeurs administratives.
Le deuxième obstacle concernait l’identification du bénéficiaire effectif, rendue opaque par certains, pour masquer la traçabilité des transactions financières. Ici encore, d’importants progrès ont été réalisés avec la signature d’une convention internationale. Ces mesures dissuasives sont aujourd’hui mises en place contre les pays, que l’on peut qualifier de récalcitrants. Ces avancées connaissent néanmoins des résistances, bien souvent dès qu’un pays peut, directement ou indirectement, conserver un avantage fiscal, en termes de secret, cette option est mise en œuvre. Des grands pays, comme la Grande-Bretagne ou les USA, utilisent leur taille ainsi que leur complexité institutionnelle pour ne pas coopérer d’une façon satisfaisante avec les autres pays. Ce sont des limites que nous devons vaincre grâce à une mobilisation internationale.
Le troisième obstacle concernait un accord sur l’impôt minimal sur les sociétés. C’est la troisième étape qui doit être atteinte et qui est indispensable pour ôter tout intérêt aux multinationales de mettre en place des montages complexes ou des montages d’optimisation fiscale agressive dans les centres financiers offshore.
L’obstacle est bel et bien ici la concurrence fiscale étatique. Elle désigne, d’une part, la situation dans laquelle les acteurs économiques mettent en compétition les systèmes fiscaux des différents États pour en tirer l’avantage fiscal maximal, d’autre part, les réactions des États pour renforcer leur attractivité en modulant leur fiscalité pour attirer les acteurs de production mobile.
Les administrations fiscales se heurtent ici au conflit qu’il existe entre, d’une part, l’intérêt des multinationales auquel s’ajoute celui des centres financiers offshore – ceux-ci recherchant un maximum de puissance financière – et, d’autre part, l’intérêt des États, qui quant à eux sont en quête d’éléments imposables au sein des ressources fiscales potentielles que génèrent les activités qu’ils hébergent.
L’harmonisation des systèmes fiscaux serait la solution pour endiguer la concurrence fiscale déloyale ainsi que l’optimisation fiscale dommageable, de manière plus efficace que celle des articles 107 et suivants du Traite sur le Fonctionnement de l’Union Européenne.
Le 8 octobre 2021, 137 pays ont conclu, sur proposition de l’OCDE, un accord pour appliquer un taux d’imposition minimum de 15 % aux multinationales.
Cette mesure devrait entrer en vigueur dès 2024 si les Parlements nationaux acceptent de la ratifier sous forme de loi.
Cet accord est composé de deux volets :
- Le premier prévoit l’instauration d’un taux d’imposition de 15 % des bénéfices des entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions d’euros.
- Le second pilier s’appliquera à tous les groupes d’envergure internationale qui ont un chiffre d’affaires consolidé d’au moins 750 millions d’euros. Tous les secteurs sont concernés à l’exception notamment des fonds de pension et des fonds d’investissement. La charge fiscale devra être calculée en prenant l’ensemble des entités établies dans un pays et qui sont consolidées avec la société mère par la méthode d’intégration globale. Dans certains cas, les sociétés qui sont en intégration proportionnelle devront également être prises en considération, mais en leur appliquant des règles particulières.
L’OCDE a prévu trois mécanismes :
- Income Inclusion Rule (IRR) : c’est le principal mécanisme qui obligera une société mère d’une entreprise multinationale à compléter ses impôts effectifs payés dans toute juridiction fiscale dans laquelle elle exerce ses activités, par l’intermédiaire d’une filiale ou d’un établissement stable, pour obtenir un taux de 15 % ;
- Si la maison-mère est établie dans un pays qui n’applique pas l’IRR, le plan B sera l’Undertaxed Profits Rule (UTPR), qui revient à rétablir entre toutes les entreprises du groupe l’insuffisance d’impôt non réglé ;
- Le Qualifying domestic minimum tax (QDMT) : il prévoit qu’un pays pourra introduire un impôt particulier pour combler la différence d’impôt entre l’imposition effective et l’imposition minimum globale proposée de 15 %.
Le 18 mai 2021, la Commission européenne avait déjà fait des recommandations et émis une communication « Business taxation for 21 century ». Dans celle-ci, la Commission s’engage à adapter les systèmes fiscaux des États membres afin de relever les défis du 21ème siècle. En effet, la communication repose sur trois valeurs, à savoir : la solidité, l’efficacité et l’équité afin de lutter contre certains acteurs du numérique ainsi que l’évasion fiscale.
La Commission avait exposé son projet BEFIT (Business in Europe : Framework for Income Taxation) qui pourrait être présenté en 2023.
Le plan proposé par la Commission européenne met en place un nouveau cadre pour la fiscalité des entreprises dans l’UE, qui réduira les charges administratives, supprimera les obstacles fiscaux.
La réalisation du BEFIT permettrait également aux entreprises de l’Union d’économiser 700 millions d’euros en coûts de mise en conformité et 1,3 milliard d’euros grâce à la consolidation. Soyons optimiste et croyons à la fin de la concurrence fiscale dans quelques années …
Julien Briot
Expert indépendant en compliance est doté d’une expérience de plus de neuf années acquises dans différents secteurs d’activités (le financement de projets, l’énergie et le secteur bancaire), à l’international (France, Luxembourg, Maroc et Sénégal)