Depuis la réélection de Donald Trump, nombre de discours en Europe s’inquiètent de la politique internationale du 47e président américain. S’il est imprévisible, ses déclarations loufoques demeurent plus réfléchies qu’elles n’y paraissent. À la suite de son élection en novembre, Donald Trump a déclenché nombre de critiques quant à ses ambitions sur la scène internationale. L’ONG Human Rights Watch, par exemple, à de maintes reprises, a mis en garde sur la « menace » qu’il représentait pour les « droits humains » et la démocratie dans le monde. Plusieurs gouvernements européens ont fait part de leurs préoccupations et le Quai d’Orsay a garanti qu’il défendrait les « frontières souveraines » de l’Union européenne si nécessaire.
Il est indéniable que l’histrionisme trumpien détonne avec le caractère policé des relations internationales classiques. De surcroît, nombre de ses récentes déclarations apparaissent d’une inélégance dispensable. Pour autant, le discours alarmiste qu’il déclenche à son encontre constitue une réponse insatisfaisante à la « diplomatie du rapport de force » que le président républicain espère instaurer.
L’antitrumpisme viscéral des chancelleries européennes risque même de servir la logique de la Maison Blanche et non d’affermir les positions de l’UE.
Un cas d’école à cet égard est l’invraisemblable crise politique que Trump est parvenu à provoquer au Canada. En décembre 2024, Justin Trudeau rencontrait le président américain tout juste élu. Celui-ci s’est alors adressé au Premier ministre canadien en le qualifiant de « gouverneur » et l’a invité à enjoindre à son pays de devenir le 51ᵉ membre de l’Union américaine, provoquant un « rire nerveux » chez son interlocuteur, selon la presse américaine. À la suite de cet épisode en substance insignifiant, néanmoins, le Canada n’a pas réagi avec la même fermeté que celle dont Trump a fait montre, mais en ordre dispersé, au point d’apparaître aussi risible que les déclarations initiales du nouveau président américain.
En effet, Trudeau a publiquement exposé son désaccord avec sa vice-première ministre et ministre des Finances, Chrystia Freeland. Celle-ci a alors bruyamment quitté le gouvernement fédéral minoritaire. À la suite de ce premier acte de déstabilisation politique, les premiers ministres de l’intégralité des provinces canadiennes ont commencé à définir une stratégie non coordonnée pour prouver qu’elles pouvaient toutes répliquer aux « menaces » américaines. Doug Ford, par exemple, chef du gouvernement de l’Ontario, apparaît presque chaque jour sur les chaînes d’information américaines depuis environ un mois, arguant qu’il serait en mesure de couper l’approvisionnement en électricité des États de New York, du Michigan et du Minnesota.
Plus récemment, Danielle Smith, qui dirige l’Alberta, a au contraire plaidé pour que les matières énergétiques soient largement exclues de toute mesure de représailles que le Canada prendrait à l’encontre de son voisin du sud.
En somme, Trump a réussi son pari : il n’a jamais souhaité annexer le Canada, mais la prononciation de deux plaisanteries à ce sujet lui a permis d’instaurer un tel chaos politique dans le pays que ce dernier s’avère désormais en position d’extrême faiblesse pour négocier sur le sujet qui importe véritablement au nouveau président américain, à savoir la définition de tarifs douaniers sur le commerce entre les deux nations. Face aux déclarations fermes et présentées avec cohérence (dans le sens où elles ne se contredisent pas) par Trump, la réponse de nations moins influentes doit inexorablement faire preuve d’autant d’assurance.
À ce titre, la réaction réfléchie de la Première ministre groenlandaise aux menaces d’annexion devrait être prise en modèle par chaque responsable politique souhaitant dialoguer avec l’Amérique. Affirmant qu’elle était heureuse de voir que son territoire suscitait un tel « intérêt », elle a soutenu qu’elle se réjouissait de poursuivre la « forte coopération » avec « les États-Unis, [son] plus proche allié »,
y trouvant en outre l’occasion de renforcer son discours indépendantiste anti-danois.
Ainsi, pour contrer Trump de manière intelligente, il conviendrait de ne pas se montrer aussi erratique que lui. Il est évident qu’annexer les nations ciblées par ses déclarations loufoques irait à l’encontre de ses intérêts : l’étendue territoriale du Groenland et du Canada, dont les terres sont essentiellement inhabitées, nécessite de considérables investissements en infrastructures. L’ajout de telles charges à l’appareil d’État américain contredirait les objectifs fixés par le fameux département de l’Efficacité gouvernementale que Musk co-dirigera. Il s’agit par ailleurs de populations dont les opinions sont largement plus à gauche que l’américaine, alors même que Trump se vante d’avoir remporté l’élection présidentielle à la fois au suffrage universel et au collège électoral État par État.
Dans son livre The Art of the Deal, l’ancien homme d’affaires écrivait : « La clé de mon succès est la fanfaronnade. Je joue avec les fantasmes des gens. Les gens ne pensent pas toujours grand par eux-mêmes, mais ils sont toujours excités par ceux qui le font. C’est pourquoi une petite hyperbole ne fait jamais de mal. » En conclusion, il faut assurément prendre Trump au sérieux, mais probablement pas à la lettre !
Eliot Mamane