Naguère les étés rimaient avec le murmure des eaux vives dans le “cher et vieux pays” et la chaleur se combattait, pour ceux qui avaient la chance de prendre des vacances et qui n’avaient pas le loisir de villégiaturer au bord de la mer, le long des fleuves, rivières et ruisseaux de France, 10 000 si la légende est vraie…
Cette époque est révolue avec le dérèglement climatique dont les effets se précisent et s’accentuent, grandes messes écologiques les unes après les autres (les fameuses COP…) été après été, sans qu’aucune politique sérieuse d’irrigation, récupération et recyclage des eaux usées n’ait été planifiée chez nous, contrairement à ce qui se pratique chez certains de nos voisins en Espagne ou en Italie par exemple. Cellule de crise, grandes déclarations et constats de circonstance, mais rien ne change et les vaches, qui ont besoin en moyenne de plus de 100 litres d’eau par jour pour s’hydrater et produire leur lait, contemplent des champs à l’herbe grillée et des pâturages et coteaux couleur de dunes de sable à perte de vue sous un ciel impavide, sans nuages…
Bienvenue dans le royaume hexagonal qui entend et aime donner des leçons à la planète entière (jusqu’aux Brésiliens pour les feux en Amazonie !) sans jamais se remettre en cause depuis des lustres, gouverné selon les mêmes schémas par des castes de technocrates arrogants et sûrs de leur fait qui se succèdent immuables en dépit des révolutions, se prennent toujours pour le sel de la terre et ne planifient ni n’anticipent plus rien pour le plus grand malheur de ceux qui ne sont rien, à qui on demande sentencieusement sacrifices et privations bien dérisoires face à l’urgence de la situation…
En Guadeloupe où le prix du mètre cube d’eau est le plus cher de France, la ressource, dans l’île aux belles eaux, se perd dans les terres par défaut d’entretien des réseaux et canalisations depuis des décennies dans l’indifférence coupable des responsables politiques et administratifs… A Paris, une municipalité controversée, accumulant inepties sur inepties, a osé encore projeter de couper des arbres plus que centenaires pour des aménagements inutiles ou inappropriés au Champ de Mars, choisi par la macronie pour célébrer sa reconduction… Les incendies -le feu monstre de Landiras s’est réveillé hélas dans cette sécheresse installée pour de longues semaines- achèvent de reconfigurer les trêves estivales en préfiguration de fin du monde dans un contexte international de brasier sur fond de faits divers où domine l’insécurité.
Dérèglement climatique et désordre sociétal gagnant du terrain un peu partout face à l’impuissance des gouvernants, le salut repose sans doute dans la prise de conscience individuelle et la bonne mesure des périls qui nous cernent annonçant pénuries et restrictions, requérant changement impérieux de comportement collectif avant qu’il ne soit trop tard…
Il y a 230 ans, le 10 août 1792, le bref intermède de la monarchie constitutionnelle prenait fin avec l’assaut par la Commune insurrectionnelle de Paris et les sections parisiennes contre les Tuileries défendu au prix de leur vie par les Gardes suisses et une poignée de courtisans fidèles à la vieille France et au dernier Roi d’ancien régime ; Louis XVI entamait sa marche de victime expiatoire vers la guillotine pour des maux qu’on lui attribuait à tort et à court terme – quelques foulées dans un jardin écrasé de soleil – la fin d’un Royaume parmi les plus puissants du monde de ces temps révolus. Pour épargner en vain le sang de ses derniers partisans -le massacre des défenseurs du palais a été le prélude de la première Terreur avant le bain de sang de septembre 1792 dans les prisons de la capitale- le monarque traversa le parc où il fit remarquer combien les feuilles tombaient tôt cette année-là (sécheresse prémonitoire déjà ?) et la famille royale, Madame de Tourzel gouvernante des Enfants de France, la princesse de Lamballe revenue d’exil pour soutenir son amie des jours heureux, la Reine, et lui, entassés dans la loge du logographe de l’assemblée législative eurent la douleur d’assister à l’effondrement et l’enterrement de ce qui avait constitué pendant des siècles les fondements du “cher et vieux pays”, à l’issue d’une longue séance accouchant dans le bruit et la fureur du monde “nouveau”, celui qui devait délivrer tous les bonheurs et améliorer le sort des ex sujets du Roi, les citoyens à l’aube de toutes leurs désillusions un jour futur au terme des espérances soulevées par ce tremblement de terre, hélas trahies pour la plupart avant longtemps.
La mort pour cinq d’entre les illustres et infortunés naufragés du monde “ancien” , venus chercher la protection des députés, était inscrite au bout de ce chemin entamé des ors de la dernière résidence royale vers le couvent des Feuillants sous les frondaisons d’un des plus beaux jardins de Paris, avant les affres du donjon du Temple et la cellule insalubre de la Conciergerie, pour le Roi, sa sœur cadette, le Dauphin, la Reine, et pour la princesse piémontaise les coups mortels, les outrages et la profanation de sa dépouille par une foule ivre de ressentiment sur les marches de la prison de la Force… Tant d’eaux vives ont coulé depuis cette journée funeste d’août 1792, emportant dans leur murmure tant de certitudes, de rêves insensés, d’espérance en des jours meilleurs, le fil inexorable somme toute du cours de la vie, du temps et de l’histoire…
Août 2022, des pompiers héroïques se battent pour sauver ce qui va rester des forêts de Gironde quand ils auront pu abattre les flammes…
Les agriculteurs sur toute l’étendue du territoire métropolitain et en Corse constatent les ravages de cette sécheresse exceptionnelle dont les conséquences vont s’ajouter au retour de bâton des sanctions imposées à la Russie par l’Union européenne dans le cadre du conflit en Ukraine…
La France est aussi un pays où on apprend avec horreur qu’il est possible de commettre le crime de violer des patientes âgées dans un hôpital de la région parisienne, que des policiers sont obligés de se défendre contre la menace de coups de couteau par un malheureux sans domicile fixe errant dans le plus grand aéroport parisien, porte d’entrée pour des millions de voyageurs dans notre beau pays -sans doute encore un effet de ce sentiment infondé d’insécurité dans le déni officiel…-. Le Ministre de l’intérieur et des Outre-mer se bat pour expulser un imam non Français radicalisé, aux propos attentatoires à la sûreté publique, sans sortir de son silence son collègue Garde des sceaux, et il faudra attendre le 26 août pour que le Conseil d’état tranche dans cet épisode symptomatique d’un malaise grandissant qui intervient à l’aube d’un projet de loi sur l’immigration annoncé à l’horizon de la reprise post estivale… Pour autant, ce contexte global improbable ou invraisemblable n’empêche pas un élu de la macronie, et non des moindres puisqu’il préside la Commission des lois de l’Assemblée nationale, de vouloir ouvrir des débats sur le vote aux élections locales des étrangers non européens ou des sénateurs socialistes d’envisager de débattre de la dépenalisation du cannabis !
Où se terrent les incendiaires et les inconscients sur fond de brasier incandescent, pourrait-on se demander à l’écoute d’une actualité aussi incongrue ?
Dans la torpeur de ce mois d’août hors norme, au cœur d’un été dont le pays résilient, suite aux sombres séquences de la crise sanitaire des saisons de pause précédentes, attendait un peu de répit, des élus et nos dirigeants confrontés à toutes les difficultés pour remettre de l’ordre dans une maison France clivée et mal en point au-delà du possible, entendent aussi débattre non pas du sexe des anges mais mieux encore donner des leçons de gouvernance et de géopolitique au reste du monde, qu’il s’agisse du conflit entre Israël et la Palestine, de notre grand remplacement en Afrique par la Russie et la Chine ou de la défense des droits LGBT dans d’autres pays où sans doute on estime les populations inaptes à mener elles-mêmes leurs propres combats, dans cette vision autocentrée où une Europe en passe et en cours d’alignement ultime sur des idées et une doxa venues d’outre Atlantique, estime que ces valeurs ont vertu universelle…
Dans une conférence de presse récente, le Président du Niger comparait la taille de la Russie et ses ressources multiples à celle de la France et son poids actuel, soulignant des réalités factuelles et quelque part la marche d’un monde qui a profondément évolué suite non seulement à cette pandémie et au bouleversement économique et sociétal qu’elle a engendré de facto, mais aussi à la progression des autres nations dans la maîtrise de leur destinée, qui devrait nous obliger à réviser l’ensemble de nos certitudes au lieu de nous poser en donneurs de leçons et de bonne gouvernance.
Le conflit en Ukraine sur la marche Est d’une Europe déclinante est un épisode terriblement tragique mais quand on est l’Afrique, berceau de l’humanité, terre de tant de guerres de temps immémoriaux, pour se libérer d’une part des jougs coloniaux et d’autre part accoucher d’entités nationales au prix du sang comme au Darfour ou en Érythrée, quand comme le sous-continent indien on est né un soir de mi-août 1947- Hindoustan et Pakistan “Zindabad”- au prix d’une partition sanglante après 300 ans de domination du Raj britannique sur les décombres des empires moghol et mahratte, ou quand comme l’Afghanistan on a été abandonné l’été dernier par la coalition américano-européenne à son obscur destin, que peut bien peser cette guerre fratricide entre ce qui reste d’un Empire et son berceau originel ?
Un poète a écrit que “le monde n’est pas si jeune qu’il n’ait déjà ri…”, pleuré aurait-il pu tout aussi bien évoquer…
L’Europe persiste à raisonner à l’aune de ses valeurs et de sa vision du reste du monde sans s’interroger sur ce que peuvent bien ressentir des millions d’êtres au-delà de ses frontières, incapable par ailleurs de les accueillir convenablement ou les contenir -c’est selon…-, de moins en moins apte à assurer sa survie politique dans un environnement de plus en plus critique et tendu, une planète en souffrance écologique accrue, une compétition féroce entre géants, les uns en déclin comme les États-Unis et la Russie, les autres testant nos limites comme la Chine avec Taïwan… La France, qui a la chance d’être implantée en Atlantique, dans la Caraïbe, dans l’océan indien et la mer Pacifique, donne aux yeux de nombreux observateurs étrangers la sensation de se perdre dans des voies sans issues. C’est une tristesse pour beaucoup de diplomates internationaux de voir que c’est le dirigeant turc qui dialogue à Sotchi avec son homologue russe, et non plus le dirigeant français ou un autre de ses pairs européens, et c’est là un signe d’éloignement de toute perspective de cessez-le-feu à moyen terme entre les belligérants dans cette partie d’échecs mortifère où sont prises en otages des ressources vitales comme le blé et l’énergie…
Le sourire de la Première dame ukrainienne sur la couverture de Vogue en appel à la victoire de l’Ukraine et le contenu rédactionnel de cette revue de luxe américaine au début de l’été, rappellent celle consacrée à Madame Tchang Kai Chek dans le magazine Time et des articles occidentaux en soutien de la cause nationaliste chinoise contre le Japon lors du dernier conflit mondial… En ce qui concerne la Chine, on sait qui a gagné définitivement la partie.
L’histoire n’est pas un éternel recommencement, sinon on ne reproduirait pas inlassablement les mêmes erreurs d’appréciation comme si elle ne nous apprenait rien…
A défaut du murmure des eaux vives pour apaiser la canicule dans cet été où la France a renoué avec les débats et polémiques parlementaires, l’histoire et ses péripéties peuvent nous inciter à réfléchir sur la maîtrise de nos destinées et le peu de chance qu’elles laissent à ceux qui ne mesurent pas assez le poids de leurs responsabilités. Tout au plus peut-on souhaiter que leurs vacances nous libèrent momentanément des faux-semblants et des annonces tonitruantes dont ils ont fait une triste spécificité nationale.
La rentrée aux dires de tout un chacun s’annonce incertaine et chargée de difficultés de tous ordres. Il était coutumier jadis à l’approche de l’Assomption dans les villages du “cher et vieux pays” de préparer des autels fleuris pour célébrer Celle sous la protection de laquelle Louis XIII avait placé la France dans le but d’avoir un héritier… En cet été 2022, il reste peu de fleurs dans les jardins mais il y a encore du courage et de l’héroïsme, signe d’espoir porté par ceux qui luttent contre les flammes. C’est à eux qu’il faut penser en cette mi-août.
Eric Cerf-Mayer