« Le long du coteau courbe et des nobles vallées
Les châteaux sont semés comme des reposoirs,
Et dans la majesté des matins et des soirs
La Loire et ses vassaux s’en vont par ces allées.
(…)
La moulure est plus fine et l’arceau plus léger.
La dentelle de pierre est plus dure et plus grave. »
Ainsi Charles Péguy rendait-il hommage à la beauté de la pierre de tuffeau des châteaux de la Loire et de ses affluents. Il est vrai que son aspect, sa couleur changeante selon l’heure, la saison et l’éclairage, sa texture presque ductile que l’ongle suffit à entamer et qui la prête si bien à la sculpture, tout en elle concourt à lui conférer cette élégance caractéristique à l’image d’une France immuable…pourtant, fragile et loin d’être éternelle. Cette pierre peut même se présenter sous son meilleur aspect mais s’effriter sous les doigts qui l’effleurent, attaquée par la « maladie » qui la ronge souvent. Alors, il ne reste plus qu’à la réparer, au mieux, la remplacer, au pire.
Il en va aussi pour la France qui atteint la fin d’un cycle sans que l’on puisse encore ni entrevoir, ni imaginer, la restauration qui pourrait la consolider.
Des deux partis qui, à gauche et à droite, ont occupé la plupart des sièges de pouvoir pendant trente ans il ne reste que l’ombre, alors qu’aucune autre organisation n’est à même de tenir pleinement le rôle que lui attribue la Constitution par son article 4 : « Les partis et groupements politiques concourent à l’expression du suffrage. » La sinistre réforme constitutionnelle de 2000, que seuls 18 % des inscrits avaient approuvée – ce qui prouve à l’envi qu’un referendum ne devrait être valable qu’à la condition qu’une proportion significative des citoyens ait voté « pour »-, a provoqué la dégradation qu’il était aisé de prévoir. Comme la maladie du tuffeau, elle a conservé à la société son aspect extérieur presque intact mais elle ne résiste pas à la pression et la solidité de l’édifice en est déjà affectée.
La structure est atteinte et maints indices fournissent la preuve qu’un ébranlement un peu vigoureux pourrait la déstabiliser complètement. Quand bien même les Pangloss de circonstance s’échinent-ils à dénoncer ce qu’ils ne savent nommer que « déclinisme », quand bien même considèrent-ils que tout est au mieux dans le…pire des mondes, il faudrait être inconscient pour ne pas remarquer les signes avant-coureurs d’une ruine potentielle à moyen et long terme et le comportement du corps électoral n’en est qu’un parmi tant d’autres.
L’incapacité des français à concevoir leur propre défense dans un contexte international totalement bouleversé par rapport à celui du début des années 1960, constitue un risque majeur pour un pays si peu peuplé.
L’impossibilité d’envisager sereinement un débat national fructueux quant à la forme que devrait prendre l’Europe, pour tenir la place que notre pays seul ne peut plus occuper utilement, en est un autre.
Le tableau qu’a offert la dernière campagne électorale renvoie à celui du Radeau de la Méduse, sur lequel on imagine que les rescapés se querellaient pour des broutilles eu égard à la situation dans laquelle ils surnageaient. La médiocrité à laquelle a conduit la réduction du mandat présidentiel, combinée à l’inversion du calendrier électoral, a handicapé la République depuis, au moins, les trois derniers mandats et le suivant sera à l’avenant du fait des candidats en course.
Deux solutions s’offrent alors : ou bien, comme tant de français, on opte pour le choix par défaut, une fois de plus, et l’on poursuit sur la pente fatale en espérant sauver ses propres intérêts au détriment, s’il le faut, de ceux des autres, ou bien on s’engage résolument dans une autre voie, sans a priori quant à son issue, sauf à s’en tenir fermement aux « valeurs » exprimées dans le Préambule de l’actuelle Constitution et la Déclaration des droits de l’homme.
Pour en revenir à la métaphore de la pierre de tuffeau, il s’agit maintenant d’apprécier correctement l’état du matériau pour décider si l’on optera pour une simple réparation en surface, une réhabilitation voire une restauration plus approfondie, ou, radicalement, pour une rénovation d’envergure. Dans ce dernier cas, on pourrait envisager une refonte complète du bâtiment, en imaginer la redistribution des pièces, en concevoir l’agrandissement, tout comme nos ancêtres surent moderniser les anciens châteaux, comme la moindre masure en passant par les manoirs ; des incommodes demeures anciennes, ils surent faire des habitations lumineuses, ils passèrent ainsi du XVe siècle au XVIIIe.
À nous de savoir évoluer pacifiquement, du XXe au XXIe, enfin !
Hugues Clepkens