Le délitement du « cher et vieux pays » s’est accéléré au fil d’une multitude de faits divers anxiogènes qui se sont transformés en faits de société à une vitesse affolante tout au long de ce mois de novembre 2022 dans un déni officiel incompréhensible mais révélateur de la situation d’effondrement du régalien et de désordre généralisé cruellement reflétée par l’actualité journalière, de Paris à Mayotte en passant par pratiquement l’ensemble de nos territoires urbains et ruraux.
C’est bel et bien une atmosphère crépusculaire qui imprègne la France à l’approche d’un hiver périlleux où l’on pourrait aisément sans trop s’en rendre compte basculer dans le chaos à la moindre étincelle et pourtant la prise de conscience de la gravité de la situation semble échapper à la macronie – ou devrait-on dire la « darmanie » ? – tant l’exécutif s’évertue à nous rabâcher que tout reste sous contrôle dans la voie d’une amélioration prochaine, notamment cette insécurité zéro qu’on ose nous promettre sans rire jaune ni tressaillir pour le déroulement des Jeux olympiques de 2024 dans le Paris littéralement dévasté et en chute libre de fin 2022…
Avec son humour d’enfant du pavé résilient, Gavroche aurait certainement plébiscité le rat comme mascotte en lieu et place des bonnets phrygiens retenus pour symboliser cet événement au retentissement universel, dans le contexte cauchemardesque qui caractérise aujourd’hui la capitale en faillite du « cher et vieux pays » ,sous menace d’une mise sous tutelle ( « Fluctuat ET Mergitur » devrait être la révision de sa devise au vu du bilan de ses édiles !).
Les voix qui s’élèvent pour lancer de vains cris d’alarme sont aussitôt taxées des pires intentions par un pouvoir qui ne supporte aucune critique ni remise en cause de son action comme on peut le constater lors de débats parlementaires de plus en plus tendus et occultés par l’usage réflexe du 49.3 voire l’obstruction, dès que le vote s’avère critique pour une majorité très fragile face à deux oppositions principales déterminées à infléchir une navigation gouvernementale vacillante et sans cap clair lisible aux yeux des électeurs confrontés à une dégradation inexorable de leurs conditions de vie au quotidien.
Lentement et sûrement, cette fin de l’abondance annoncée, sur fond d’inflation officiellement stabilisée à 6,2 % pour un an sans doute bien loin du ressenti dans l’opinion publique (la cohorte de ceux qui ne sont rien…),s’inscrit dans une réalité de plus en plus tangible et les restrictions, pénuries, possibles coupures de courant ou de gaz entrent dans le champ des probabilités en perspective d’un hiver rigoureux aux détours d’un discours de moins en moins voilé, pour mieux nous préparer au choc à venir sans pour autant l’amortir ni exorciser les risques d’explosion qu’il recèle.
Le prix à payer pour une politique énergétique qui a imprudemment fait fi de nos atouts dans le nucléaire en France sera sans doute très lourd quand viendra le temps d’additionner les chèques successifs de soutien palliatif et l’anticipation insuffisante des conséquences des sanctions appliquées à la Russie en ce qui concerne l’approvisionnement en gaz de l’ensemble de l’Europe aura un impact de risque politique majeur difficile encore à évaluer mais menaçant à très court terme en matière de cohésion sociale dans des contextes d’aggravation accrue des inégalités de revenus, d’appauvrissement des classes moyennes et de misère de plus en plus visible, insupportable pour ceux qui étaient déjà exclus du système antérieurement à cette crise globale.
Au royaume de la gastronomie consolatrice, les médias incitent les Français à réviser à la baisse la liste de leurs courses alimentaires de Noël avec un allant qui n’est pas sans rappeler par certains aspects la propagande désuète et grinçante des années tragiques -39, 40- juste avant le réveil brutal et la plongée dans l’horreur…
Cette seconde mandature, fruit d’une victoire ambiguë emportée par défaut et relative à tous les sens du terme, certes entamée dans un environnement européen et international délétère profondément bouleversé par la guerre en Ukraine et ses répercussions mondiales- crise aiguë de l’énergie et flambée de l’inflation mortifères pour des économies déjà durablement affaiblies par le coût exorbitant de la pandémie – a pris plus rapidement que prévisible une connotation de fin de règne paradoxale quand on se reporte aux promesses de rebond du soir du 24 avril. Elle reste imprégnée des ambiguïtés du « En même temps » qui ont obéré le premier quinquennat et la masse des difficultés à surmonter et des défaillances accumulées au cours des mandatures précédentes à corriger est telle qu’on se demande qui serait sérieusement en mesure de redresser la situation dans l’état actuel du débat politique ou du dialogue social…
Au sein même de l’exécutif, les voix sont discordantes sur nombre de sujets alors qu’on est encore loin de 2027 et les ambitions individuelles pour la suite sont de plus en plus perceptibles, brouillant un dessein gouvernemental collectif déjà difficile à cerner en rendant parfois inaudibles les messages initiaux du plus haut sommet notamment quand les domaines traditionnellement réservés sous la 5e République comme la politique étrangère ne sont plus vraiment respectés : on a pu ressentir un malaise à ce sujet récemment dans le cadre de la séquence désastreuse de l’Ocean Viking, au vu de ces postures ministérielles inutilement agressives voire offensantes – bien éloignées des échanges romains du Chef de l’état avec Mme Meloni – vis à vis d’un pays partenaire, ami et voisin au sein de l’Union européenne, confronté aux mêmes difficultés et drames migratoires que la France, au détriment in fine de la recherche de solutions autrement plus viables que littéralement confier le sort d’une question aussi cruciale à des organisations humanitaires sans mandat gouvernemental ni réel contrôle et hors cadre institutionnel, qui se font virtuellement complices sous couvert des intentions les plus louables du plus abject des trafics, cette traite effectuée par des mafias criminelles sur des vies en danger de mort et victimes d’une illusion profonde sur nos capacités d’accueil, alors même qu’on devrait renforcer Frontex en confiant à cette Agence communautaire ce rôle de sauvetage et de surveillance des flux migratoires dans le cadre d’une réelle coordination à Bruxelles…Mais la recherche de boucs émissaires pour évacuer ses responsabilités en situation de fiasco n’est pas une nouveauté – les accusations hâtives portées contre les supporters britanniques dans le cadre des graves incidents de la finale de la Ligue des champions au Stade de France en sont une autre illustration -.
C’est aussi malheureusement une forme d’impuissance et le pire est à craindre quand il s’agira de présenter à l’Assemblée nationale dans notre pays fracturé une loi sur l’immigration après ce qu’il s’est passé dans le cadre de la presqu’île de Giens (si chère à St John Perse, le grand poète guadeloupéen, auteur des poèmes les plus émouvants de notre littérature sur le thème de l’extranéité – Exil, Poème à l’etrangère…-) quand on répète à l’envi qu’un détenu sur quatre dans les prisons françaises est de nationalité étrangère. Toutes les conditions semblent réunies pour faire de ce projet de loi aux contours encore imprécis un objet de crispation et de polémique d’une amplitude équivalente à celle du futur texte sur la réforme des retraites dans cette atmosphère de mort à petit feu qui prend le pas sur toute velléité de recherche de consensus, faute de s’être doté de réelles marges de dialogue démocratique au sortir des urnes et probablement aussi par manque de courage collectif pour sortir du marécage présent où rien ne saurait pousser.
Inutile d’énumérer la longue liste des raisons de redouter le pire : au fil de l’actualité, les faits sont têtus et s’imposent dans une crudité déconcertante et implacable à un rythme que l’on n’arrive plus à suivre et hélas dans tous les domaines, sécurité, santé, éducation, justice, respect des valeurs républicaines comme la laïcité dans la sphère publique, etc.
A Mayotte, l’île aux parfums, département et région d’outre-mer de notre République suite au référendum local de 2009, des adolescents en perdition sèment la terreur (on parle de mains coupées à la machette !). Dans un service d’urgences en grève à St Malo, lieu de départ de la course du rhum à destination de Pointe-à-Pitre, un patient peut mourir sur une civière faute de prise en charge à temps… Une jeune femme peut subir l’horreur d’un viol au cœur d’un hôpital parisien… Ailleurs, des rixes récurrentes peuvent vous coûter la vie à l’âge de 14 ans… Plans blancs, déserts médicaux, effectifs insuffisants pour lutter contre les épidémies saisonnières de bronchiolite, bientôt de grippe, 9e vague pandémique annoncée sur fond d’échec patent de la pédagogie autour de la vaccination anti Covid avec seulement 8% des personnes les plus à risques protégées par le 4e rappel…
Arrêtons là cette descente aux enfers sous peine de vertige, dans laquelle tout un chacun porte sa part de responsabilité à force de démission et de refus de voir ces vérités qui nous dérangent tant que nous ne sommes pas à notre tour les victimes de ce naufrage de notre démocratie.
Le déclin est bien une forme de mort à petit feu et plus on s’évertue à le masquer par des artifices de communication et des fluctuations contradictoires dans l’action, plus on aggrave la situation du patient France, plus on prend le risque de précipiter une issue fatale et moins on est à même de sortir de l’impasse… Ayant traversé des épreuves pires qu’une neuvième vague de Covid ou des gouvernances défaillantes, le « cher et vieux pays » a réussi à surmonter tant de crises, guerres de religions, civiles, invasions étrangères et autres fléaux à travers sa longue histoire en se forgeant une identité unique qu’il n’en est plus à une tempête près. C’est ce qu’il faut se dire pour garder espoir envers et contre tout.
Car il y a aussi des motifs de conserver cette espérance nécessaire pour survivre en toute situation de paradoxe.
Après une COP 27 décevante en termes d’objectifs pour lutter contre le réchauffement de la planète au sortir d’un été catastrophique sur le plan climatique, la qualification et les victoires des équipes du Cameroun, du Ghana, du Maroc, du Sénégal et de la Tunisie au Mondial de football 2022 dans l’aberration écologique des stades climatisés de Doha doivent résonner à travers tout le continent africain. Nul besoin de climatisation artificielle pour s’entraîner et arracher la victoire apparemment !
Autre exemple, le remarquable exploit de l’ESA (Agence spatiale européenne) qui a réussi à mobiliser ses 22 Etats participants – dont 3, Norvège, Royaume-Uni et Suisse ne sont pas membres de l’Union européenne- en.association avec le Canada, à l’occasion de sa conférence ministérielle des 22 et 23 novembre 2022 au Grand Palais éphémère à Paris, dans un effort budgétaire et programmatique exceptionnel pour maintenir la place éminente de notre continent dans la compétition spatiale internationale sérieusement mise en danger par la guerre en Ukraine. Preuve s’il en est que le jeu collectif en période de crise, sans arrogance, paye plus en retour que les initiatives individuelles où la recherche d’effets de communication l’emporte sur le sérieux de négociations fondées sur une réelle volonté stratégique et une vision partagée.
Pour autant, n’oublions pas les civils ukrainiens privés de lumière et de chauffage dans la poursuite d’une guerre absurde, les victimes de la répression obscurantiste en Iran et tous ceux qui meurent à petit feu sous les jougs de régimes totalitaires qui prospèrent à travers le monde pendant que nos démocraties se fourvoient et courent à leur perte dans les absurdités du wokisme et autres dérives idéologiques issues de conceptions dévoyées de la liberté.
En définitive, c’est sans doute un esprit de liberté éloigné de tout dogmatisme, sous l’impulsion de dirigeants visionnaires et courageux, qui peut encore sauver les nations de la mort à petit feu…
Eric Cerf-Mayer