Dans le cadre de la « Décennie Nelson Mandela pour la Paix » (2019-2028), instituée par les Nations Unies, il serait fort nécessaire d’engager des efforts supplémentaires de rationalisation du sempiternel débat sur la réforme du Conseil de sécurité des Nations Unies, une institution essentielle pour la paix et la sécurité internationales.
En effet, pour parvenir à une réforme véritable du Conseil de sécurité qui soit légitime, optimale, efficiente et efficace, il est indispensable de redéfinir les bases mêmes de ce débat récurrent et de mieux situer les enjeux qui s’y rapportent. Or, un tel exercice nécessite que soit posé un diagnostic, objectif et dépolitisé, d’une part, et un éclairage de la Cour internationale de justice (Cij) qui est l’organe judiciaire principal des Nations Unies, d’autre part.
La nécessité d’un diagnostic dépolitisé et dé-géopolitisé
Il s’agit de s’affranchir quelque peu des considérations politiques et géopolitiques, qui ont jusque-là marqué ce débat, pour poser le problème de la réforme du Conseil de sécurité dans sa dimension intrinsèquement technique et juridique. En effet, en la matière, la démarche à engager prioritairement, dans la perspective d’une véritable réforme, doit consister à procéder à un diagnostic dépolitisé et dé-géopilitisé avec, à l’appui, un test que l’on peut situer à un triple niveau :
-
D’abord, le test de légalité: existe-t-il réellement et légalement un droit de veto qui serait fondé sur l’autorité de la Charte de l’Organisation des Nations Unies de 1945 ou s’agirait-il d’une simple interprétation dudit instrument (cf. article 27, alinéa 3) et d’une pratique qui, dans cette hypothèse bien précise, seraient susceptibles de récusation ?
-
Ensuite, le test de conformité: dans l’hypothèse d’une confirmation de la base légale du droit de veto, un tel droit serait-il pour autant conforme aux buts et principes de la Charte des Nations Unies ?
-
Enfin, le test d’efficacité: s’il existe réellement un droit de veto qui serait non seulement légalement fondé sur l’autorité de la Charte des Nations Unies mais également conforme aux buts et principes de l’Organisation mondiale, en quoi un tel droit participerait-il malgré tout de l’efficacité des actions engagées dans la réalisation des objectifs fixés en 1945 par les peuples des Nations Unies ? Cette question doit se poser, en particulier, à la lumière des dispositions pertinentes des articles 241 et 252 de la Charte onusienne.
Après avoir procédé à ce triple test sur une question combien déterminante pour la Communauté internationale, pour la paix et la sécurité internationales qui sont au fondement des Nations Unies, il faudra transcender les considérations politiques et géopolitiques récurrentes pour situer le débat sur le terrain nettement plus exigeant et certainement plus objectif du droit.
Au regard des enjeux majeurs auxquels renvoie une telle question, la saisine de la Cour internationale de justice (Cij) sur le fondement de sa compétence consultative s’impose d’elle-même.
L’indispensable éclairage de la Cour internationale de justice
Une telle démarche consisterait à solliciter l’avis de la Cij sur la base des trois questions qui découlent naturellement du triple test ci-dessus évoqué, à savoir :
-
Premièrement, prier la Cij de dire en droit s’il existe réellement et légalement un droit de veto, au sens absolu du terme, c’est-à-dire un droit de déréalisation, qui serait fondé sur l’autorité juridique de la Charte des Nations Unies. En effet, il se trouve que le droit de veto n’est pas inscrit en tant que tel dans la Charte de 1945 mais semble découler d’une certaine interprétation des dispositions de l’article 27, alinéa 3 de cet instrument ;
-
Deuxièmement, si toutefois, et par extraordinaire, la Cij en arrivait à une conclusion consacrant la légalité du droit de veto, il resterait alors à élucider la question de la conformité de ce droit par rapport aux buts et principes des Nations Unies, tels qu’ils sont contenus dans la Charte même, notamment dans les dispositions préambulaires ainsi qu’aux articles 1er et 2 dudit instrument. Si, finalement, le droit de veto était tout à fait légal, au vu de l’autorité de la Charte onusienne, il serait judicieux de prier les sages de La Haye de dire si un tel droit était pour autant conforme aux buts et principes de l’Organisation mondiale ;
-
Troisièmement, il serait fondamental que la Cour de La Haye, qui est la gardienne de l’interprétation de la Charte des Nations Unies et du droit international en général, puisse par son avis consultatif éclairer la Communauté internationale sur une troisième question tout aussi essentielle. En effet, s’il existe un droit de veto qui serait légalement fondé sur la Charte des Nations Unies et, mieux encore, conforme aux buts et principes de l’Organisation mondiale, en quoi ce droit participerait-il de l’efficacité des actions du Conseil de sécurité dans la réalisation des objectifs fixés par les peuples des Nations Unies en 1945 ? Plus concrètement, cela serait déterminant que la Cij puisse également dire si un tel droit, qui est en réalité et dans sa pratique effective un droit de blocage, est ou non en conformité avec les pertinentes dispositions des articles 24 et 25 de la Charte des Nations Unies.
C’est seulement après avoir élucidé toutes ces questions fondamentales que l’on pourra envisager objectivement une réforme du Conseil de sécurité qui soit véritablement légitime, optimale, efficiente et in fine efficace.
Pour une réforme idoine du Conseil de sécurité
De tout ce qui précède, la question qui se pose est de savoir : quelle réforme du Conseil de sécurité peut-on raisonnablement envisager ; une réforme qui soit nécessairement légitime, optimale, efficiente et in fine efficace ?
A ce titre, il est important de relever que cette question cruciale ne doit pas être le monopole des cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité qui, très objectivement, ne peuvent manifester qu’un faible intérêt pour une véritable réforme d’une institution où ils se sont octroyés tous les droits, dont le droit de blocage présenté de façon très discutable d’ailleurs comme un droit de veto.
De tout ce qui précède sur la nécessité de reformer le Conseil de sécurité des Nations Unies, plusieurs questions se posent, tant sur la forme que sur le fond.
1. Sur la forme
Le statut d’Etats membres permanents du Conseil de sécurité, qui était incontestablement fondé dans le contexte de la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’est-il encore aujourd’hui dans un monde profondément transformé ? Une réponse argumentée à cette question permettrait de juger de l’opportunité de conserver ou non ce statut au sein du Conseil de sécurité. Surtout que la pratique effective des Etats membres permanents de cet organe montre un décalage sans cesse croissant avec le rôle qui leur était initialement dévolu par les peuples des Nations Unies (cf. article 24 de la Charte).
De même, les critères sans doute objectifs ayant justifié en 1945 le double privilège accordé aux cinq Etats membres permanents du Conseil de sécurité, dotés chacun du droit dit de veto, sont-ils encore fondés aujourd’hui ?
2. Sur le fond
Finalement, il y a un sérieux doute non seulement quant à la base légale du droit de veto, qui est quelque peu anachronique, mais la pratique y relative se trouve être contraire à l’esprit même de la Charte des Nations Unies. Il faut reconnaître également que le recours abusif au droit de veto a régulièrement témoigné de son caractère rédhibitoire aux actions du Conseil de sécurité, particulièrement au regard des dispositions pertinentes des articles 24 et 25 de la Charte.
C’est pourquoi, la révocation pure et simple de ce droit de veto qui, faut-il encore le dire, est en réalité un droit de blocage, serait possiblement un procédé idoine pour redonner au Conseil de sécurité toute son efficacité et, par la même occasion, sa crédibilité longtemps entamée. Cela aurait non seulement le mérite de rétablir au sein du Conseil de sécurité le principe d’égalité entre toutes les nations, grandes et petites, inscrit comme tel et en lettres d’or dans la Charte, mais de réduire considérablement les risques récurrents de blocage et de paralysie de cet organe dans l’accomplissement de son noble mandat.
Une autre hypothèse serait le transfert du droit de veto à un organe plutôt technique, comme la Cour internationale de justice, qui est composé d’experts nommés ès qualités et sans responsabilités politiques. L’avantage d’une telle réforme permettrait au Conseil de sécurité de mieux se conformer aux exigences de la Charte, en particulier celles contenues dans les articles 24 et 25 précités.
Cependant, en cas de maintien du droit de veto dans la pratique actuelle du Conseil de sécurité, il serait fondé de poser le principe de son invalidité dès lors qu’il s’agit des situations de crimes de guerre, crimes contre l’humanité ou crimes de génocide.
Au-delà du Conseil de sécurité
Relativement au Conseil de sécurité des Nations Unies, il n’est pas superfétatoire de mettre l’accent sur le fait qu’il s’agit de la seule institution internationale en charge de la sécurité et de la paix à l’échelle mondiale. Autrement dit, une institution dont dépendent non seulement la paix et la sécurité entre les acteurs internationaux mais également une institution dont les actions concernent la vie de plus de 7,9 milliards d’êtres humains à travers le monde.
Les questions relatives au Conseil de sécurité sont si essentielles et si cruciales pour la paix dans le monde qu’elles doivent être l’affaire de l’ensemble de la Communauté internationale dans sa diversité complémentaire.
En effet, cela fait maintenant plus de quatre décennies que la question de la réforme du Conseil de sécurité est à l’ordre du jour mais, à ce jour, aucune réponse véritable, consensuelle et satisfaisante n’a été donnée. Les propositions de réforme faites jusqu’à présent, notamment l’augmentation du nombre d’Etats membres permanents pour que certaines régions du monde soient enfin représentées, manquent singulièrement de pertinence et ont tendance à déplacer le débat sur d’autres terrains, si légitimes soient-ils.
Il est sans conteste qu’il ne suffirait pas de réformer le Conseil de sécurité pour que les nombreuses et épineuses questions relatives à cet organe majeur soient véritablement réglées une fois pour toute. C’est la raison pour laquelle il faut nécessairement une réforme qui soit objective et légitime, optimale, efficiente et efficace…
Sur un autre plan, on peut objectivement comprendre les réticences en particulier des Etats membres permanents du Conseil de sécurité, par rapport à une réforme audacieuse qui pourrait impacter le privilège dont ils jouissent et qui leur confère une certaine grandeur sur la scène mondiale. Il ne fait aucun doute qu’aucun Etat, quel qu’il soit, ne pourrait raisonnablement accepter de se priver d’un tel privilège sur la scène internationale.
Par ailleurs, en observant attentivement les contributions des Etats au fonctionnement des Nations Unies, le principe d’égalité, notamment l’égalité des charges, n’est pas appliqué non plus. Par conséquent, peut-on raisonnablement et légitimement invoquer le principe d’égale dignité et d’égale souveraineté des Etats membres des Nations Unies si, en même temps, l’essentiel des charges de fonctionnement de cette institution incombe systématiquement à quelques Etats seulement ?
Enfin, le système international peut être généralement perçu de deux manières différentes, objectivement défendables :
-
D’une part, comme l’arme des puissants qui s’en serviraient pour la défense de leurs propres intérêts (politiques, diplomatiques, économiques, géopolitiques ou géostratégiques, etc.). Bien évidemment, et sur la base des expériences concrètes, les arguments ne manquent pas pour étayer cette vision du système international. Et les nombreuses accusations régulièrement portées contre le Conseil de sécurité, en particulier au travers du recours au fameux droit de veto par les cinq Etats membres permanents, en est l’une des illustrations tangibles ;
-
D’autre part, le même système international est parfois perçu comme un véritable rempart pour les Etats moins puissants ! Là également, et en prenant appui sur de nombreux cas bien concrets, les arguments ne manquent pas non plus pour décliner une telle représentation du système international.
Toutefois, et quoi que l’on en dise, ce système international incarné par les Nations Unies est sans conteste l’une des plus grandes avancées du droit international contemporain.
Il constitue un important pas en avant dans le long processus d’édification de la Communauté internationale. De même, il représente l’une des plus grandes réalisations dans la perspective de préserver les générations futures du fléau de la guerre et de faire de ce monde un lieu sûr et habitable pour l’homme…
C’est pourquoi, au-delà du Conseil de sécurité dont il est régulièrement question, c’est tout le système onusien qu’il faudra réformer pour une meilleure adaptation aux défis d’un monde profondément métamorphosé et toujours en pleines mutations. En effet, ce système, dont l’importance et le caractère indispensable ne sont plus à démontrer, souffre de nombreux maux qui compromettent parfois gravement son mandat ainsi que ses capacités à tenir cette belle promesse faite en 1945 par les peuples des Nations Unies. La promesse d’une paix perpétuelle entre les peuples et les nations, d’un monde plus respectueux de la dignité et de la valeur de la personne humaine, après deux guerres mondiales particulièrement meurtrières.
En conséquence, il est plus qu’indispensable d’œuvrer sans cesse à la préservation de ce patrimoine commun de l’humanité que sont les Nations Unies, à leur efficacité globale et à l’efficacité de chacune de leurs institutions dont le Conseil de sécurité. L’avenir de notre monde en commun en dépend…
Roger Koudé, Professeur de Droit international
Titulaire de la Chaire Unesco « Mémoire, Cultures et Interculturalité » à l’Université catholique de Lyon (UcLy). Son dernier ouvrage, intitulé Discours sur la Paix, la Justice et les Institutions efficaces, est publié aux Éditions des Archives Contemporaines (Paris, 3/2021), avec la préface du Docteur Denis Mukwege, Prix Nobel de la Paix 2018.
-
- Afin d’assurer l’action rapide et efficace de l’Organisation, ses Membres confèrent au Conseil de sécurité la responsabilité principale du maintien de la paix et de la sécurité internationales et reconnaissent qu’en s’acquittant des devoirs que lui impose cette responsabilité le Conseil de sécurité agit en leur nom.
- Dans l’accomplissement de ces devoirs, le Conseil de sécurité agit conformément aux buts et principes des Nations Unies. Les pouvoirs spécifiques accordés au Conseil de sécurité pour lui permettre d’accomplir lesdits devoirs sont définis aux Chapitres VI, VII, VIII et XII.
- Le Conseil de sécurité soumet pour examen des rapports annuels et, le cas échéant, des rapports spéciaux à l’Assemblée générale.
- Les Membres de l’Organisation conviennent d’accepter et d’appliquer les décisions du Conseil de sécurité conformément à la présente Charte. ↩