La réussite de la transition énergétique nécessite d’assurer une gouvernance territoriale de l’énergie et du climat qui permette aux collectivités de réellement prendre en compte ces enjeux dans leurs projets et politiques. Pour Emmanuel Cau, vice-président délégué à l’Aménagement du territoire, à l’Environnement et au Plan climat du Conseil régional Nord-Pas-de-Calais, la Région doit être le pilote de la transition énergétique sur l’ensemble des territoires qui la constitue.
Revue Politique et Parlementaire – Comment percevez-vous la place d’une collectivité territoriale comme la vôtre dans l’application du texte de loi sur la transition énergétique pour la croissance verte ?
Emmanuel Cau – L’un des premiers intérêts de cette loi c’est qu’elle offre une esquisse d’une stratégie énergétique nationale, ce que nous n’avions jamais eu. La difficulté, c’est qu’il faut articuler ce texte avec toutes les lois, aussi bien celle concernant la biodiversité que celle portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République. Produire de l’énergie là où il y a des besoins, consommer au plus près du lieu de production, créer des territoires à énergie positive, pratiquer l’efficience énergétique, c’est d’abord définir les responsabilités de chacun et organiser ensuite une péréquation et une solidarité. L’échelon indispensable pour cela c’est la Région qui, avec le SRCE ou Schéma régional de cohérence écologique, possède un véritable document de planification qui doit être pris en compte par les documents d’urbanismes et à tous les projets énergétiques. De la même façon la Région devrait diriger l’élaboration des schémas de raccordement des énergies renouvelables ou du développement des réseaux qui découlent du SRCE. Et pour aller plus loin il faudrait reconnaître à l’ensemble des régions le pouvoir réglementaire pour le développement des “Enr”, pouvoir qui existe déjà aujourd’hui pour les régions d’outre-mer.
La région “stratège et leader” en matière de “gestion énergétique” sera dans l’obligation d’articuler son action avec les “chaînes intercommunales” dotées de la compétence énergétique. Or, ces chaînes n’ont pas nécessairement la culture indispensable pour exercer cette compétence. Il faudra donc les accompagner, et faire de la Région le pilote “énergétique” sur l’ensemble des territoires qui la constitue.
RPP – Dans le cadre du nouveau découpage territorial, la répartition des responsabilités en matière énergétique serait telle que l’échelon régional deviendrait pilote de l’ensemble ?
Emmanuel Cau – Effectivement, mais en sachant que la Région doit fournir des moyens et des données à l’échelon communal. Aujourd’hui il est impossible pour une commune qui a la compétence des réseaux notamment, même en gestion déléguée, d’avoir accès aux chiffres précis de consommations d’électricité et de gaz, leur répartition et la géolocalisation des flux. Or, ces informations sont indispensables pour assurer une bonne gouvernance élargie aux collectivités, aux associations et aux habitants. À la Région – qui en a les moyens – de faire le nécessaire à cet égard, pour autant que la loi lui en donne la capacité.
RPP – À partir du constat et de l’analyse que vous venez de faire, comment se situent les concédants eux-mêmes ?
Emmanuel Cau – Les concédants – communes et regroupements communaux – sont propriétaires ; mais l’échelon régional est vraiment l’échelon pertinent pour élaborer et mettre en œuvre une stratégie énergétique efficiente. Mais ces stratégies régionales n’auront de sens et d’efficacité que si elles sont articulées avec des stratégies territoriales “locales”.
Dans le Nord-Pas-de-Calais que ce soit pour le plan climat territorial ou pour le plan 100 000 logements, nous travaillons avec des “territoires de projets” : pays et agglomérations. Car le territoire de projet est plus à même de bien caractériser son patrimoine immobilier, ses gisements d’énergie, ses réseaux, etc. et d’accompagner une évolution culturelle des communes et des intercommunalités qui sont toutes propriétaires des réseaux. Et le “couple” entre la Région et le niveau intercommunal devient pour le coup très efficace. On ne fait pas à la place de, on a une stratégie au niveau régional, on offre une surface politique, institutionnelle, économique, financière intéressante. Si je prends par exemple la réhabilitation des logements, c’est évidemment la Région qui peut par exemple discuter avec la Banque européenne d’investissements et non une intercommunalité de 15 000 habitants. La question revient donc à mettre en œuvre ce partenariat “énergétique”, partenariat que l’on fait déjà sur un certain nombre de sujets en Nord-Pas-de-Calais comme dans d’autres régions.
RPP – Comment situez-vous les métropoles ou les nouvelles métropoles dans ce contexte ?
Emmanuel Cau – Quand je parlais d’intercommunalité, je pensais aussi par extension aux métropoles. La nouvelle compétence énergie est dédiée aux métropoles et c’est cette compétence qui va prendre du temps pour se mettre en place car il va falloir que chaque commune délibère, il y a aura les calendriers des contrats de concessions entre les énergéticiens et les communes qu’il faudra prendre en compte. Donc on sera là sur une période charnière très importante et en même temps risquée, en raison du délai nécessaire à l’appropriation culturelle du sujet. Mais cette articulation entre l’échelon régional, ses schémas, ses stratégies d’une part et les métropoles et les intercommunalités d’autre part, est vraiment essentielle.
Avec le nouveau texte de loi, nous avons une stratégie nationale et l’obligation de “re-coordonner” le tout au niveau des métropoles ou des intercommunalités et cela en liaison avec la Région. C’est le bon moment car les régions sont maintenant rompues à ce genre d’exercices et à ces enjeux : SRCAE, SRCE, SRADDT, etc., nous avons une stratégie régionale climat, nous sommes en dialogue constant avec tous les territoires de projet. La problématique énergétique et climatique a vraiment émergé sur tous les territoires, mais nous sommes face à un morcellement de toutes les compétences, de toutes les possibilités, à tous les niveaux institutionnels. Aussi s’agit-il d’une re-coordination qui permettra une simplification de gouvernance et de décision, assurant “in fine” – j’en suis persuadé – une réelle efficacité.
Imaginez une petite commune, dotée de la propriété des réseaux et qui n’a pas forcément les moyens en ingénierie, qui n’a pas la culture, qui n’a pas le budget… qui peut donc se faire “draguer” par des entreprises privées qui vont certes ramener un peu plus d’impôt, mais ne sera pas totalement maîtriser le développement du territoire. Ce sera par conséquent à la Région de lui donner les outils et les moyens d’avoir un développement intégré de son territoire.
Mais aujourd’hui nous ne sommes pas assurés de pouvoir aller vers le schéma que je vous ai décrit en raison de la position du Sénat, sachant toutefois que le dernier mot reste à l’Assemblée nationale qui confirmera – j’en suis persuadé – le chef de filat des Régions et la compétence énergie des métropoles au même titre que celle des intercommunalités. Il faudra cependant que les décrets d’application soient signés rapidement. Je ne vous parle pas de l’état de la planète, mais je peux vous parler de la précarité énergétique qui augmente de 10 à 15 % par an. C’est pour cela qu’il faut aller vite.
Les régions, les métropoles, les intercommunalités doivent être la “dream team” sur les territoires et c’est la consolidation de ces équipes qui fera une belle transition énergétique au niveau national. Aujourd’hui c’est d’abord les territoires qui sont sur le front de la transition car ils représentent 70, 75 % des investissements : nous avons déjà les mains dans la glaise en attendant que l’Europe et l’état nous fassent les bonnes lois et les bons outils au bon moment. Et puis il y a les difficultés que j’évoquais, la loi sur la réforme territoriale, la loi sur la biodiversité qui traîne, le combat contre le dérèglement climatique et les émissions de gaz à effet de serre, le volet trop souvent oublié qui est celui de l’adaptation de notre agriculture, notre urbanisme, nos forêts. Il est donc urgent d’articuler toutes ces lois pour aller vers la transition énergétique de manière vertueuse.
RPP – Est-ce ainsi que nous parviendrons à “créer” des territoires à énergie positive ?
Emmanuel Cau – C’est ma conviction. Reportez-vous dix à quinze ans en arrière, c’était le rêve d’un baba cool. Maintenant c’est devenu sérieux. Comme l’environnement et le développement durable. Certes il y a un côté marketing, mais aussi un côté challenge dans l’expression. Il est vrai que c’est compliqué car il y a des territoires qui ont peut-être plus de gisements, plus de contraintes, plus d’atouts que d’autres ; il y a donc une péréquation à mettre en place et c’est à travers cette péréquation qu’il faut regarder si un territoire est vraiment à énergie positive. Là où cela devient un peu plus compliqué, car il ne faut pas se voiler la face, c’est de quelle énergie on parle. Il faut que cette énergie soit propre, sûre et décarbonée. Il ne faut pas qu’on regarde cela seulement sous l’angle technique : une éolienne, de la géothermie, de l’isolation c’est nécessaire il en faut, mais ce n’est pas suffisant, il y a aussi le côté consommation, sobriété, gaspillage qui est à traiter. Si on produit plus d’énergie qu’on en a besoin, mais que c’est pour aller après éclairer n’importe quel bâtiment tout le temps, ce n’est pas la bonne idée.
Enfin, pour conclure, n’oublions pas l’enjeu de l’emploi : le scénario de l’ADEME prévoit entre 850 000 et un million de créations nettes d’emplois. On était arrivé à cette hypothèse au terme du débat national. C’est cela qu’on doit avoir en tête afin de maintenir les objectifs chiffrés du mix énergétique, qui constitue notre feuille de route.
Emmanuel Cau, vice-président délégué à l’Aménagement du territoire, à l’Environnement et au Plan climat, Conseil régional Nord-Pas-de-Calais