Pour la Revue Politique et Parlementaire, Saoud AL AHBABI, Doctorant à l’Université de la Lumière, Lyon 2 et Colonel dans l’état-major de l’armée du Qatar nous fait découvrir les coulisses des relations entre la France et le Qatar : diplomatie, économie, et libération des otages. Une Analyse complète des enjeux actuels.
Le Qatar et la France entretiennent des relations depuis la déclaration d’indépendance du pays en 1971 et l’ouverture croisée des représentations diplomatiques dès 1972. La relation bilatérale s’est développée au début des années 1990, dans le domaine de la sécurité et des hydrocarbures. Présent au Qatar depuis 1936, Total Energies (ex- Total) est devenu très tôt l’un des principaux partenaires de Qatar Energies (ex-Qatar Petroleum) pour l’extraction et la valorisation des ressources en hydrocarbures du pays. (1)
La volonté qatarienne de diversifier l’économie du pays et de réduire sa dépendance à la rente gazière a permis d’élargir le spectre de ses échanges de coopérations à de nombreux secteurs : le domaine militaire, celui de la sécurité (lutte contre le terrorisme et la radicalisation), le secteur économique et des investissements (infrastructures avec le métro de Doha ; aéronautique) mais également la culture (avec Qatar Museums), l’éducation et l’enseignement supérieur (campus HEC Paris à Doha) illustrent l’étendue des échanges. (2)
La France et le Qatar souhaitent désormais, renforcer leur coopération dans les secteurs du sport et des grands enjeux mondiaux (climat, santé mondiale, développement et humanitaire, villes intelligentes et durables).
La relation diplomatique selon le Quai d’Orsay est excellente et nourrie : les consultations entre les autorités, et au plus haut niveau, sont régulières. Le dialogue stratégique, mis en place en 2019, permet un suivi opérationnel des principaux projets structurant la relation bilatérale. La première édition co-présidée par les ministres des Affaires étrangères s’est tenue à Doha le 28 mars 2022, suivie d’une seconde session à Doha le 8 juin 2023. Ensemble, les deux pays ont salué l’organisation du second dialogue stratégique annuel et ont passé en revue les progrès significatifs réalisés depuis la tenue du premier dialogue stratégique en mars 2022. (3)
Ils ont souligné la force de leur relation bilatérale et ont réaffirmé leur détermination à développer son plein potentiel, en approfondissant la coopération dans tous les domaines d’intérêt commun et en identifiant des projets conjoints concrets afin d’approfondir davantage leur coopération stratégique.(1)
1) Une relation de confiance essentielle en période de crises
Le président Macron a reçu le 27 février 2024, l’émir du Qatar, Sheikh Tamim ben Hamad Al-Thani, au Palais de l’Élysée dans le cadre d’une visite d’État de deux jours en France. Compte-tenu de l’actualité, elle était centrée sur la question de la libération des otages à Gaza et la relance du processus pour la création d’un État palestinien. Ces questions contribuent au renforcement des relations bilatérales et à l’ancrage d’un climat de confiance.(6)
Il s’est vérifié sur le plan économique, au travers d’un accord d’investissements qataris de 10 Md€ dans l’économie française d’ici 2030. Après l’achat de Rafale et d’hélicoptères, la transition énergétique, les semi-conducteurs, l’aérospatial, l’intelligence artificielle, le numérique, la santé, la culture constituent autant de champs nouveaux à développer.
Témoignage de leur solide partenariat, ce dialogue annuel a permis de passer en revue les relations bilatérales, les sujets régionaux et internationaux, le développement et l’aide humanitaire, la défense et la sécurité, le commerce, l’investissement, l’économie, l’éducation, la culture et la recherche scientifique, le changement climatique, l’énergie, l’environnement et les sports.
2) Un contenu politique gagnant-gagnant ?
Le Qatar et la France ont exprimé leur engagement à consolider leur partenariat stratégique à travers un dialogue continu et approfondi, fondé sur la confiance. Il concerne toutes les problématiques clés permettant de répondre aux défis globaux.
Les ministres ont souligné l’importance d’approfondir leur dialogue, leur diplomatie et leur coordination politique sur les crises touchant la sécurité régionale et internationale, et de promouvoir la paix, la sécurité et la prospérité.
Le premier ministre Cheikh Al Thani, et l’ancienne ministre des Affaires étrangères Mme Catherine Colonna ont discuté des situations du Soudan, au Liban, en Syrie, en Libye, en Iran mais également en Afghanistan et au Tchad. Ils ont exploré les moyens d’approfondir davantage leur coordination dans ces régions. (3)
Le Qatar est très actif dans les règlements des conflits dans la région, on l’observe son rôle dans les crises, syrienne, libanaise, libyenne, yéménite et enfin dans la crise palestinienne. Concernant le processus de paix au Proche-Orient, ils ont réitéré leur engagement à parvenir à une solution à deux États sur la base de toutes les résolutions onusiennes pertinentes, fondée sur lignes de 1967 et avec Jérusalem comme capitale partagée par les deux États. Ils ont souligné l’urgence de mettre un terme à toutes les actions unilatérales, en particulier concernant l’expansion des colonies et l’importance de sauvegarder le statu quo historique sur tous les lieux saints à Jérusalem.
Ils ont exprimé leur inquiétude face à la situation humanitaire, politique, économique et de sécurité dans la Bande de Gaza, et ont réaffirmé le rôle indispensable de l’UNRWA et la nécessité de le soutenir.(3)
3) Le Qatar est-il un partenaire privilégié de la France dans la région ?
La détention de neuf citoyens français par le Hamas met en lumière l’importance du rôle médiateur du Qatar dans le conflit israélo-palestinien. Avec une politique diplomatique multilatérale, l’émirat se positionne comme un négociateur clé tout en naviguant dans les eaux complexes des alliances internationales.(7)
Dans la délicate situation du conflit opposant Israël et le Hamas, le Qatar se dessine comme un acteur principal dans les négociations pour la libération des otages, et en particulier français : au nombre de neuf, ils sont désormais la priorité numéro un des autorités françaises.
Mais pour intercéder auprès du Hamas, la France peut compter sur le Qatar. Récemment interrogé par TF1, Mohammed Al Khulaifi, le négociateur en chef du Qatar, a promis aux téléspectateurs français que les discussions pour libérer les franco-israéliens étaient bien en cours et qu’elles auraient lieu « jusqu’au dernier otage » .
Déjà les semaines précédentes, Doha avait facilité la libération de quatre otages détenus par le Hamas, deux citoyennes américaines et deux israéliennes, ouvrant ainsi une lueur d’espoir pour les ressortissants français toujours en détention. La réactivité des autorités françaises, qui ont contacté le négociateur qatari dès les premières heures du conflit, est révélatrice de la tension qui parcourt le Quai d’Orsay, le Ministère français des affaires étrangères.(8)
Conclusion
Alors qu’en France, la politique du « en même temps » chère au Président Macron est de plus en plus critiquée sur le conflit en Palestine. Les uns reprochent son soutien à Israël. Les autres dénoncent son absence à la marche contre l’antisémitisme organisée à Paris. La libération des otages reste la priorité politique pour l’Élysée.
Le Chef de l’État français compte bien miser sur les relations interpersonnelles étroites qu’il a noué avec l’émir du Qatar Cheikh Tamim Ben Hamed Al-Thani depuis son arrivée au pouvoir en France en 2017 pour obtenir une libération des otages qui renforcerait un crédit politique en perte de vitesse.
Cependant, la posture du Qatar dans ce conflit demeure complexe et difficile à comprendre chez certains observateurs.
L’émirat est un allié des États-Unis, qui soutiennent Israël, et abrite une base majeure de l’US Army, la plus grande au Moyen- Orient. Cette alliance est d’autant plus mise en lumière avec la guerre à Gaza. Mais en parallèle, le Qatar héberge également le dirigeant du bureau politique du Hamas et il alimente Gaza depuis des années en aides humanitaire : alimentation, médicaments, éducation, et reconstruction des infrastructures vitales, le tout sous l’égide des Nations unies.(4)
Le statut de médiateur du Qatar, dans son rôle de funambule de la géopolitique, s’avère être un canal de négociation indispensable pour la France. Doha est en train de réussir son pari en obtenant la libération de citoyens français et internationaux, l’Emirat changera de dimension sur la scène internationale.
La France reste, dans ce contexte, un partenaire stratégique non seulement en Europe, mais également en raison de ses positions sur les sujets transversaux : le changement climatique, l’intelligence artificielle, l’espace, sans oublier l’influence mondiale que lui procure son espace maritime, le second au monde après celui des Etats-Unis. (5)
Grace a cette politique étrangère, le Qatar a réussi de s’imposer au Moyen-Orient comme Leader dans la région tel que : au Yémen, au Liban, au Soudan, en Palestine et dans la Corne de l’Afrique.
La politique de médiation de l’État du Qatar a pu gagner un succès relatif durant les années qui ont précédées le « Printemps Arabe ».
La posture de la médiation par le soft power de la politique étrangère des pays, historiquement, a uniquement été celle des puissances régionales telles que l’Égypte et l’Arabie saoudite ainsi que les grandes puissances internationales comme les États-Unis, la France, la Chine, la Russie et la Grande Bretagne via leurs capacités militaires et financières. Mais, à l’instar de la crise soudanaise des années 2008 pour laquelle l’Égypte a tenu le rôle du médiateur, du conflit yéménite ou les intérêts saoudiens laissaient pressentir une intervention de l’Arabie saoudite ou encore du Liban ou, face aux échecs successifs des médiations entreprises par la Ligue Arabe, ou la France, la place de médiateur acquise par l’État du Qatar s’était bien actif et efficace au détriment de l’office de ces plus grandes puissances.
Saoud AL AHBABI,
Doctorant à l’Université de la Lumière, Lyon 2,
Colonel dans l’état-major de l’armée du Qatar